Prémices du chaos

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La France a ses gilets jaunes, la Belgique ses jeunes inquiets pour le climat et le Vukland ses propres indignés. Les rues de la capitale de ce pays insulaire, tellement perdu qu’il ne figure plus sur aucune de nos cartes, sont animées par les manifestations de citoyens mécontents d’une élection présidentielle qui semble bâclée, pour ne pas tout bonnement dire truquée. On y fait la connaissance d’un jeune homme, Run, qui essaie de s’en sortir, pris dans la tourmente d’une famille éclatée par le décès quelques années plus tôt de son petit frère. Run, fils d’un proche du pouvoir, ne sait que faire de ses origines Kivik, population autochtone de l’île, héritées de sa branche maternelle. Il devra pourtant les assumer quand ces indigènes décident de se battre contre la construction d’un barrage qui viendrait balafrer leur terre sacrée. Héros malgré lui, Run devra s’engager quand un meurtre est attribué à son clan.

Tu ne t’intéresses pas à la politique ? – Pas vraiment…

Labo du monde

Dans No War, son créateur Anthony Pastor se sert de ce pays imaginaire comme d’un laboratoire du monde et de la société. ” Mon fils de 12 ans a été en quelque sorte le moteur du projet. J’avais envie de réaliser une BD jeunesse. Lui voulait un truc contemporain…. ” A l’époque où il cherche de nouvelles idées, ce mordu d’actualités n’a qu’à lire le journal ou regarder le JT pour être inspiré. ” C’était l’année de la présidentielle française et on parlait beaucoup de politique à la maison. J’ai donc pensé à une histoire qui me permettait de synthétiser ce que j’avais à dire sur la démocratie, les enjeux sociaux et environnementaux. ” Reste alors à installer le canevas, imaginer le scénario. Un processus où les enfants de l’auteur, ses premiers lecteurs, interviennent également, tant sur les personnages que sur les rebondissements. Au final, beaucoup de matière, qui pousse Anthony Pastor a envisagé une série et même un maxi-série puisque les grandes lignes de No War sont déjà définies jusqu’au neuvième tome ! Autant dire que ce premier chapitre n’est qu’un petit avant-goût de ce qui nous attend, laissant volontairement le lecteur sur sa faim.

Par son ambition, cette série a également poussé l’auteur à se questionner graphiquement. On se souvient de son goût pour une certaine Amérique du polar noir dans ses albums parus chez Actes Sud/L’An 2 comme Castilla Drive. Son passage chez Casterman lui avait ensuite permis d’aborder un récit historique léché et féministe ( La Vallée du diable et Le Sentier des reines). Formé aux arts décoratifs, venu à la BD sur le tard, Anthony Pastor fait ici le choix d’un dessin plus enlevé, plus jeté, refusant ” la tyrannie de l’esthétisme “, cherchant le détail uniquement s’il se révèle utile à la narration.

Thriller glaçant

Dans No War, les revendications de meilleure gouvernance et de justice sociale ressemblent étrangement à celles clamées depuis plusieurs mois dans l’Hexagone, dérives y comprises. Anthony Pastor admet une filiation dans ces prémices de chaos. ” Il y va de ma responsabilité d’auteur, une liberté également. Dans mon histoire familiale, j’ai été très vite concerné par les grands sujets. Mon grand-oncle a été emmené en camp de concentration. Mon père est d’une famille de républicains espagnols. J’ai donc envie de transmettre un message, même s’il repose sur le doute et le questionnement. ”

S’il est encore tôt pour juger de la qualité d’ensemble de la série, ce premier album laisse en tout cas entrevoir un thriller politique mêlé de saga familiale et teinté d’un peu de fantastique qui s’annonce glaçant.

Anthony Pastor, ” No War – tome 1 “, éditions Casterman, 130 pages, 15 euros.

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