Un travail d’orfèvre!

GAUTHIER, MICHEL ET THIERRY MERTENS Ce n'est qu'en 2007, suite à une remarque d'une gouvernante du Palais qui s'étonnait de ne pas voir l'Atelier Mertens estampillé Fournisseur de la Cour, qu'ils le sont devenus. © HATIM KAGHAT

Depuis la fin du 19e siècle, le patronyme Mertens est synonyme d’artisanat de qualité dans le domaine de l’orfèvrerie et de tous les métiers associés. Un savoir-faire qui se perd et ne s’apprend que sur le tas, qui attire toujours les clients et que l’émission de télé française “Affaire conclue” a projeté habilement sous les feux de la rampe.

Extérieurement, l’Atelier Mertens ne paie pas de mine. Sis rue Berthelot à proximité du Wiels et de la gare du Midi à Bruxelles, il recèle pourtant un savoir-faire rare et qui se perd en Belgique: l’orfèvrerie. Cet atelier est l’un des derniers où se pratique quasiment l’ensemble des métiers afférents: dorure, argenture, réparation, soudure, polissage, etc. Un savoir-faire que la famille cultive depuis la fin du 19e siècle. Pas étonnant, dès lors, que cet atelier ait été choisi par Stéphane Vanhandendoven, l’antiquaire de la rue Blaes, pour réparer ou restaurer les achats réalisés au cours de l’émission française Affaire Conclue, diffusée aussi en Belgique. Les caméras de l’équipe de Sophie Davant sont d’ailleurs fréquemment présentes dans l’atelier pour filmer l’évolution des pièces achetées.

J’ai quelques clients qui envoient leur chauffeur avec des pièces, ne demandent pas de devis et veulent juste que ce soit fait comme pour le Roi ou la Reine.

Restauration et fabrication

A l’entrée de l’atelier, trône un grand tableau noir. Il est rempli de noms de famille: la liste des clients qu’il faut satisfaire ce jour-là. A l’évidence, chez les Mertens, on n’a pas le temps de bayer aux corneilles. Là, un ouvrier s’affaire sur la création d’une série de boucles d’oreille fantaisie en métal destinées à un prochain défilé de Natan, la maison belge de haute couture. Il travaille aussi sur la galvanisation d’une trame de jute tressée, mise en forme et destinée à une sculpture. Là un autre s’active sur une paire de girandoles, des candélabres aux allures de lustre. Elles vont être démontées et décapées pour mettre le métal originel à nu. Le laiton et le bronze découverts vont alors être repolis pour enlever les griffes et leur redonner de la brillance avant de partir au bain d’argent ou d’or. Dans un coin, trônent deux magnifiques cafetières en porcelaine du 18e siècle. Des pièces qui peuvent atteindre 6.000 ou 7.000 euros mais dont il faut ici refaire les pieds en métal. Un autre ouvrier prépare la soudure d’un vieux chandelier en argent massif. L’idée est de refaire la partie abîmée et de la patiner pour que la réparation soit invisible. Tout au bout de l’atelier, tourne un banc à repousser, un outil essentiel en orfèvrerie qui permet de mouler des feuilles de métal sur un mandrin qui correspond à la forme définitive de la pièce. De nos jours, la restauration d’objets anciens occupe 90% du temps de l’atelier.

RESTAURATION D'UNE GIRANDOLE
RESTAURATION D’UNE GIRANDOLE “Tous mes ouvriers sont présents depuis des années. Ils ont tout appris ici. Yasek polissait des instruments chirurgicaux en Pologne, avant de venir en Belgique.”© HATIM KAGHAT

“La création a diminué au cours du temps, explique Thierry Mertens, le représentant de la quatrième génération aux commandes de l’atelier. Mais nous avons encore des clients qui désirent des pièces uniques et artisanales. Dans certaines familles, disposer de ses propres couverts et plateaux avec ou sans armoiries demeure une tradition et il y en a plus qu’on ne le pense. C’est un cadeau de mariage qui demeure fréquent. Il est tout aussi fréquent de devoir refaire à l’identique des pièces émargeant d’anciennes ménagères devenues incomplètes. De telles ménagères dépassent vite 15.000 euros quand elles sont complètes. Alors, cela vaut le coup de refaire un couteau ou une cuillère, même à 250 euros pièce chez nous. Ceci dit, la structure de la clientèle a changé. Avant, nous avions beaucoup d’antiquaires qui venaient faire restaurer leurs meubles avec bronzes ou leurs pièces d’orfèvrerie avant de les exposer. Ils nous apportaient des caisses entières à dorer ou à argenter mais ce marché-là est en perte de vitesse. A leur place sont arrivés les particuliers qui achètent en ligne ou dans les salles de vente. Les meubles avec bronzes sont passés de mode mais les émissions culinaires ont remis les couverts et la belle argenterie de table au goût du jour.”

RESTAURATION D'UNE GIRANDOLE
RESTAURATION D’UNE GIRANDOLE “Tous mes ouvriers sont présents depuis des années. Ils ont tout appris ici. Yasek polissait des instruments chirurgicaux en Pologne, avant de venir en Belgique.”© HATIM KAGHAT

Fournisseur de la Cour

Depuis leurs débuts, les Mertens, vu leur savoir-faire, ont travaillé pour la monarchie belge. Pourtant, ce n’est qu’en 2007, suite à une remarque d’une gouvernante du Palais qui s’étonnait de ne pas les voir estampillés Fournisseur de la Cour, qu’ils le sont devenus. A tout le moins Thierry Mertens puisqu’il s’agit d’un brevet décerné à titre personnel au chef de l’entreprise. Ce brevet a été renouvelé en 2013 lors de l’accession de Philippe sur le trône. Thierry Mertens fréquente les allées du Palais royal ou du château de Laeken depuis des années. Au gré des travaux à effectuer ou des devis à remettre. Il a même donné des formations au personnel de la Cour sur l’entretien de l’argenterie.

RESTAURATION D'UNE GIRANDOLE
RESTAURATION D’UNE GIRANDOLE “Tous mes ouvriers sont présents depuis des années. Ils ont tout appris ici. Yasek polissait des instruments chirurgicaux en Pologne, avant de venir en Belgique.”© HATIM KAGHAT

“Je suis aussi allé chez la princesse Astrid pour une estimation, se souvient-il. C’est certain que ce brevet de Fournisseur de la Cour attire le chaland. J’ai quelques clients qui envoient leur chauffeur avec des pièces, ne demandent pas de devis et veulent juste que ce soit fait comme pour le Roi ou la Reine. Véridique. Nous avons patiemment bâti un réseau sur la base de notre sérieux et de notre savoir-faire. Le bouche à oreille est notre meilleure publicité. Même si mon fils, qui travaille désormais avec moi à l’atelier, m’a convaincu de payer pour être référencé sur Google. Je n’avais jamais payé pour de la pub avant ( rires). Ce savoir-faire a fait de nous le restaurateur officiel de Christofle pour le Benelux, la Suisse et la Scandinavie. Les représentants de cette grande maison ont même fait le déplacement pour nous apporter un poinçon destiné à garantir nos restaurations. Nous travaillons pour toutes les bijouteries du Luxembourg et pour beaucoup de leurs collègues belges. Evidemment, l’émission Affaire Conclue nous a aussi fait beaucoup de bien. Sans oublier la pandémie. Les gens ont eu tout le loisir de ranger leurs caves et leurs greniers et nous avons été submergés de demandes de restauration. Singulièrement depuis le début de l’année.”

QUAND UNE MÉNAGÈRE EN ARGENT valant jusqu'à 15.000 euros se révèle incomplète,
QUAND UNE MÉNAGÈRE EN ARGENT valant jusqu’à 15.000 euros se révèle incomplète, “cela vaut le coup de refaire un couteau ou une cuillère, même à 250 euros pièce chez nous”, confie Thierry Mertens.© HATIM KAGHAT

A côté de ces travaux pour les particuliers, l’Atelier Mertens met aussi ses talents au service de collectivités. Il est passé maître dans la restauration d’objets du culte comme les ostensoirs, les encensoirs et autres osculatoires. La société est aussi fréquemment sous-traitante pour Monument Hainaut, une entreprise spécialisée dans la restauration et la rénovation, notamment de bâtiments classés.

“J’ai aussi participé à la rénovation du cimetière de Laeken, se rappelle Thierry Mertens. Ce fut un chantier gigantesque pour redonner du lustre au plus ancien cimetière bruxellois qui abrite quand même de magnifiques oeuvres d’art signées Rodin ou Salu. L’Atelier Mertens a rénové les gros boutons en bronze présents dans les caveaux. Nous avons sûrement refait à l’identique plus de 500 pièces. Nous sommes également intervenus pour rénover les portes d’entrée en bronze de certains caveaux. Quand c’était possible, nous les avons démontées et ramenées à l’atelier.”

Cinq générations

Clairement, l’Atelier Mertens fait montre d’un savoir-faire qui se perd en raison de la production de masse et des changements de mode. L’aventure démarre à la fin du 19e siècle, dans les années 1880. L’arrière-grand-père de Thierry Mertens est alors ouvrier orfèvre chez Chocat. Suite à des soucis de transmission, on lui propose de reprendre l’affaire. L’atelier Mertens-Chocat est né. Il existe encore aujourd’hui mais à un moment de l’histoire, la famille s’est dédoublée.

“Mon grand-père était fils unique, confie Thierry Mertens, mais il a eu trois fils. Ils ont travaillé ensemble pendant très longtemps. J’ai commencé à 14 ans et demi chez mon père et mes oncles en contrat d’apprentissage. A 19 ans, je m’apprêtais à rentrer comme ouvrier chez eux quand j’ai eu l’occasion de reprendre une affaire. Mon papa m’a aidé financièrement. C’est à ce moment-là qu’est né l’Atelier Mertens, la société Mertens-Chocat continuant parallèlement. Après quelques années, j’ai vraiment eu trop de travail et mon papa, Michel, a décidé de vendre ses parts à ses frères pour me rejoindre. La transmission suivante est assurée puisque mon fils Gauthier travaille déjà avec moi. L’Atelier Mertens est l’un des derniers ateliers généralistes de Belgique. Je ne grave ni ne fond. Mais j’ai cinq fondeurs attitrés à qui je fais régulièrement appel. Ils travaillent sur base d’un moulage silicone-cire que je réalise. Mes oncles aussi font encore presque tout mais ils sont devenus beaucoup moins actifs dans la dorure et l’argenture.”

L'UN DES DERNIERS ATELIERS où se pratique quasiment l'ensemble des métiers afférents: soudure, argenture, réparation, dorure, polissage, etc.
L’UN DES DERNIERS ATELIERS où se pratique quasiment l’ensemble des métiers afférents: soudure, argenture, réparation, dorure, polissage, etc.© HATIM KAGHAT

Un emploi à vie

Aujourd’hui, l’Atelier Mertens emploie six personnes. Sans compter Michel Mertens qui hante encore fréquemment les lieux quand il est en Belgique. L’orfèvrerie sous toutes ces facettes ne s’apprend plus à l’école. Il n’y a qu’une seule solution: apprendre sur le tas dans un atelier spécialisé. Chez les Mertens, les fils ont toujours su tout faire. Ce qui correspond à une formation de sept à dix ans suivant les cas.

“Ce n’est qu’aux alentours de 24-25 ans que j’ai vraiment tout maîtrisé, se souvient Thierry Mertens. Mon fils suit mes traces. C’est normal que nous sachions tout faire car c’est essentiel pour faire un devis correct et estimer le temps nécessaire à la réparation ou à la création d’une pièce. Et puis, il s’agit aussi de perpétuer un savoir-faire familial. La formation sur le tas et l’absence d’écoles rend la main-d’oeuvre très difficile à trouver. Tous mes ouvriers sont présents depuis des années. Ils ont tout appris ici. Yasek est Polonais, il polissait des instruments chirurgicaux dans son pays d’origine avant de venir en Belgique. Des Belges qui acceptent de polir, vous n’en trouvez plus. Robert avait fait un stage de bijouterie en Croatie avant d’arriver en Belgique. Il a appris l’orfèvrerie avec moi. Vingt ans plus tard, il pose toujours des questions. Nous faisons un métier qui change tous les jours. Une pièce n’est pas l’autre, un métal n’est pas l’autre, les épaisseurs varient et imposent des techniques de soudure différentes. Et avec des pièces de collection, pas question de se louper. J’ai coutume de dire que les gens qui rentrent chez moi ont un boulot à vie et une bonne paie pour un ouvrier. Et, en plus, je leur apprends un métier.”

DANS UN COIN DE L'ATELIER, une magnifique cafetière en porcelaine du 18e siècle dont il faut refaire le pied en métal.
DANS UN COIN DE L’ATELIER, une magnifique cafetière en porcelaine du 18e siècle dont il faut refaire le pied en métal.© HATIM KAGHAT

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