Areva : fin de règne pour “Atomic Anne”

© Reuters

Après des mois de suspense et de supputations, c’est officiel : Anne Lauvergeon ne sera pas reconduite à la présidence du géant nucléaire Areva. Coup dur pour “Atomic Anne”, qui était la seule femme à diriger une multinationale française.

Après des mois de suspense, le gouvernement français a décidé jeudi de ne pas reconduire Anne Lauvergeon à la tête du géant nucléaire Areva, lui préférant Luc Oursel, actuel directeur général délégué. C’est un coup de tonnerre pour “Atomic Anne”, qui avait fait campagne activement pour sa reconduction.

Pourquoi la question de la succession d’Anne Lauvergeon a-t-elle fait tant de bruit ?

Parce qu’Anne Lauvergeon a fait d’Areva une entreprise grand public

Lorsqu’elle finit par faire accepter aux pouvoirs publics un scénario de refonte totale du nucléaire français (par la fusion de CEA Industrie, Cogema et Framatome), qui la place à la tête du consortium, l’image du secteur est déplorable et poussiéreux. Avec la création d’Areva, Anne Lauvergeon est bien décidée à redorer la filière.

Dès qu’elle arrive dans l’entreprise, elle n’hésite pas à placer des webcams au coeur de l’usine de La Hague, histoire de jouer la transparence. En l’espace de 10 ans toute la communication du groupe est repensée, voire pensée tout court. A grand coup de campagnes publicitaires, Areva se fait connaître du grand public, pour devenir un acteur incontournable de l’énergie en France, et l’un des joyaux du patrimoine industriel français.

L’autre coup de maître d’Anne Lauvergeon aura assurément été de lier son image à celle de l’entreprise. Et donc de rendre la tâche très difficile à quiconque voudrait la remplacer ou la faire remplacer…

Parce qu’elle tient tête à Henri Proglio…

… Et à tout le monde en général. Ce petit bout de femme de 51 ans n’a en effet pas volé son surnom d'”Atomic Anne”. Pour défendre sa vision de la filière nucléaire, elle a dû faire face aux géants de l’énergie comme François Roussely (alors patron d’EDF) et Patrick Kron (patron d’Alstom), qui nourrissaient alors des projets bien différents pour le fleuron du nucléaire français. Au fil du temps, la liste de ses ennemis s’allonge. Tout comme celle de ses admirateurs, d’ailleurs. Depuis plusieurs années, elle figure parmi les femmes les plus puissantes du monde selon le magasine Fortune. Ses proches la disent incorruptibles, ses détracteurs la jugent tenace, voire bornée.

Plus récemment, c’est avec Henri Proglio que les tensions étaient les plus vives. En 2009, à peine arrivé chez EDF, il prend publiquement position contre le modèle intégré d’Areva. Depuis la querelle entre les deux, n’a jamais cessé. Pour certains observateurs, c’est parce qu’il est nécessaire de trouver une personnalité Proglio-compatible à la tête d’Areva qu’Anne Lauvergeon était désormais en danger.

Parce qu’elle s’est brouillée avec Nicolas Sarkozy

Les relations d’Anne Lauvergeon avec Nicolas Sarkozy étaient notoirement tendues. En 2007, il n’a pas dirigé le refus de la patronne d’Areva d’entrer au gouvernement. Plutôt classée à gauche, Nicolas Sarkozy misait sur elle pour symboliser l’ouverture. Depuis, les difficultés d’Areva -retards d’EPR, échec d’Abou Dhabi, etc. – n’avaient certainement rien arrangé.

Parce que son entreprise est hyper-stratégique

En France, le nucléaire, c’est sacré – même Fukushima n’a pas ébranlé la conviction des politiques – mais aussi ultra-stratégique. Depuis que le pays a fait le choix de l’atome, les gouvernements successifs ont toujours voulu faire du nucléaire l’une des grandes puissances industrielles hexagonales. Un projet revisité récemment par Nicolas Sarkozy.

Mais vouloir faire du nucléaire la vitrine de la France à l’international suscite les convoitises, et nourrit les guerres de pouvoir. Depuis plus d’un an et demi, les noms des candidats défilaient inlassablement dans les médias : des proches de Proglio, comme Marwan Lahoud (EADS) et Alexandre Djouhri, d’anciens ministres comme Anne-Marie Idrac. Ce jeudi, c’était le nom de Luc Oursel, directeur général délégué d’Areva, qui faisait figure de favori selon La Tribune. Bien vu.

Parce que c’est une femme ?

L’analyse est certainement un peu courte mais, jusqu’à présent, la plupart des médias évoquant la succession d’Anne Lauvergeon ne manquaient pas de souligner qu’elle était la seule femme à diriger une multinationale française. Depuis qu’elle dirigeait Areva, “Atomic Anne” incarnait le modèle de la réussite française au féminin. De quoi rendre son éviction plus difficile.

Selon une énième histoire sans source, un ministre qui la sommait de sanctionner certains cadres de son groupe se serait un jour vu répondre : “Vous ne pouvez pas me virer, je suis une icône dans ce pays.”

Julie de la Brosse, L’Expansion.com

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