Un musée décolonisé

Certains décors, vitrines et classiques sont demeurés, tel l'éléphant naturalisé. © BelgaImage

Rebaptisé AfricaMuseum, le musée de Tervueren sera à nouveau accessible au public dès ce dimanche, dans un environnement modernisé, empreint des enjeux historiques contemporains. Rencontre avec son directeur, quelques jours avant l’inauguration.

“A peu près 80% des objets qui seront présentés dans le nouveau musée viennent de nos réserves et n’ont jamais été exposés. Les 20% restants, ce sont nos classiques, comme la fameuse pirogue ou notre éléphant légendaire. Tout en sachant que l’immense majorité de nos 125.000 objets ethnographiques dort toujours dans nos réserves “. Ce 26 novembre, à 13 jours de l’ouverture officielle, Guido Gryseels, directeur de l’institution de Tervueren – désormais rebaptisée AfricaMuseum(1) – guide Trends-Tendances, dans des espaces en pleine fièvre de montage . Si les armoires de 1910 ont été conservées, même les animaux empaillés ont été requinqués. Peintures et boiseries refaites précieusement à l’identique, les 24 types de marbres nettoyés, nouveaux vitrages et stores pour un surplus de lumière : la modernité s’insère naturellement dans le bâtiment inauguré en 1910, évidemment classé. Les objets sont disposés dans d’élégantes vitrines et le numérique installe nombre d’écrans prêts au dialogue avec les visiteurs.

L’immense majorité de nos 125.000 objets ethnographiques, dort toujours dans nos réserves.

250.000 visiteurs attendus

Des visiteurs, le musée en attend 250.000 personnes en 2019, pratiquement le double de 2013, dernière année d’activité. Pratiquement doublée également, la surface exploitable du lieu qui passe de 6.000 à 11.000 m2, le tout avec un personnel qui, lui, s’est réduit de 300 à 230 employés. La note finale est conséquente : 66 millions d’euros pour les travaux bruts, 9 autres pour l’aménagement. Septante-cinq millions financés par la Politique scientifique de l’Etat fédéral, la Loterie nationale, la Banque nationale et des sponsors. ” A un moment, nous avons dû trouver 500.000 euros dans le privé : je pensais que ce serait facile mais les compagnies privées contactées, super-enthousiastes, ne nous proposaient que des sommes à cinq chiffres, donc il a fallu en trouver bien plus qu’initialement prévu. ” Le tout dans le contexte belgo-belge, celui qui a vu le directeur traiter, en 17 années de fonction, avec pas moins de neuf ministres de tutelle de la Politique scientifique. Et trois depuis la fermeture, fin 2013, qui n’a pas sonné la cessation des activités : ” Le musée ne compte que pour un quart de nos activités, précise Guido Gryseels. On a participé à pas moins de 27 pop-up museums en Belgique mais aussi aux Etats-Unis, en Russie ou en Autriche. Et notre établissement scientifique, riche de 80 chercheurs, a continué à travailler avec 20 pays africains. Sans doute parce que nous possédons les plus grandes collections du monde concernant l’Afrique centrale, 10 millions d’espèces zoologiques, quatre kilomètres d’archives ” .

L'ancien bâtiment,  vu de la nouvelle aile.
L’ancien bâtiment, vu de la nouvelle aile.© PhotoNews

Nouveau narratif

Le changement le plus visible tient évidemment au bâtiment moderne construit à droite de l’ancien. De ce large édifice de verre et béton qui semble sorti d’un album de Spirou époque sixties , on peut profiter de la vue circulaire du restaurant du premier étage sur le parc ou visiter une échoppe qu’on promet très achalandée. Outre des espaces d’animation et de conférence, incluant un auditoire de 250 personnes, la grande nouveauté est l’entrée au musée : désormais, elle se fait au sous-sol de l’édifice. Au noir spectral du béton mural succède un blanc immaculé, particulièrement frappant dans le couloir souterrain qui mène au coeur du bâtiment ancien, juste à côté d’une salle isolée dédiée à la pratique bruyante du djembé. Ces choix architecturaux sont aussi l’illustration des intentions historiques, culturelles et politiques de l’Africa-Museum , fruit d’une réflexion menée bien avant le début des travaux.

Dès le début des années 2000, un audit mené par McKinsey avait en effet proposé une nouvelle stratégie pour la vénérable institution, passant notamment par la conception d’une nouvelle expo permanente qui devait remplacer celle encore datée des années 1950. Parce que l’enjeu, au-delà du toilettage et de l’agrandissement effectué, est bien évidemment de faire de l’AfricaMuseum un espace muséal contemporain qui prend donc en compte la décolonisation. Par exemple, dans la salle de la mémoire où sont gravés au mur les noms de 1.600 Belges morts pendant l’Etat indépendant du Congo (1876-1908), ” l’artiste Freddy Tsimba a conçu une installation qui rappelle aussi les victimes congolaises de la colonisation, commente le directeur. Et ce dans le même esprit que celui du sculpteur Aimé Mpané ayant imaginé une oeuvre dans l’ancienne entrée du musée. Un visage géant regardant les anciennes statues promettant que la Belgique apporte en Afrique la civilisation, le bien-être, la sécurité. Dans le nouveau narratif, il est donc aussi laissé place aux voix africaines, à une critique disant que le colonialisme comme système de gouvernance est immoral, basé sur l’exploitation militaire, parfois raciste, et agissant au profit du pays colonisateur ” .

Sous la toile immaculée, aux côtés  du directeur Guido Gyseels :  la fameuse pirogue, longue de 22 mètres.
Sous la toile immaculée, aux côtés du directeur Guido Gyseels : la fameuse pirogue, longue de 22 mètres.© Philippe Cornet

L’AfricaMuseum , buvard des relations afro-occidentales contemporaines ? Sans doute, tenant compte que l’implication des communautés africaines de Belgique y semble moins calibrée qu’en début de millénaire. ” Lorsqu’en 2005, nous avons fait une expo sur le passé colonial, les diasporas disaient qu’on donnait trop d’espace à Léopold II et au passé alors qu’il fallait davantage s’inquiéter d’une guerre congolaise qui faisait alors 3.000 victimes au quotidien, explique Guido Gryseels. Et en 30 ans, en Belgique, on est passé d’une population d’origine subsaharienne d’environ 20.000 personnes à 250.000, dont la moitié d’Afrique centrale. Et la frustration des Africains de plus en formés, dont beaucoup sont nés ici, face au chômage et au racisme, a créé un mouvement beaucoup plus proactif, ne fût-ce que sur les réseaux sociaux. Le lien entre le passé colonial et la société belge multiculturelle revient très fort ces deux dernières années. ”

La position du missionnaire

Comme le bâtiment classé empêche d’ôter toute trace du roi contesté – notamment de son sigle reproduit à 45 endroits différents – l’institution s’efforce de faire désormais cohabiter ” un lieu de mémoire sur le passé entretenu par une certaine atmosphère et un processus de décolonisation du musée qui vient de commencer et qui prendra encore certainement une génération “, poursuit le directeur. Une période durant laquelle se prolongera sans aucun doute l’autre discussion majeure de l’héritage africain : la restitution du patrimoine culturel et ethnographique ramené du Congo et d’ailleurs, notamment par les missionnaires. ” Ceux-ci ont-ils, par exemple, collecté des masques qui leur avaient volontairement cédés ou une certaine force morale a-t-elle été utilisée ? s’interroge Guido Gryseels. La discussion de la restitution ne fait que commencer : on va développer une réflexion analytique mais aussi légale, parce que toutes les collections sont aujourd’hui la propriété de l’Etat, pas du musée ” .

(1) L’appellation légale reste Musée royal de l’Afrique centrale, www.africamuseum.be

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