Ferdinand Piëch, stratège génial ou vieil homme aigri?

Ferdinand Piëch © AFP

Dans treize jours, Ferdinand Piëch fêtera son quatre-vingtième anniversaire. Jusqu’il y a deux ans, le petit-fils du légendaire Ferdinand Porsche était président du conseil de surveillance de Volkswagen et omniprésent dans les médias. Depuis, il s’est retiré près de Salzbourg. La nouvelle du jour, c’est qu’il va vendre ses actions VW. Il est question d’une transaction d’un milliard d’euros.

Comment va Ferdinand le Tout-Puissant? Personne ne peut répondre à cette question. L’homme figurait parmi les managers automobiles les plus puissants du monde. Au sein du groupe Volkswagen, sa volonté était loi. Gros actionnaire du plus grand constructeur automobile du monde, le président était aussi multimilliardaire. Le patriarche de Wolfsburg était tout-puissant, admiré pour son génie technique et son intelligence stratégique et craint pour sa mentalité froide de tueur. Lorsqu’au printemps 2015, un informateur israélien l’a informé des pratiques de magouilles de VW aux États-Unis, il s’est distancé publiquement de son successeur probable et ami de longue date Martin Winterkorn. À peine six mois plus tard, il démissionne (sous contrainte) du poste de président de Volkswagen, nanti, il est vrai, d’une belle indemnité de licenciement.

Stratège brillant

Piëch est resté hors d’atteinte, comme en 2008. Il semblait alors que le petit constructeur de voitures de sport Porsche allait reprendre le géant Volkswagen. David qui triomphe de Goliath. Le président du conseil de surveillance de Volkswagen AG, également gros actionnaire de Porsche, était d’accord. Le monde extérieur n’a rien compris.

Le coup aurait considérablement enrichi les familles Porsche et Piëch. Or, lors de l’assemblée des actionnaires décisive, Ferdinand Piëch a changé inopinément son fusil d’épaule. À la grande fureur de ses cousins de la famille Porsche, il a poignardé le président de Porsche Wendelin Wiedeking dans le dos et a sabordé le rachat.

Quelques semaines plus tard, on a appris que le directeur de Porsche Wiedeking avait monté des constructions financières risquées pour financer le rachat. Son mentor Piëch avait flairé le danger et empêché à la dernière minute à Porsche et Volkswagen de subir des dommages irréparables. Quelques années plus tard, la Porsche Automobil Holding SE a fini par acquérir la majorité des actions de capital de Volkswagen, cette fois de façon légale, mais incompréhensible pour le monde extérieur. Un énième coup de maître du superstratège Ferdinand Piëch qui une nouvelle fois réussit à concilier les deux familles.

Quelle mouche a piqué le vieil homme sage?

Le scandale diesel a déjà coûté plus de 30 milliards et le dernier mot au sujet des amendes et des dommages et intérêts n’a pas encore été dit. La facture sera probablement beaucoup plus élevée, et aura bien entendu un impact sur la Porsche Automobil Holding SE qui détient 52,2% des actions Volkswagen. Via ce holding Ferdinand Piëch possède 7,2% des actions de VW, ce qui lui a permis de devenir multimilliardaire. Pour éviter que ses enfants – douze au total – se disputent son héritage après sa mort, il a placé sa fortune dans deux constructions à la structure compliquée. Cette construction doit éviter qu’un ou plusieurs de ses enfants vendent leurs actions à d’autres personnes.

Le scandale autour du diesel a entraîné de nouvelles discussions envenimées entre les deux familles et a incité Piëch à vendre ses actions Volkswagen. S’agit-il d’un nouveau coup stratégique ou d’une réaction de fureur d’un vieil homme aigri ? Quelques jours avant son 80e anniversaire, le patriarche a conclu un accord sur la vente de ses actions aux actionnaires familiaux. Il est question d’une transaction d’un milliard d’euros.

Le petit-fils du légendaire Ferdinand Porsche

Qui est l’homme considéré comme le manager automobile le plus influent de ces cinquante dernières années? Né le 17 avril 1937 à Vienne, Ferdinand Piëch est le troisième enfant de l’avocat viennois Anton Piëch et de Louise Porsche, fille de Ferdinand Porsche, le père spirituel de la légendaire Volkswagen Coccinelle.

Son petit-fils Ferdinand Piëch passe son enfance dans un pensionnat suisse et étudie la construction mécanique à l’École polytechnique de Zurich. Grâce à son travail de fin d’études sur le développement d’un moteur de Formule 1 en 1963, le jeune ingénieur décroche un job dans le département développement de Porsche. Son premier projet est un coup dans le mille. La Porsche 917 – un modèle de course de 1100 chevaux – gagne toutes les courses d’endurance en Europe et aux États-Unis.

Le génie technique et l’esprit tactique du jeune Piëch forcent le respect, mais son désir presque maladif de perfection et d’efficacité lui fait beaucoup d’ennemis. Son cousin Ferdinand Alexander Porsche – le père spirituel de la Porsche 911 – est un allié fiable et intelligent, mais une décision du conseil de famille Porsche les éjecte de la direction opérationnelle de l’entreprise.

Par la force des choses, Ferdinand Piëch entre chez Audi NSU en 1972. On lui permet de développer de nouveaux modèles et moteurs. En 1976, il lance l’Audi 100 5E, la première voiture particulière équipée d’un moteur à essence cinq cylindres. Ensuite, il conçoit un moteur diesel à injection directe (TDI) et un système novateur à traction intégrale. Pilotée par Walter Röhrl, l’Audi Quattro écrase la concurrence et remporte le Championnat du monde de rallye.

En 1993, Ferdinand Piëch entame une nouvelle étape dans sa carrière. Soutenu par le syndicat, il est élu président de Volkswagen AG. Il promet de faire de Volkswagen le numéro un en Europe, alors en mauvaise posture. Le nouveau président en attribue publiquement la responsabilité de la direction VW de l’époque : 23 cadres supérieurs perdent leur boulot. Pour réduire les coûts et augmenter l’efficacité, il oblige les quatre marques (Audi, Seat, Skoda en VW) à plus de coopération. Pour générer plus de synergie, il faut augmenter le nombre de pièces communes et réduire le nombre de plateformes de production.

Ferdinand Piëch ne souhaite pas uniquement vendre plus de voitures et engager plus de bénéfices, il aspire à plus de considération dans le monde pour Volkswagen. VW construit de nouvelles usines en Amérique et en Asie et rachète Bentley, Bugatti et Lamborghini. Il demande aux ingénieurs Bugatti de construire une super voiture de sport qui ferait de l’ombre à Ferrari. Aussitôt dit, aussitôt fait. La Bugatti Veyron – équipée d’un moteur 1000 chevaux capable d’atteindre plus de 400 kilomètres à l’heure – devient le nouveau critère. Coût à la pièce : 5 millions d’euros, prix de vente à la pièce : 1,2 million d’euros. Le président demande également de construire une limousine luxueuse capable de concurrencer la BMW 7 et la Mercedes S, mais la Phaeton se révèle un flop commercial.

Après que Volkswagen soit devenu le numéro en Europe, Piëch souhaite également devenir numéro un dans le monde. Et c’est ce qui est arrivé.

Frau Ursula

Heureux en business, malheureux en amour. Ferdinand Piëch s’est marié quatre fois, dont une fois avec sa cousine et la dernière fois en 1984 avec l’Autrichienne Ursula Plasser. En 1982, la jeune femme blonde (née en 1956) entre au service de la famille pour s’occuper des enfants et conquiert le coeur du père de famille. Le couple a trois enfants, ce qui porte le nombre de fils et filles de l’entrepreneur à douze.

Ferdinand Piëch et son épouse Ursula Plasser
Ferdinand Piëch et son épouse Ursula Plasser© AFP

Dans les médias, rien ne filtre sur les noms, la profession ou la vie privée des enfants Piëch pour la simple raison que quiconque porte atteinte à leur vie privée, se heurte à Ferdinand en personne et ses avocats. Et généralement, cela se termine mal.

En revanche, Frau Ursula a déjà fait couler beaucoup d’encre, et généralement au sens positif. Elle est la femme de confiance de son époux et intervient régulièrement comme conseillère. Il est plus que probable que la décision de vendre les actions VW vienne d’elle. Après le décès de son mari, ce sera probablement elle qui sera chargée des deux fondations dans lesquelles le patriarche a placé ses milliards – à condition qu’elle ne se remarie pas. C’est ce qu’a décidé Ferdinand le Tout-Puissant, qui entrera dans l’histoire comme l’un des managers automobiles les plus influents de ces cinquante dernières années. Il ne porte pas le nom de famille Porsche, mais il est sans aucun doute le descendant le plus authentique de Ferdinand Ier.

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