John et Eric Mestdagh élus Managers de l’Année 2010

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Eric et John Mestdagh ont fait l’actualité économique de 2010 en reprenant 16 supermarchés que Carrefour voulait fermer. Un pari osé pour la quatrième génération à la barre de cette entreprise de distribution carolo.

C’est une première dans l’histoire de ce prix organisé pour la 26e année consécutive par Trends-Tendances : deux frères sont sacrés Managers de l’Année. Eric et John Mestdagh, tous deux administrateurs délégués de la société qui porte leur nom, ont fait l’actualité économique de 2010 en reprenant, après plusieurs mois d’âpres négociations, 16 magasins que Carrefour voulait fermer.

Un pari audacieux quand on sait que ces points de vente étaient en déficit chronique et opéraient dans des bâtiments vieillots sur fond de climat social tendu. Mais le jeu en valait la chandelle. Cette opération permet, en effet, au distributeur carolo, qui a grandi sans fracas, d’accomplir soudainement un pas de géant dans son expansion en s’implantant notamment à Bruxelles où il ne comptait qu’un seul point de vente.

Mieux encore : son chiffre d’affaires bondit d’un seul coup de 40 %. Et devrait à terme, selon les calculs des deux frères, carrément être doublé.

Ils veulent laisser leur empreinte

“Nous n’avions pas besoin de reprendre ces magasins pour assurer la survie de la société Mestdagh. C’est davantage un défi personnel, explique Eric, le chef de file de la quatrième génération de cette famille d’épiciers. C’est aussi un beau pied-de-nez à tous ceux qui pensent depuis 16 ans que Mestdagh est vendu aux Français (Ndlr, avant de fusionner avec Carrefour, Promodès a pris en 1995 une participation de 25 % dans le capital de Mestdagh SA) car c’est à présent le Petit Poucet qui rachète des magasins au mammouth Carrefour, n°1 européen de la distribution.”

Et John d’ajouter : “Quand on hérite d’une entreprise familiale comme nous en avons eu la chance, on passe vite pour un fils à papa. Pourtant, quand nous avons repris le flambeau en 2002, la conjoncture n’était pas bonne et les résultats n’étaient pas exceptionnels. On s’est alors plusieurs fois demandé si le cadeau de papa n’était pas un peu empoisonné et si on n’était pas fou de l’avoir accepté. Aujourd’hui, la reprise de ces magasins est l’occasion pour nous de marquer de notre patte l’histoire de l’entreprise familiale en développant ce que nous avons reçu de nos parents.”

Des commerçants dans l’âme complices…

Issus d’une famille de quatre garçons, Eric (48 ans) et John (45 ans) ont racheté, voici 15 ans, avec leur cousin Carl (44 ans) les parts des six autres héritiers de la quatrième génération qui ne jouaient pas un rôle actif dans l’entreprise. Les trois quadras sont donc devenus les actionnaires, à part égales, de la société qui exploite les supermarchés Champion mais aussi d’une petite galaxie d’autres actifs. “On se voit à trois tous les lundis après-midi pour faire le point sur les différentes sociétés du groupe”, précisent Eric et John.

Elus “commerçants de l’année 2010” par le magazine Gondola spécialisé dans la distribution, Eric et John Mestdagh sont des hommes de terrain.

“A part le métier de boucher, nous pouvons à peu près tout faire chez Mestdagh, lance Eric. En commençant notre carrière, nous avons passé deux ans dans les magasins à nettoyer et réapprovisionner les rayons avant de passer à la centrale, c’était la condition sine qua non pour entrer dans l’entreprise familiale.”

Hormis la voix et le même franc-parler, les deux frères ne se ressemblent pas mais se complètent à merveille. “Lorsque nous étions enfants, se souvient John, nous participions à des comités junior au cours desquels nous pouvions interroger nos parents sur le groupe. Un jour, on nous a demandé d’indiquer à côté de chaque département de l’entreprise les places de n° 1 et de n° 2 que l’on aimerait occuper. Très vite, on s’est rendu compte que l’on ne voulait pas les mêmes fonctions.”

Les administrateurs délégués se sont, dès lors, réparti les tâches en fonction de leurs affinités. Eric, le plus connu des deux, s’occupe du commercial, des finances, des ressources humaines et de la logistique tandis que John est responsable des achats, du marketing et des supports techniques. Complices, ils sont pratiquement toujours sur la même longueur d’ondes. “Nous n’avons pas besoin de grand-chose pour nous comprendre, reconnaît Eric. Dans les réunions, un simple regard suffit. C’est parfois perturbant pour nos interlocuteurs !”

… et très complémentaires

John a le souci du détail et est un négociateur hors-pair. “C’est l’acheteur du groupe mais aussi de la famille, commente son cousin Carl qui préside le conseil d’administration de Mestdagh sa. Depuis qu’il est petit, il a un référentiel de tout. Même quand je dois acheter une machine à laver, je lui demande conseil.”

Eric, lui, c’est l’épicier en chef. “Il a une passion pour les supermarchés. Il décèle en trois minutes ce qui va et ce qui cloche dans un magasin”, observe Carl. Il est, par ailleurs, fonceur et intuitif. “J’ai 500 idées par jour, lâche Eric. Heureusement que John est là pour me freiner parfois.” Les deux patrons sont complémentaires jusque dans leur emploi du temps. Eric est un lève-tôt. John aime travailler tard le soir. Si en affaires, ils ne font qu’un, côté jardin, ils ont chacun leurs propres cercles d’amis et leurs hobbies. John c’est le tennis, le golf, la photo et le bricolage. Amateur d’art contemporain, Eric recharge, pour sa part, ses batteries, en participant à des courses de voitures anciennes ou en assistant à des concerts de rock.

Une année excellente pour Champion

Indépendamment de l’opération Carrefour, l’année 2010 est une “excellente année pour l’enseigne Champion” (69 magasins dont trois seulement en Flandre et 33 exploités en franchise). Le chiffre d’affaires (toutes taxes comprises) prévu pour 2010 atteint 530 millions d’euros, ce qui correspond à une croissance de 3,8 % par rapport à 2009 mais, selon les deux frères, la progression devrait plutôt tourner autour des 5 % de croissance. La marge Ebitda, elle aussi, s’améliore, frôlant les 5 % (4,9 contre 4,64 %).

Dans le cadre de la reprise des 16 supermarchés à Carrefour (12 GB et 4 Carrefour Market), le groupe carolo a recruté plus de 350 collaborateurs et une vingtaine pour le siège. Depuis trois mois, le duo et ses équipes s’emploient à relancer la machine commerciale de ces points de vente minés par des grèves à répétition et à redonner confiance au personnel de l’ex-GB. Début octobre, lors de la reprise effective de ces magasins, les nouveaux patrons ont bloqué leur agenda pendant deux semaines et sont passés dans chaque magasin avec le comité de direction afin de se présenter au personnel.

“La reprise en main de ces magasins se passe bien, constate John. Mais depuis quelques semaines nous avons des difficultés pour approvisionner ces magasins à cause des problèmes logistiques de Carrefour (Ndlr, qui continue à livrer ses anciens supermarchés jusqu’à ce que le nouvel entrepôt de Mestdagh soit opérationnel). Les magasins avaient perdu entre 15 et 20 % de leur chiffre d’affaires quand nous les avons repris. Cette baisse a été ramenée à 10 %.” Mais le chantier entamé par les Managers de l’Année 2010 ne fait que commencer. Ils se sont donné trois ans pour réussir leur pari.

Un chantier qui a débuté sur de bonnes bases

“Dans les magasins repris par Mestdagh, tout n’est pas encore parfait en matière d’organisation du travail, relève Myriam Delmée, vice-présidente du Setca. Mais on sent un investissement de la part des nouveaux patrons. Ceux-ci veillent à avoir un dialogue avec le personnel. Ils font tout pour relever le défi au plus vite. Cela semble bien parti !”

Et la syndicaliste d’épingler un changement de mentalité : “Lorsqu’un patron de Carrefour se rendait dans un magasin, on faisait briller le supermarché pendant trois jours avant sa visite. A présent, avec les Mestdagh, pas question de dérouler le tapis rouge.”

“Eric Mestdagh, observe-t-elle encore, passe bien auprès de ses collaborateurs. Il a un petit côté paternaliste qui est rassurant – quand il y a un problème dans un magasin, il va sur le terrain et retrousse ses manches – mais qui peut être aussi pesant.”

Champions dans leur région

L’objectif 2011, précisent les deux hommes, est de définir le concept Carrefour Market de demain (qui remplacera définitivement l’enseigne Champion pour fin 2013) “en prenant le meilleur de Champion, de Carrefour Market France et de Carrefour Market en Belgique” et de le tester dans deux ou trois magasins-pilotes.

Pour ce faire, ils comptent bien sur la collaboration de Gérard Lavinay, le directeur exécutif de Carrefour Belgium avec lequel, disent-ils, ils ont pu construire une relation de confiance. “Nous espérons qu’il va rester en Belgique, le temps que l’on y construise ensemble l’enseigne Carrefour Market et que l’on en fasse une référence en matière de supermarché.” C’est que dans le contrat de reprise qui a été signé, confie le duo, nombre de points ne sont pas écrits noir sur blanc et sont basés sur des accords oraux convenus avec lui et son équipe !

Même si le “Petit Poucet wallon de la distribution” vient de démontrer qu’il avait de l’appétit, devenir le plus gros distributeur du sud de la Belgique n’a jamais été sa préoccupation première.

Malgré le rachat des 16 magasins Carrefour, Mestdagh demeure un nain sur le marché belge. Sa part dans le total des achats alimentaires n’y est toujours que de 3,6 % (contre 2,6 % auparavant)… Soit huit fois moins que celle de Delhaize et Colruyt.

Mais pour les deux frères, ce qui importe c’est la part de marché locale. Et dans leur fief carolo, les Mestdagh sont de vrais champions ! Reste à présent à prouver qu’ils peuvent briller dans les anciens GB. Et si, d’ici trois ans, ils sont parvenus à redonner un coup de jeune et du lustre à ces supermarchés tout en les amenant aux mêmes standards de rentabilité que Champion, nos Managers de l’Année 2010 auront réalisé un véritable coup de maître !

Sandrine Vandendooren

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