Toujours envie d’un accord?

Ebrahim Raïssi, nouveau président de la République islamique, en conférence de presse après son élection de juin 2021. © gettyimages

Restaurer l’accord sur le nucléaire iranien ne semble plus forcément intéresser Téhéran. L’impasse pourrait pourtant dégénérer…

Malgré des pourparlers en 2021, l’Iran et les Etats-Unis semblent toujours aussi loin d’une relance de l’accord international sur le nucléaire iranien, appelé Accord de Vienne, duquel Donald Trump a retiré son pays en 2018. Les deux camps ont juste affirmé vouloir revenir aux conditions de l’accord d’origine si l’autre faisait le premier pas. Le monde a toutefois changé depuis lors et la perspective d’un blocage continu en 2022 risque de faire dégénérer la situation.

L’un de ces grands changements est la reprise du pouvoir par les démocrates aux Etats-Unis, mais également par les extrémistes à tous les niveaux de pouvoir en Iran. En effet, le nouveau président de la République islamique, Ebrahim Raïssi, a esquivé les efforts occidentaux de restaurer l’accord sur le nucléaire. Après des mois d’évitement, les puissances mondiales pourraient en conclure que M. Raïssi et son mentor, le chef suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, ne sont plus intéressés.

Alternatives créatives

Les extrémistes iraniens craignent en effet que l’Occident n’utilise cet accord pour enrayer dans un premier temps l’influence régionale et le programme balistique de l’Iran, pour ensuite faire pression sur les questions de droits de l’homme. De meilleures relations avec l’Occident pourraient également relancer les réformateurs iraniens dans leur lutte contre le noyau dur du régime et susciter les espoirs de diluer le zèle clérical de l’Iran. Les extrémistes pourraient donc décider qu’il vaut mieux éviter tout accord. M. Khamenei n’acceptera pas non plus que les puissances occidentales ne perturbent sa propre succession, plus que probablement dévolue à son fils, Mojtaba.

A mesure que le temps passe, les puissances occidentales pourraient elles aussi se lasser.

Par conséquent, les diplomates occidentaux passeront le début de l’année 2022 à tenter de mettre au point des alternatives créatives. Le principe “donner plus pour recevoir plus” pourrait éviter à l’Iran des sanctions supplémentaires par rapport à l’accord d’origine en échange d’une suspension à plus long terme de son programme nucléaire. “Donner moins pour recevoir moins” permettrait de distribuer au compte-gouttes les 100 milliards de dollars d’actifs gelés à l’étranger en échange d’une diminution de l’enrichissement de l’uranium. L’Iran demandera aux Etats-Unis de supprimer toutes les sanctions imposées par M. Trump et de promettre de ne jamais renoncer à l’accord. Les Etats-Unis insisteront sur le fait que c’est à l’Iran de commencer par réduire ses activités nucléaires.

Résilience renforcée

A Téhéran, cette impasse potentielle réjouira les extrémistes. Ceux-ci argumenteront que les sanctions américaines sur les transactions bancaires et le pétrole ne font que renforcer la résilience iranienne et accélérer sa diversification pour ne plus être dépendants des énergies fossiles. M. Raïssi tentera de se rapprocher de la Chine et de renforcer ses liens commerciaux avec l’Organisation de coopération de Shanghai, un club rejoint par l’Iran en 2021 et comprenant la Chine, l’Inde et la Russie. Les ventes de pétrole de l’Iran à la Chine ont doublé en 2021 et continueront sur leur lancée. L’opinion publique en Iran à l’égard des Etats-Unis pourrait encore se refroidir.

A mesure que le temps passe, les puissances occidentales pourraient elles aussi se lasser de l’accord sur le nucléaire. Le texte de 2015 était truffé de clauses limitées dans la durée. L’interdiction des ventes d’armes à l’Iran a déjà expiré. Les premières restrictions sur le programme nucléaire iranien commencent à disparaître en 2024 et cesseront définitivement en 2031. Certains diplomates occidentaux s’inquiètent ouvertement que l’accord n’en vaille simplement plus la peine.

D’où la possibilité que la situation dégénère. Le premier volet de confrontations sera le développement nucléaire de l’Iran. En septembre 2021, ce pays disposait de cinq tonnes d’uranium enrichi à 3,67%, de pureté fissile, soit une augmentation de 200 kg par rapport à l’accord. Le pays disposait également de 85 kg enrichis à 20% et de 10 kg supplémentaires enrichis à 60%, soit bien au-delà de la quantité nécessaire à une utilisation civile. Le Parlement iranien a par ailleurs mandaté une nouvelle génération de centrifugeuses qui étendra les objectifs d’enrichissement à une qualité militaire de 90%, voire plus.

Risque de guerre régionale

Le deuxième volet sera régional. En effet, l’Iran pourrait organiser des exercices militaires à sa frontière avec l’Azerbaïdjan, qui entretient des relations militaires étroites avec Israël. De son côté, Israël pourrait intensifier ses opérations de sabotage à l’encontre des installations nucléaires iraniennes et d’attaques de drone sur ses alliés, ce qui risque d’attiser le risque d’une guerre régionale. L’Iran pourrait mettre ses îles du Golfe à la disposition de la flotte chinoise. Certains observateurs estiment d’ailleurs que la première confrontation militaire entre la Chine et l’Occident pourrait avoir lieu dans le golfe d’Oman, plutôt que dans la mer de Chine du Sud.

La crainte de ce genre de scénario pourrait éloigner les ennemis du bord du précipice. Personne ne veut d’une guerre. L’Occident pourrait offrir de meilleures conditions, permettant aux extrémistes de garder la face (en dépit de leur attitude bravache, ils veulent renforcer l’économie). M. Raïssi ne dispose plus des 600 milliards de dollars de réserves qui ont protégé l’Iran des sanctions il y a 10 ans, et il ne bénéficie plus de la libération partielle des actifs gelés que ‘Occident a octroyée à son prédécesseur. Le rial a perdu 90% de sa valeur par rapport au dollar depuis 2015. Les salaires et les épargnes ont été frappés de plein fouet. Les produits de base comme le riz sont hors de prix et les coupures de courant et d’eau suscitent la colère au moment même où M. Khamenei prépare sa succession. Or, le vieil homme pourrait penser que son régime est plus sûr sans l’ingérence de l’Occident.

Et si?

En 2022, le chef suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, aura 83 ans. Selon certaines sources, il aurait des problèmes de santé. Et si M. Khamenei mourait? L’Assemblée des experts, composée d’une dizaine de membres du clergé, choisira son successeur. Des candidats potentiels jouent déjà des coudes pour se placer en bonne position. Des rumeurs circulent sur le choix de M. Khamenei en faveur de son fils, Mojtaba, ou du président, Ebrahim Raïssi. Ces deux hommes sont des conservateurs. Parmi les possibilités plus modérées, Hassan Rouhani, un ancien président, a le plus de chance d’être choisi. Les Gardiens de la révolution, la force militaire la plus puissante d’Iran, voudront également avoir voix au chapitre. Quel que soit l’élu, il est probable que l’Iran reste sur une voie conservatrice.

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