Qu’importe le flacon, on ne veut plus l’ivresse

© GETTY IMAGES

Un siècle après la prohibition, l’alcool n’a plus la cote.

Le Volstead Act interdisant la consommation d’alcool pendant la période de la prohibition est entré en vigueur en 1920 et a été appliqué jusqu’en 1933. Cent ans plus tard, il est largement considéré comme la preuve (si besoin était) que l’interdiction de l’alcool – alors que sa consommation était déjà répandue – ne fut pas une bonne idée. La prohibition a donné naissance au crime organisé, les réseaux mafieux ayant bâti des fortunes sur l’alcool de contrebande. Manquant de soutien populaire, la loi n’était en outre guère respectée. Selon une estimation, on ne dénombrait pas moins de 20.000 bars illégaux à New York pendant la prohibition. Lors d’une descente de police dans un bar de Denver, les agents y ont découvert un parlementaire de la région, le maire et le shérif de la ville attablés autour d’un verre.

Dans presque tous les pays occidentaux, la consommation d’alcool des adolescents est de plus en plus tardive.

La prohibition est pourtant toujours en vigueur dans certaines régions de la planète, et pas seulement dans le monde musulman. Aux Etats-Unis, près de 500 comtés, la plupart évangéliques, continuent de la pratiquer, notamment le comté de Moore, dans le Tennessee, qui abrite pourtant sur son territoire Lynchburg, la ville où est né le whisky Jack Daniel’s (où les visiteurs de la distillerie sont néanmoins autorisés à emporter une bouteille ” souvenir “). Partout ailleurs, la plupart des gouvernements se contentent de décourager la consommation d’alcool en appliquant des taxes, en limitant la publicité et en encadrant les ventes d’alcool. Toutes ces politiques fonctionnent. Toutefois, si la consommation d’alcool est aujourd’hui sur le déclin, c’est pour une tout autre raison : l’évolution des normes sociales chez les jeunes dessine un autre avenir pour cette industrie.

Hygiène de vie

Dans presque tous les pays occidentaux, la consommation d’alcool des adolescents est de plus en plus tardive. Cela tient en partie au fait que les jeunes se socialisent désormais beaucoup plus en ligne qu’en chair et en os. L’éducation joue peut-être aussi un rôle. L’histoire montre que plus les jeunes commencent à boire tard, plus leur consommation d’alcool sera réduite une fois qu’ils seront adultes. Les milléniaux, qui ont aujourd’hui entre 20 et 40 ans, boivent moins que leurs aînés. La modération fait partie de leurs principes, et la recherche d’une bonne hygiène de vie semble être devenue une vraie tendance de fond.

Les premiers clients du secteur sont aujourd’hui des consommateurs d’âge mûr. Dans certains pays riches, ces derniers boivent même plus que les générations précédentes au même âge. Consommé à faible dose, l’alcool reste cancérigène, mais la plupart des gens ne le savent pas. Certains responsables de la santé publique envisagent de créer des visuels et des avertissements sanitaires comme ceux qui figurent sur les paquets de cigarettes. A l’heure actuelle, seule la Corée du Sud a rendu cet étiquetage obligatoire ; l’Irlande a également adopté une loi en ce sens en 2018, mais elle n’est pas encore mise en oeuvre.

Nouveaux produits

Les grands alcooliers ont bien reçu le message et étoffent à présent leur offre de boissons sans alcool ou faiblement alcoolisées. L’innovation dans ce domaine explose. Le goût de la plupart de ces nouveaux produits ressemble en tout point à celui de leurs versions alcoolisées. Le groupe Heineken propose désormais une version sans alcool pour une cinquantaine de ses marques. Ces offres parallèles constituent encore une nouveauté dans la plupart des pays riches mais les ventes augmentent rapidement. En Allemagne et aux Pays-Bas, pays leaders dans ce segment, ces boissons représentent 10% des ventes de bières.

Parallèlement, l’industrie de l’alcool suit l’exemple des fabricants de tabac et se met en quête de nouveaux consommateurs. Les 10 marchés en plus forte croissance pour la consommation d’alcool se trouvent dans des pays émergents, essentiellement en Asie et en Afrique. (La Chine fait ici exception, les ventes d’alcool y sont en recul.)

Dans une ou deux générations, la consommation d’alcool dans les pays riches pourrait paraître bien démodée. En attendant, l’alcool reste une source majeure de problèmes dans les domaines de la santé publique et de la productivité. D’après les estimations du gouvernement britannique, entre 1,3% et 2,7% du PIB du Royaume-Uni seraient perdus à cause de la consommation d’alcool. Dans les pays pauvres, les dégâts par litre d’alcool consommé sont encore plus grands – de la même manière qu’ils sont aussi plus dramatiques pour les pauvres que pour les riches dans les pays occidentaux.

Les politiques de limitation de l’offre, comme l’imposition de lourdes taxes, ont fait la preuve de leur efficacité mais pourraient faire l’objet de débats difficiles dans les législatures et les tribunaux car les militants anti-alcool ne sont pas de taille face aux cohortes de lobbyistes au service de l’industrie de l’alcool. Ce qui représente un sacré retournement : il y a 100 ans, la prohibition a été mise en place parce que son principal soutien, la Ligue de tempérance, représentait l’un des lobbies les plus puissants du pays. La ligue était soutenue par les grandes fortunes de l’époque, parmi lesquelles John Rockefeller, Henry Ford et Andrew Carnegie. Maintenant que la consommation d’alcool fait partie intégrante du mode de vie des riches, il n’est pas si facile pour les philanthropes de se positionner contre. Leurs enfants et petits-enfants, en revanche, pourraient être plus réceptifs à l’idée d’un monde nettement moins alcoolisé.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content