A Bruxelles, le marché locatif reste dynamique

© DEBBY TERMONIA

Des prix qui grimpent toujours plus haut. Un marché immobilier de plus en plus inaccessible. Des jeunes moins attirés par la propriété. Des expatriés qui désertent Bruxelles. Secouer le tout et vous obtenez un marché locatif qui multiplie les écarts de conduite.

De l’extérieur, l’immeuble ne paie pas de mine. Des balcons à l’avant, de petites terrasses à l’arrière. Une construction classique des années 1950, située dans une belle avenue ombragée… Huit appartements au total. Et un rafraîchissement qui s’impose avant que cet investisseur ne remette l’ensemble sur le marché. Pas d’inquiétude au programme en tout cas. “Les petites unités se louent très bien à Woluwe-Saint-Lambert, lance Michel, marchand de biens depuis une quinzaine d’années. Le marché est particulièrement dynamique, même quand il ne s’agit pas d’un bien neuf. Le remettre en état est toutefois essentiel pour pouvoir obtenir un loyer de 800 euros pour des appartements d’une à deux chambres.” Ecrit comme cela, le marché locatif bruxellois ne semble pas particulièrement compliqué à pénétrer. Un bien de qualité dans un environnement de qualité et le tour semble joué. Si le marché est relativement dynamique actuellement sur le plan locatif, et qu’il devrait l’être encore davantage à l’avenir, les subtilités sont toutefois un peu plus nombreuses pour pouvoir l’appréhender au mieux.

Si tous les appartements trouvent preneurs aujourd’hui, c’est surtout parce que les investisseurs se sont centrés sur un marché bien spécifique: le neuf dans l’entrée de gamme.

Car le marché bruxellois fait un peu figure d’exception dans le paysage immobilier belge. Le taux de propriété y est en chute libre depuis près de 15 ans. Il est passé de 60% à 49%. Bien loin de la moyenne belge qui avoisine les 70%. Les raisons de cette diminution sont multiples. La hausse des prix de l’immobilier en est une. “De plus en plus de ménages, isolés ou non, éprouvent désormais des difficultés à accéder à la propriété, relève Jean-Baptiste Van Ex, CEO et fondateur du fonds d’investissement Vicinity. Les prix sont bien trop élevés par rapport aux revenus. Le revenu moyen net d’un ménage en Belgique est d’environ 36.000 euros par an. Ce qui signifie qu’avec un prêt hypothécaire sur 20 ans et un apport de capital de 20%, ils pourront acquérir un logement oscillant entre 180.000 et 190.000 euros.” Or, selon les derniers chiffres des notaires, le prix moyen d’un appartement à Bruxelles est de 281.593 euros. Il ne faut donc pas être un grand économiste pour se rendre compte que la voie locative est la seule issue pour bon nombre de Bruxellois. Sans parler du fait que les prix de l’immobilier augmentent plus vite que les salaires, ce qui ne fait qu’accentuer les écarts.

La voie locative Seule issue pour bon nombre de Bruxellois.
La voie locative Seule issue pour bon nombre de Bruxellois.© DEBBY TERMONIA

Autre élément: les jeunes actifs ne sont désormais plus braqués sur l’idée d’être propriétaire. Ils tiennent à leur liberté financière et voient désormais l’immobilier davantage comme un service que comme une finalité. Mobilité professionnelle et divorce augmentent également la part de locataires. Sans parler du nombre de ménages d’une seule personne qui atteint déjà les 58% et qui va encore augmenter à l’avenir. Enfin, cette hausse du nombre de locataires est un phénomène qui s’observe également dans bon nombre de villes européennes (surtout en Allemagne, Suisse et aux Pays-Bas). Bruxelles ne fait donc en quelque sorte que suivre le mouvement. “Tous ces éléments entraînent une augmentation du nombre de locataires qui sont à la recherche d’un bien, fait remarquer Eric Verlinden, CEO du réseau d’agences immobilières Trevi. On peut également y ajouter ceux qui ont reporté leur décision d’acquisition de même que les 40.000 expatriés qui arrivent à Bruxelles chaque année. L’essor du marché locatif n’est pas près de s’arrêter.”

Une location qui se professionnalise

Depuis 2016, ce sont les petits investisseurs privés qui donnent le rythme du marché immobilier. Ils achètent à tour de bras des appartements pour les mettre en location, profitant d’un contexte particulièrement intéressant (taux bas, épargne qui déborde, stabilité des prix, etc.). Un afflux de biens sur le marché locatif qui peut inquiéter, tant il semble important. Même si, pour l’heure, la vacance locative reste bien faible. “Je comprends les inquiétudes mais elles ne sont pas fondées, estime Eric Verlinden. Le vide locatif est actuellement de 1,5% à 2%. Soit exactement le même qu’il y a deux ans. Tous les investisseurs trouvent aujourd’hui des locataires. Et cela ne devrait pas changer à l’avenir.”

La voie locative Seule issue pour bon nombre de Bruxellois.
La voie locative Seule issue pour bon nombre de Bruxellois.© DEBBY TERMONIA

La montée en puissance des investisseurs institutionnels dans le segment immobilier résidentiel va pourtant également entraîner un afflux supplémentaire de biens. Que ce soit Vicinity Affordable Housing, Inclusio, Home Invest, Primonial voire, d’ici peu, Ion Residential Platform, ils déboulent sur le marché belge en y déposant des centaines d’appartements. De quoi bouleverser encore davantage le marché locatif. “Ai-je des craintes d’une suroffre de biens par rapport la demande? Vraiment pas, lance Jean-Baptiste Van Ex. Au contraire même. Il y a un grand déficit d’appartements neufs de qualité à Bruxelles. Il y a une vraie demande locative pour ce type de biens. Et puis, les promoteurs produisent en moyenne 4.000 appartements neufs par an. Ce n’est vraiment pas beaucoup.” Une crainte tout de même pour ces institutionnels: l’idée que les candidats locataires puissent répondre rapidement à cet afflux d’appartements reste encore une grande inconnue. Le rythme de vente habituel pour un bon projet est d’environ 80 unités par an, bien inférieur à la taille des projets de ces nouveaux acteurs. “En Allemagne, aux Pays-Bas ou en Angleterre, le marché résidentiel a supplanté des actifs comme le bureau, précise Sébastien Van Weyenbergh, à la tête du département résidentiel du conseiller en immobilier d’entreprise JLL. La Belgique devrait également suivre dans cette voie à l’avenir. Le marché locatif ne va faire que se renforcer. Et il va surtout se professionnaliser.”

Si tous les appartements trouvent preneurs aujourd’hui, c’est surtout parce que les investisseurs se sont centrés sur un marché bien spécifique: le neuf dans l’entrée de gamme. Soit le studio ou l’appartement 1 chambre. Avec un loyer de 600 à 800 euros. “Il y a une vraie demande pour les biens de qualité, peu consommateurs d’énergie, bien localisés avec un loyer pas trop élevé”, ajoute Jean-Baptiste Van Ex. Et ce alors que le parc immobilier bruxellois est particulièrement ancien et énergivore. Près de 80% des immeubles datent d’avant 1981. De quoi faire gonfler le coût total d’une habitation 10 à 15% avec des charges bien plus élevées. “Le marché de l’appartement est clairement en train de se segmenter entre les biens neufs et rénovés d’un côté, et les biens anciens de l’autre, lance Aymeric Francqui, administrateur délégué de l’agence immobilière Latour et Petit. Cela provoque de nombreux mouvements. A l’avenir, les propriétaires de biens qui ne sont pas convenablement rénovés éprouveront les pires difficultés à trouver des locataires.”

La voie locative Seule issue pour bon nombre de Bruxellois.
La voie locative Seule issue pour bon nombre de Bruxellois.© DEBBY TERMONIA

Le haut de gamme au ralenti

Si on analyse le marché locatif bruxellois d’un peu plus près, on observe que si le marché haut de gamme a tourné quelque peu au ralenti au printemps, il semble avoir repris un peu de vigueur. Même si les biens affichés à plus de 1.500 euros trouvent preneurs un peu moins rapidement. La faute principalement aux expatriés qui sont restés au pays. “Mais cela reprend quelque peu, remarque Aymeric Francqui. Il est vrai que l’offre dépasse actuellement la demande. Le marché est réduit de moitié. Nous nous sommes retrouvés ces dernières semaines avec de nombreux biens vides car il n’y avait plus de visites. Il y en a à nouveau depuis quelque temps mais le ratio reste un peu plus faible.” Une situation qui a bien évidemment un impact sur les prix. Ils sont à la baisse. “Les propriétaires diminuent de 50 ou 100 euros leur loyer vu la surabondance de biens, relève Eric Verlinden. Mais l’avantage du marché locatif, c’est qu’il est très flexible. Reste que si la reprise est bien présente, je ne m’attends pas à retrouver un vrai rythme de croisière avant 2022.” Le marché d’entrée et moyen de gamme (loyer en dessous de 1.000 euros) reste de son côté particulièrement attractif. Avec un loyer moyen aux alentours de 950 euros. Et ce, dans toute la Région bruxelloise. “Les différences de loyers sont relativement faibles entre le sud et le nord de Bruxelles alors que les coûts pour développer un projet sont bien différents”, pointe Aymeric Francqui.

Reste une grande inconnue: l’impact qu’aura la grille des loyers que souhaite mettre en place le gouvernement bruxellois d’ici début 2022 sur le marché immobilier. L’idée est d’éviter les loyers abusifs. Si un locataire estime que son loyer est supérieur de 20% à la grille de référence, il pourra introduire un recours devant une commission paritaire locative. Si cet outil devrait éliminer les marchands de sommeil, il pourrait également renforcer le besoin de logements abordables de qualité. Ce que prétendent construire la plupart des futurs investisseurs institutionnels et certains promoteurs. L’occasion d’équilibrer enfin un peu plus le marché?

Le “coliving” en voie de régularisation

Le coliving est en plein essor dans la capitale. Surtout dans les communes de Bruxelles-Ville, Ixelles et Saint-Gilles. Il s’agit d’une colocation haut de gamme qui attire les trentenaires actifs. Ils payent un loyer allant de 600 à 800 euros pour disposer d’une chambre, de grands espaces communs complétement rénovés et d’une multitude de services (ménage, maintenance, internet, petit-déjeuner). Une formule all-in qui séduit. Tant les locataires que les promoteurs immobiliers. Des dizaines de maisons d’habitation ont été transformées ces dernières années pour accueillir de 8 à 20 personnes – certains projets sont bien plus grands – via des baux de trois mois à un an. Une flexibilité qui fait aussi le succès de cette formule.

Ce marché s’emballe donc quelque peu et se professionnalise. Cohabs, Colive, Ikoab, ShareHomeBrussels, ColocHousing, Colonies, Neybor et bientôt Sharies sont parmi les principaux acteurs sur la place bruxelloise.

Reste que les édiles des principales communes concernées entendent bien mettre fin au vide juridique qui entoure actuellement la transformation des maisons unifamiliales. Un permis pour cadrer le développement du coliving est souhaité par Ixelles, Saint-Gilles et Bruxelles-Ville pour les projets de plus de cinq chambres. Ils estiment que le coliving tire les prix du marché locatif vers le haut et dénature de nombreuses maisons de maître. Certains acteurs du coliving ont en tout cas déjà trouvé la parade, où victimes de la saturation du marché, ils lorgnent désormais vers le canal, où les loyers seraient un peu plus accessibles (autour de 450 euros).

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