Un rouble sciemment affaibli

Un mois à peine après l’étonnante baisse du taux de fin mars, la Banque centrale russe a à nouveau abaissé son taux à court terme, cette fois d’un demi-point de pourcentage, à 9,25 %. Fin mars, le taux avait été abaissé de 0,25 point de pourcentage, passant de 10 à 9,75 %. Les baisses de taux rendent le rouble moins attrayant pour les carry traders, ces investisseurs qui empruntent à des conditions favorables en dollar, en yen et en euro pour réinvestir dans des monnaies à haut rendement les montants qui leur sont prêtés. La Banque semble ainsi répondre à l’appel du gouvernement Poutine, qui souhaite affaiblir le rouble.

Le rouble s’est nettement apprécié depuis début 2016, lorsqu’il était retombé à un niveau plancher de 80 roubles pour un dollar. Depuis, la monnaie russe a gagné quelque 40 % par rapport au billet vert, et 45 % par rapport à l’euro. Outre le regain d’intérêt des investisseurs pour les pays émergents, le redressement des cours du pétrole n’est pas étranger à la hausse spectaculaire du rouble. Le pétrole et le gaz représentent 60 % des exportations russes.

” Stabilisation ”

À présent que l’or noir s’est stabilisé autour de 50 dollars, toute hausse du rouble réduit la valeur des revenus pétroliers et gaziers libellés en dollar. Ces derniers temps, le gouvernement russe en a dès lors appelé avec une insistance grandissante à une ” stabilisation ” du rouble. Une stabilisation qui n’en a que le nom : on évoque un cours de change de 60 à 65 roubles par dollar, ce qui représenterait une dépréciation d’environ 10 % par rapport au cours de change actuel. Pour l’instant, il ne s’agit que de rhétorique, mais peut-être pas pour longtemps. Le gouvernement russe voudrait intervenir directement sur le marché des changes. La Banque centrale russe continue cependant à s’abstenir de toute ingérence directe sur le marché des changes (sa dernière intervention date de 2015, lorsqu’elle avait affaibli le rouble en achetant des devises étrangères). En 2014, la Banque s’était vue contrainte de lâcher la parité fixe après que ses réserves de devises étrangères ont baissé de 20 % en un an (à moins de 400 milliards de dollars).

La Banque centrale russe dispose cependant d’une autre arme pour affaiblir le rouble : les taux d’intérêt, qui déterminent directement la rémunération que recevront les investisseurs sur leurs obligations en rouble. Plus les taux sont bas, moins le rouble est attrayant et moindre est la demande de roubles à l’étranger. L’été dernier, le taux russe à court terme s’élevait encore à 11 %. Aujourd’hui, il a déjà baissé à 9,25 % et les économistes prévoient un recul à 8,5 % cette année. Le fait que l’inflation, retombée à 4,3 % en mars (contre 4,6 % en février), se rapproche de l’objectif de 4 % procure à la Banque centrale un argument supplémentaire pour poursuivre la baisse des taux. Sa prochaine réunion est prévue à la mi-juin.

Dollar attrayant

Un autre facteur qui entraîne un affaiblissement du rouble (et d’autres monnaies de pays émergents) est l’abandon progressif par la Banque centrale américaine (ou Réserve fédérale) de sa politique monétaire extrêmement souple. Le maintien d’une politique monétaire expansionniste l’an dernier avait permis aux investisseurs de redécouvrir les pays émergents comme destination à haut rendement pour leurs capitaux. La Réserve fédérale a cependant relevé à deux reprises son taux à court terme ces six derniers mois, et on s’attend à deux nouveaux relèvements des taux cette année. Les obligations en dollar américain sont donc de plus en plus attrayantes pour les investisseurs, qui retireront en premier lieu leur argent des pays les plus risqués (dont la Russie) pour l’investir en obligations américaines.

Sanctions occidentales

Un des scénarios qui pourrait donner un deuxième souffle au rouble a aujourd’hui perdu en vraisemblance : la suppression accélérée des sanctions occidentales à l’encontre de la Russie instaurées après l’annexion de la Crimée en 2014. Ces sanctions empêchent toute réelle reprise de l’économie russe. L’arrivée de Donald Trump, qui se targuait d’entretenir de bonnes relations avec Poutine, avait laissé espérer une levée rapide des sanctions. Mais les relations entre les deux chefs d’État se sont nettement refroidies depuis.

Il n’est toutefois pas à exclure que les sanctions soient levées plus tôt que prévu. L’Union européenne doit statuer sur une nouvelle prolongation des sanctions de six mois d’ici fin juin. Cela exigerait cependant une décision unanime de tous les États membres. Or en Europe de l’Est l’opposition à une prolongation de sanctions est de plus en plus forte.

Limiter l’exposition

Bien que le risque d’une nouvelle hausse du rouble soit très faible, la monnaie reste attrayante pour les investisseurs conscients des risques. Les rendements sont toujours intéressants, surtout compte tenu de la baisse de l’inflation. Vous pouvez également compter sur une appréciation de la valeur des obligations, car les nouvelles baisses de taux attendues entraîneront mécaniquement une hausse des cours des obligations en rouble existantes. Nous conseillons cependant de limiter votre exposition au rouble – une monnaie de pays émergent à caractère hautement spéculatif.

La BERD 7,5 % 29/11/2019 (RUB) et la BIRD 7,25 % 23/11/20 (RUB) sont deux obligations intéressantes en rouble. Elles offrent un rendement brut de respectivement 7,5 et 8,5 %. Les deux émetteurs (respectivement la Banque européenne et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement) bénéficient des notes de solvabilité les plus élevées.

Le taux russe à court terme reculera probablement encore cette année.

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