Souvenirs d’un marin débarqué

© PG

“Mon destin est lié à la mer, que j’y sois ou que je n’y sois pas. ” Avec une réponse comme celle-là, on ne s’étonne guère que Yann Queffélec ait été choisi par son éditeur pour écrire ce Dictionnaire amoureux de la Mer. Aux commandes de celui consacré à la Bretagne qui l’a vu grandir (paru en 2013), l’écrivain s’est adonné une nouvelle fois à l’exercice, cher à la maison Plon, avec toujours la même indiscipline. Certes, abécédaire il y a, mais les différentes entrées ne sont que les escales d’un voyage littéraire au long cours dans la prose de ce lauréat du prix Goncourt en 1985. Les phrases s’enchaînent comme les vagues, les mots en tête d’article en sont les récifs. ” La notion de dictionnaire m’est tout à fait étrangère. Quand j’écris un livre, j’écris un livre avant tout. Je m’étais senti très à l’aise dans cette forme de coulée ininterrompue que j’avais donnée au Dictionnaire amoureux de la Bretagne. C’est en quelque sorte son prolongement. ” Mais ce n’est pas la suite, ajoute-t-il. Puis, apprendre la mer est une tâche trop vaste pour un seul homme. ” Il y avait un ton que je voulais donner à ce livre, celui de la subjectivité. L’objectivité face à la mer est impossible. Le sujet est trop grand. Dire à la mer qui elle est, ce n’est pas possible. Alors je vais lui dire qui je suis face à elle et avec elle. ”

Il n’y a pas un mot qui tienne au bord de cet infini.

Avec cet ouvrage, le romancier nous confie une intimité face à un sujet qui le dépasse et qui s’impose à bien des moments de sa vie. Souvenirs d’enfance à Belle-Ile (bien que né à Paris, un comble pour cet amoureux de l’Iroise), son apprentissage au maniement du sextant et à la lecture des étoiles, légendes et croyances, frayeurs et moments extatiques. Ce ” dico ” sonne comme une introspection, une plongée dans une spiritualité propre à tous les marins, ” un panthéisme de la nature “. Il donne ainsi la parole à ceux qui la vivent. Et, surprise, ils restent parfois muets, submergés, respectueux. Temps fort de cette croisière, la rencontre avec Loïck Peyron en témoigne. A la question de sa vision de la mer aujourd’hui, le skipper répond à Yann Queffélec : ” Il n’y a pas plus monotone que la mer, en mer “. Etonnant ? ” Tous les grands marins ont un regard sur la mer d’une formidable simplicité “, nous explique celui qui n’aime pas parler de ” littérature maritime ” (c’est ” mettre en cage un fauve “). ” La mer est indicible. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas en parler. Celui qui commence à décrire une vague nous coupe de la vérité maritime et en arrive à contredire la mer. Cela peut être le fait de grands écrivains, sans aucun doute, mais ils nous ennuient. ” Un auteur, marin lui aussi, échappe peut-être à ce jugement : Olivier de Kersauson. ” Il a recours à des comparaisons aux antipodes de la représentation quand il compare l’océan Indien à un sale gosse bordé par ses co-géniteurs, l’Afrique et l’Asie. Cela rend la mer vivante et vraie. ”

Tellement vivante qu’il s’y est vu mourir. En bateau, mais aussi en avion, lorsque que le Concorde à bord duquel il revient de New York, manque de s’écraser. La mer fait peur, c’est aussi pour ça qu’elle fascine. ” La mer n’est ni tendre, ni cruelle. L’homme est dans 99,99 % des cas le responsable. Personne ne lui demande d’aller sur l’eau. ” Jamais déçu, Yann Queffélec a cependant connu les frustrations de la mer. Et l’une d’elles a généré la carrière d’écrivain qu’il n’osait effleurer. Parti pour un tour du monde en 1978, il doit revenir à quai suite à un accident à la sortie du port. C’est là qu’il rencontre Françoise Verny, éditrice chez Gallimard, sa mère littéraire. Elle déteste les bateaux, il aimerait écrire, elle l’encourage. L’échange effleuré ici sera le sujet de son prochain roman, Naissance d’un long cours, prévu à la rentrée. Faute d’être en mer, il écrit sur terre, mais le regard toujours tourné vers l’horizon. Ce tour du globe, il le fera, c’est sûr. Au fil de ces pages, on le prépare avec lui.

Yann Queffélec, ” Dictionnaire amoureux de la Mer “, éditions Plon, 672 pages, 24 euros.

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