Un concentré d’Amérique sur deux roues

© BENEDICT CAMPBELL

Harley Davidson, c’est plus d’un siècle de rêve américain. Une marque qui a accompagné la croissance du pays de l’Oncle Sam, qui a servi l’armée lors de deux guerres mondiales et qui évoque toujours aujourd’hui une certaine idée de la liberté.

Harley Davidson. Ce nom respire l’Amérique et résonne au son des borborygmes cadencés du V-Twin. La marque évoque les grands espaces ; une certaine idée de la liberté, de l’insoumission, avec un petit côté mauvais garçon. Mais Harley, c’est aussi un marketing bien rodé et un business qui dépasse la simple vente de motos. Bref, c’est une marque mythique. Tout comme Bic, Frigidaire ou Jeep dans leurs domaines, Harley Davidson est même devenu un nom générique pour désigner une moto de grosse cylindrée pétaradante. Pourtant, tout a commencé modestement et moins bruyamment.

Messieurs Harley et Davidson

Originaires de Milwaukee, dans le Wisconsin, William S. Harley et Arthur Davidson se connaissent depuis l’enfance. Ils sont nés respectivement en 1880 et 1881. Ayant quitté rapidement les bancs de l’école, les deux garçons, passionnés de mécanique, multiplient les expériences professionnelles. En 1901, ils décident de produire leur propre moto. Plus tard, ils seront rejoints dans leur aventure par les frères d’Arthur : William et Walter Davidson. Certes, les quatre garçons n’ont rien inventé car le cyclomoteur existe déjà à l’époque. Mais ils s’apprêtent à laisser des traces indélébiles dans l’histoire…

Leur première moto est construite en 1903. Elle est animée par un moteur de leur conception : un monocylindre de 410 cm3, délivrant une puissance de seulement… 2 chevaux. Mais le succès est au rendez-vous et les choses s’enchaînent rapidement. Les commandes affluent et, en 1920, Harley Davidson devient même le plus grand constructeur de motos au monde, avec près de 30.000 modèles vendus sur l’année et un réseau de plus de 2.000 concessions tissé dans 67 pays du globe.

En quête de marchés publics

La recette du succès d’Harley Davidson est multiple. D’abord, l’entreprise est née dans une Amérique prospère, à la recherche de moyens de locomotion individuels. Cela facilite les choses… Mais la firme s’est aussi démarquée sur plusieurs plans. En 1909, elle fut l’une des premières à construire un V-Twin : un moteur à deux cylindres en V, développé par William Harley. Cette architecture mécanique est devenue un trait esthétique (et sonore) de la marque, de même que le réservoir d’essence en forme de goutte d’eau, qui sera généralisé à la gamme en 1925.

Mais le génie d’Harley Davidson est aussi commercial, avec notamment l’initiative de cibler les marchés publics pour s’assurer de gros volumes de ventes. Ces marchés publics soutiendront la croissance d’Harley Davidson tout au long de son histoire. Tout commence en 1908, lorsque le constructeur livre ses premières motos à la police de Detroit. En 1914, la marque parvient même à persuader le service postal des Etats-Unis de remplacer ses bicyclettes par des motos.

De Pancho Villa à la Première Guerre mondiale

La révolution mexicaine va aussi contribuer à forger l’image de marque d’Harley Davidson. En 1916, le général Pershing commande une vingtaine de motos à la firme pour partir à la chasse de Pancho Villa, qui s’est attaqué à une ville américaine. Harley construit des side-cars avec une plateforme permettant d’installer une mitrailleuse. Ce ne sera certes pas suffisant pour attraper le révolutionnaire mexicain, mais bien pour convaincre le gouvernement américain, qui passera commande d’environ 20.000 Harley pour équiper les militaires engagés en Europe lors de la Première Guerre mondiale. Ce marché public va donner une grande visibilité à la marque et asseoir sa réputation et son image de symbole patriotique américain.

Durant l’entre-deux-guerres, Harley Davidson devient donc le plus grand constructeur de motos de la planète. Arrive alors la fameuse crise de 1929. Harley y survivra, mais en perdant quelques plumes. Pour renflouer les comptes, la marque vend en 1935 une partie de ses plans et machines-outils à une société japonaise qui produira des Harley sous licence, sous la marque Rikuo Motorcycle. Ironie du sort, beaucoup d’entre elles seront vendues à l’armée japonaise et utilisées quelques années plus tard durant la guerre du Pacifique…

La concurrence des ” Indian ”

Nous voilà donc à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, qui sera très profitable aux marques de motos américaines. Et en particulier à Harley Davidson, qui reçoit la majorité des commandes de l’armée, au détriment d’Indian, la marque US concurrente. Pour l’armée, Harley produira en tout plus de 60.000 exemplaires de la WLA (Army), dérivée du modèle de série WL. La plupart disposent d’un moteur 750 cm3 de 23 chevaux. Pour les missions désertiques en Afrique du Nord, Harley développe même un modèle très spécifique (XA 750), inspiré des BMW de l’armée allemande et animé par un moteur à deux cylindres à plat, favorisant la maniabilité et mieux refroidi. Mais le contrat sera annulé prématurément en raison de la fin des hostilités en Afrique du Nord. Seules 1.011 XA ont été produites. Par contre, à la fin de la guerre, des milliers d’exemplaires de la XLA de l’armée seront revendues en Europe et transformées en motos ” civiles “.

L’invasion japonaise

Dans les années 1950, la concurrence se corse, avec le succès aux Etats-Unis des motos britanniques de chez Norton et Triumph, notamment. Mais Harley tremblera encore plus fort devant l’assaut des motos japonaises, qui débarquent en masse aux pays de l’Oncle Sam à partir de la fin des années 1960. Des motos plus performantes, plus technologiques, plus fiables et… sensiblement moins chères. Les années 1970 sont une période difficile pour la marque américaine. Pour contrer cette invasion et reprendre du poil de la bête, Harley Davidson parviendra à faire pression sur le gouvernement américain pour qu’il impose, de 1983 à 1987, une taxe d’importation sur les grosses motos japonaises.

Harley aujourd’hui

Longtemps associée au rebelle ou au loubard, la marque américaine est aujourd’hui un produit de luxe. Les modèles se nichent au chaud dans les garages des quartiers chics. La clientèle actuelle compte énormément de notables, qui s’offrent une cure de liberté le week-end, en enfourchant ce concentré d’Amérique sur deux roues. Fort chères, les Harley ne sont pourtant techniquement pas les meilleures motos du moment. Elles cultivent plutôt leur aspect vintage et une certaine rusticité. C’est cela qui fait leur charme et… leur succès. En effet, à chaque fois que la marque a voulu innover techniquement ou esthétiquement, les clients ont froncé les sourcils et rangé leur carnet de chèques. Exemple : la fameuse V-Rod de 2001. Elle arborait un look résolument moderne et était animée par un moteur affûté, développé avec Porsche et refroidi par eau (1.130 cm3 et 115 ch). Cette machine ne fut jamais vraiment acceptée par les fanatiques de la marque.

Ce que les clients veulent, c’est l’image de la marque et son héritage historique. Ils s’offrent un petit bout d’Amérique et intègrent une communauté, celle du HOG (Harley Owners Group). Lancé en 1983, le HOG est le club maison auquel on a accès gratuitement pour un an à l’achat d’une machine neuve. Un club qui compte plus d’un million de passionnés à travers le monde. Mais aujourd’hui, le vieillissement des baby-boomers, coeur de cible de la marque, fait fléchir les ventes. Harley se cherche donc de nouveaux clients et mise sur les marchés émergents.

La marque a notamment lancé il y a deux ans des modèles plus petits et moins chers (famille Street), produits en Inde. Le constructeur américain assemble aussi des motos au Brésil et implante actuellement une usine en Thaïlande. Les impératifs économiques ont parfois raison des traditions. A quand une Harley made in China ?

Olivier Maloteaux

A chaque fois que la marque a voulu innover techniquement ou esthétiquement, les clients ont froncé les sourcils et rangé leur carnet de chèques.

Longtemps associée au rebelle ou au loubard, la marque américaine est aujourd’hui un produit de luxe.

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