Une ferme pleine de vie

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Décharger les indépendants de toutes tâches administratives, financières et commerciales pour leur permettre de développer des activités rurales viables. Utopiste ? Pas vraiment. C’est en tout cas le pari de la Ferme de Froidefontaine qui réunit en un même lieu une poignée de petits producteurs.

En cette fraîche matinée printanière, le cadre bucolique du Namurois est sublimé par un agréable et doux soleil. Les champs se succèdent à perte de vue au creux d’un paysage vallonné, tandis qu’un long chemin étroit mène à la Ferme de Froidefontaine. Le lieu semble encore endormi. Seuls le chant des oiseaux, le bêlement des moutons et le caquètement des poules brisent le silence. Jusqu’à ce crissement de pneus sur les gravillons. Un utilitaire se gare dans la basse-cour. En descend Alexis de Liedekerke, seul habitant des lieux. Il revient d’une livraison. ” Nicolas, qui se charge de la distribution, n’était pas disponible aujourd’hui, lâche le jeune homme. Du coup, j’ai pris le relais et livré quelques caisses de cidre dans les environs. ”

Le modèle proposé est similaire à celui d’un incubateur qui centralise les moyens utiles et nécessaires pour permettre aux entrepreneurs de développer au mieux leur entreprise.

La Cidrerie du Condroz, installée dans les lieux depuis quelques années déjà, est l’une des six activités sélectionnées à ce jour par Alexis de Liedekerke et ses associés pour intégrer le projet collaboratif et mutualiste porté par la Ferme de Froidefontaine. L’objectif ? Mettre sur pied un modèle innovant et pérenne pour le développement rural. Concrètement, il s’agit de réunir toute une série d’entrepreneurs – complémentaires en termes d’activités – au sein des 5.000 m2 de bâtiments et les 45 ha de la ferme et de leur proposer toute une série de services mutualisés.

Indépendants expérimentés

En janvier 2017, un premier appel à projets était lancé en ce sens. Vingt-six dossiers ont été rendus, une moitié portant sur l’alimentaire, l’autre sur le non-alimentaire. ” Nous nous sommes engagés avec des indépendants qui ont de l’expérience, qui savent ce qu’ils veulent faire et savent le faire, explique l’entrepreneur. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être un espace test. ” L’idée est de regrouper des projets différents afin de développer des synergies et de favoriser le partage de savoir. ” Nous avons envie de faire de cet endroit un haut lieu d’artisanat, d’alimentation et d’accueil. A terme, une quinzaine d’entreprises pourraient s’implanter ici. Nous nous lançons d’ailleurs actuellement dans un deuxième appel à projets. ”

En ce début de printemps, plusieurs activités sont mises en place. Parmi celles-ci : un projet de grandes cultures (production de luzerne, céréales et légumes), des activités de maraîchage (fruits et légumes), l’élevage de poulets de chair ou encore la création de couleurs végétales. D’autres activités devraient être envisagées à court terme. ” Nous sommes notamment en discussion avec des éleveurs de moutons et de porcs, ainsi qu’avec des entrepreneurs actifs dans l’aquaculture, la malterie et l’arboriculture “, confie le porteur du projet.

Les associés de la Ferme de Froidefontaine sont partis d’un constat : dans le monde de l’agriculture biologique ou de l’agroécologie, les entrepreneurs qui veulent faire les choses avec passion, offrir un produit de qualité et respecter une certaine éthique doivent gérer des aspects administratifs, financiers et commerciaux qui sont en dehors de leurs compétences. ” L’indépendant qui se lance dans la production de fromage de brebis doit à la fois s’occuper de son cheptel, être à la fromagerie pour produire son fromage, derrière son bureau pour la paperasserie, et sur le marché le week-end pour vendre sa production, souligne Alexis de Liedekerke. C’est le problème des petits producteurs qui bossent jusqu’à 70 heures/semaine pour au final ne dégager que très peu de revenus. Avec mon ami et associé Florian Delespesse, nous avons eu envie d’apporter notre pierre à l’édifice et de participer activement à la transition du modèle agricole en Belgique. Pendant un an, nous avons structuré la réflexion et lorsque l’opportunité de reprendre la ferme s’est présentée, nous avons sauté sur l’occasion pour développer un projet qui consiste à rassembler les différents producteurs, artisans et petites industries de la région. ”

A Havelange, six producteurs ont déjà intégré le projet collaboratif et mutualiste de la Ferme de Froidefontaine.
A Havelange, six producteurs ont déjà intégré le projet collaboratif et mutualiste de la Ferme de Froidefontaine.© pg

Un incubateur agricole

L’idée développée dans le Namurois est donc de créer un nouveau modèle de ferme ou une nouvelle façon d’imaginer les fermes pour que de tels acteurs puissent s’en sortir et développer une activité viable. Le modèle proposé est similaire à celui d’un incubateur, qui centralise les moyens utiles et nécessaires pour permettre aux entrepreneurs de développer au mieux leur entreprise.

La Ferme de Froidefontaine entend ainsi donner un accès long terme à ses terres et aux infrastructures apportées et mises en commun par les différents indépendants. Elle assure par ailleurs un canal de vente et de distribution commun offrant une bonne visibilité et assurant des débouchés. ” Une coopérative a été créée à cet effet, explique Alexis Liedekerke. Elle assure la vente en cycle court des produits issus de la ferme. Ils seront directement vendus sur place ou dans des magasins locaux. L’idée est de vendre tout sous une identité commerciale commune. ”

Le modèle assure un accompagnement personnalisé dans le développement des activités mais aussi surtout la mutualisation de services divers tels que la gestion administrative, financière et comptable. Il offre également un accompagnement personnalisé et des solutions de financement adaptées (subsides, prêts, crowdfunding, épargne publique pour laquelle les investisseurs peuvent bénéficier du tax shelter, etc.). Voilà pour le package complet.

” Business model ”

” Nous avons individualisé chaque activité pour la cloisonner de manière économique et juridique tout en intégrant certaines interdépendances, de manière à ce que la collectivité ne paie pas les pots cassés si une activité ne fonctionne pas “, explique Gaëtan Seny, le troisième associé de Froidefontaine. La ferme s’octroie une proportion du chiffre de vente pour se rétribuer, un chiffre qui est discuté avec chaque indépendant. ” Quels sont ses besoins pour vivre ? Quels sont ses coûts de revient ? Est-ce que dans ce schéma-là, la ferme peut vendre le produit et s’en sortir économiquement ? Il s’agit d’une discussion commune avec les différents producteurs, poursuit Gaëtan Seny. Ensemble, il faut que l’on puisse s’aider à atteindre nos objectifs. S’ils meurent, nous mourrons. ”

Pour diversifier les rentrées financières de la ferme, des activités pédagogiques et d’accueil sont en phase de développement. Le gîte et deux habitats insolites seront également proposés dans le courant du mois de mai. ” Nous allons organiser des stages, des séminaires, des team buildings, s’enthousiasme le porteur du projet. Nous aimerions lancer des chantiers participatifs et mettre en place une réserve écologique dans le fond de la vallée. ”

La vision de cette ferme pleine de vie ne porte donc pas sur les rendements totaux. Vu sa taille réduite, impossible pour elle de se comparer à une exploitation voisine de 250 ha. ” Il est difficile d’avoir une activité rentable sur une telle surface avec les techniques et pratiques généralement utilisées au sein des grandes exploitations, précise Gaëtan Seny. Même si les micro-fermes écologiques peuvent avoir des rendements à l’hectare plus élevés que ceux obtenus dans les fermes exploitant de grandes surfaces avec des modes d’exploitation classiques. ” Pour Alexis de Liedekerke, pas de doute, ” pour pouvoir s’en sortir, la petite ferme doit innover et diversifier ses produits et ses services “. Il s’agit donc de jouer sur la complémentarité des diverses activités. ” On pourrait imaginer que les déchets de la cidrerie, à savoir la pulpe de pommes, nourrissent les animaux de la ferme, explique le jeune homme. On pourrait aussi assécher la pulpe et en faire de la farine pour la fabrication de biscuits, par exemple. ” Dans le même ordre d’idée, des synergies sont appelées à se développer entre les activités de maraîchage (production de fruits et légumes) et l’élevage de volailles. Poules et poulets fertiliseront et réduiront la quantité de parasites (oeufs de limaces) des cultures, tandis que les déchets de culture permettront de nourrir les volatiles, réduisant ainsi les coûts.

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