Un nouveau départ: la fondation Levi Strauss aide les réfugiés à créer leur entreprise

Emmanuel Legras, CEO de microStart, et Daniel Lee, directeur exécutif de la fondation Levi Strauss. © BELGAIMAGE

Créée en 1952, la fondation Levi Strauss est active dans trois domaines principaux dont la justice sociale. Dans ce cadre, elle soutient en Belgique l’action de microStart, qui accompagne les réfugiés dans la création de leur entreprise. En deux ans, l’ONG anderlechtoise a permis à 250 migrants de se lancer.

Affirmer que la problématique des migrants est prégnante en Belgique est un euphémisme. Après avoir agité notre société pendant des mois, elle a très largement pesé sur les débats électoraux, singulièrement au nord du pays. Avec, souvent, une connotation très négative. Pourtant, de nombreux études (Martin School Oxford, CNRS, etc.) démontrent largement l’impact positif que les réfugiés produisent sur les économies européennes. A l’occasion de la journée mondiale des réfugiés à la fin juin, Daniel Lee, le directeur exécutif de la fondation Levi Strauss, est venu en Belgique pour montrer ces effets positifs et, notamment, la création d’entreprises, et donc d’emplois, par ces réfugiés.

Nombre de réfugiés arrivent chez nous avec de vrais talents et des diplômes. Mais, hélas!, la plupart ne sont pas reconnus.” – Emmanuel Legras, CEO de microStart

” La fondation Levi Strauss partage les mêmes valeurs que sa société mère, explique Daniel Lee. A savoir : originalité, empathie, intégrité et courage. Nous avons la tradition de faire entendre notre voix sur les problématiques sociales qui nous tiennent à coeur et à aider les défavorisés ou désavantagés. Ces prises de position se sont encore affermies avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, très dur sur la question des migrants et des musulmans ou vis-à-vis des droits des LBGT ( lesbiennes, bisexuels, gays et transgenres, Ndlr). La fondation est active sur trois fronts. D’abord la lutte contre le sida – en 1982, nous avons été les premiers à soutenir les malades et les associations. Ensuite, le bien-être des gens qui fabriquent nos produits. Enfin, la justice sociale où la question des réfugiés et des migrants occupe une place importante. Levi Strauss était un migrant. Je suis moi-même le fils de réfugiés qui ont quitté la Corée du Nord. Nos histoires, comme celles de tous les migrants, sont des luttes pour survivre. Avec détermination et envie. C’est cela que nous voulons montrer. ”

Un million de dollars

La fondation Levi Strauss distribue ses fonds à parts égales entre les Etats-Unis et le reste du monde. En deux ans, elle a consacré un million de dollars à la question des réfugiés. Elle a une approche à 360°, désirant apporter du support depuis l’entrée des migrants, moment où ils sont le plus vulnérables, jusqu’à l’obtention d’un job. En Belgique, elle soutient ainsi Convivial, une association belge qui aide à l’insertion des demandeurs d’asile et des réfugiés. Outre une donation en cash (25.000 dollars), la fondation et sa société mère fournissent aussi des vêtements neufs. Les employés du siège européen de l’entreprise, situé à Diegem, y font aussi, quatre fois par an, du volontariat. Elle soutient également le programme ” We Welcome Refugees ” mis en place par le FC Kraainem (30.000 dollars depuis 2017). Le club aide les mineurs non accompagnés arrivés en Belgique à s’intégrer grâce au foot et à l’apprentissage de la langue (des cours de français sont offerts).

“We Welcome Refugees”: un programme du FC Kraainem, que le Roi a aussi visité l’an dernier.© belgaimage

Mais c’est à microStart que la fondation Levi Strauss réserve la majeure partie de son effort : 150.000 dollars depuis 2018. Cette ONG fonctionne avec deux entités : une coopérative sociale et une ASBL. Elle a trois missions. Outre une activité de lobbying et de partenariat avec les autorités, elle octroie des microcrédits à ceux qui n’ont pas accès au crédit bancaire, pour des montants de 15.000 euros maximum (25.000 euros en cas de scale-up). Elle propose, en outre, des services d’accompagnement et de support, des coaches et des formations. Depuis sa création il y a neuf ans, microStart a financé plus de 4.500 entrepreneurs et injecté plus de 35 millions d’euros dans l’économie belge. Ses statistiques sont flatteuses : 75 % des entrepreneurs financés sont toujours actifs après deux ans, soit 13 % de mieux que la moyenne nationale. Le taux d’insertion est tout aussi bon au bout de deux ans : 84 %, soit les 75 % ci-dessus et 9 % correspondant aux personnes qui trouvent un emploi salarié ailleurs ou ont créé une autre activité.

Mais microStart ne prête évidemment pas qu’aux réfugiés. ” Comme Credal, par exemple, nous sommes une société qui fournit du microcrédit, explique le Français Emmanuel Legras, son CEO depuis le mois d’avril. L’an dernier, nous avons financé 650 projets dont 130 étaient portés par des réfugiés. Si on rajoute cette année, on doit tourner autour de 250 entreprises créées par des migrants. Le partenariat avec la fondation Levi Strauss a permis de doper nos activités dans ce domaine. Nous avons pu aider 70 réfugiés entrepreneurs et nous avons aussi engagé un community officer qui nous permet de travailler en direct et dans la langue du demandeur, souvent une terrible barrière à l’intégration au début. Hassan Abo Esmail travaillait pour une banque suisse en Syrie avant d’arriver chez nous ! ”

Actif dans le microcrédit depuis plus de 15 ans, Emmanuel Legras pose un autre regard sur les réfugiés. ” Ce sont des opportunités pour nos pays. Les gens ne s’en rendent pas compte. Nombre d’entre eux arrivent chez nous avec de vrais talents et des diplômes. Mais, hélas ! la plupart ne sont pas reconnus. C’est d’ailleurs l’un des axes de notre travail de lobbying. Je connais de nombreux réfugiés qui sont devenus des chauffeurs Uber parce que leur diplôme de master ou de docteur n’est pas utilisable en Belgique. Ou ce cas d’un ingénieur qui dirigeait 200 personnes dans son pays et qui, chez nous, a ouvert un snack. C’est un peu du gâchis. C’est une vraie richesse qui n’est pas utilisée à bon escient. ”

75 % des entrepreneurs financés sont toujours actifs après deux ans, soit 13 % de mieux que la moyenne nationale.

Beaucoup de restaurants et de commerces

” Les réfugiés sont aussi discriminés sur le marché de l’emploi, renchérit Lens Lapauw, partnership manager chez microStart. Ils n’ont parfois pas d’autres choix que de lancer leur propre entreprise. Ce n’est pas la solution miracle applicable à tous, évidemment, mais c’est sûrement un élément de réponse. Nous finançons ainsi globalement beaucoup de restaurants ou de commerces ainsi que des entreprises de services, notamment dans l’aide aux personnes. Parfois aussi, se montent des projets vraiment originaux comme à Gand où nous soutenons, à hauteur de 13.000 euros, une entreprise d’ upcycling de meubles lancée par un Syrien, auparavant spécialiste de marketing international dans son pays ! Son projet se double d’une volonté de donner du travail à des réfugiés comme lui et des possibilités de formation, notamment en langues. ”

Le restaurant Tamy, repris par Amal Alazzeh et sa fille: soutenu par la fondation Levy Strauss via microStart.
Le restaurant Tamy, repris par Amal Alazzeh et sa fille: soutenu par la fondation Levy Strauss via microStart.© BELGAIMAGE

Les deux spécialistes l’attestent : les sociétés comme microStart ne sont pas assez nombreuses en Belgique tant la demande est forte et les banques frileuses depuis la crise et les nouvelles réglementations. Ceci étant, leur business model est quasi impossible à tenir sans le mécénat ou les subsides publics. Dans le cas de microStart, le modèle hybride (ASBL et coopérative) tire ses revenus de trois sources : les actionnaires pour 30 %, les marges sur le crédit pour 30% et les subsides publics (trois régions du pays, Fonds européen d’investissement, etc.) et le mécénat (fondation Levi Strauss, etc.) pour le solde. ” microStart négocie des lignes de crédit avec ses partenaires financiers, conclut Emmanuel Legras. Principalement, BNP Paribas Fortis qui est aussi notre premier actionnaire. Nous supportons le risque auprès de la banque et nous restituons les sommes accordées en microcrédits. Notre taux est d’environ 8%. C’est plus qu’un prêt professionnel classique mais nous, nous prêtons ! Et nous accompagnons les demandeurs tout au long de leur parcours. Un petit prêt, administrativement, cela coûte autant qu’un gros prêt. Et nous en faisons des centaines chaque année… ”

Si l’activité de sociétés comme micro-Start ou de fondations comme celle de Levi Strauss est si cruciale pour les réfugiés, c’est aussi parce que le politique a failli. ” C’est une certitude, conclut Daniel Lee. Le secteur public et le secteur non marchand ne sont pas inefficaces. Ils sont sous-financés au point de devenir anémiques. Tout n’est pas à jeter non plus. Faire pression sur les gouvernements permet aussi d’obtenir des avancées, notamment en termes d’incitants à la création d’entreprises ou de facilités de taxe les premières années. Vous savez, chez Levi Strauss, nous considérons que la politique n’est plus taboue dans le business. Une société comme la nôtre doit utiliser sa voix et sa force pour peser sur le débat… “

De la Jordanie à la place Jourdan

Tamara Tannous est arrivée en Belgique il y a neuf ans en provenance de Jordanie. Elle a fui son pays pour une question religieuse. Sa maman, musulmane, a épousé son papa, chrétien. Et les trois enfants du couple se sont convertis au christianisme. Une réalité que le gouvernement jordanien n’a jamais acceptée, les considérant comme sans religion. Tamara a appris le français dans l’horeca où elle a travaillé toutes ces années. Sa fille, 12 ans, vient de réussir son CEB dans une école bruxelloise. Pourtant, ni la mère, ni la fille n’ont vu leur demande d’asile acceptée. Au contraire d’Amal Alazzeh, la maman de Tamara, arrivée il y a quatre ans. “Je reçois régulièrement mes permis de travail, j’ai un numéro national mais ils ne veulent pas me donner mes papiers, explique Tamara Tannous. Je travaille depuis neuf ans et je n’ai jamais profité du système belge. Je veux juste être une personne normale car je suis fière de tout ce que j’ai fait…”

L’an dernier, après avoir en été pendant trois ans la responsable de salle, Tamara a eu l’occasion de reprendre le restaurant Tamy suite à une dispute entre les deux associés initiaux. Un accord a été conclu et, après quelques aménagements, le restaurant, situé à côté de la place Jourdan à Etterbeek, a rouvert avec Amal en cuisine et Tamara en salle. La maman est officiellement la gérante, la fille est associée active. “Au bout de quelques mois, j’ai eu des difficultés pour faire face à mes obligations. Et comme les banques ne voulaient pas me prêter, je me suis tournée vers microStart qui m’a accordé un crédit de 7.500 euros et m’aide aussi au niveau administratif. Cela m’a permis de pérenniser l’activité et d’engager des extras quand c’était nécessaire. Le restaurant marche bien grâce à Dieu… La place Jourdan, c’est comme un village et j’ai une belle clientèle d’habitués. J’ai aussi la chance que l’immeuble appartienne à la commune et que le loyer soit très raisonnable pour un espace de ce type.”

Un bel exemple d’intégration volontariste réussie, à un détail près…

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