” Plus la banque se digitalise, plus l’humain est important “

Ronan Le Moal, directeur général du Crédit Mutuel Arkéa " Les fintechs ne sont jamais intégrées mais plutôt raccordées au groupe, via des prises de participations ou des partenariats. " © BELGA IMAGE

Petite discussion numérique avec le banquier français Ronan Le Moal, big boss du Crédit Mutuel Arkéa, la maison mère bretonne de Keytrade.

A la tête d’une banque qui emploie 9.000 personnes et pèse plus de 130 milliards d’euros, Ronan Le Moal ne tarit pas d’éloge sur Keytrade Bank. Grand patron du Crédit Mutuel Arkéa, le Français salue en effet le travail mené par la banque en ligne qui sert désormais de repère aux autres équipes du groupe en termes de stratégie digitale. Faisant partie de cette nouvelle génération de banquiers passionnés par les nouvelles technologies, le CEO (45 ans et un compte Twitter qui affiche plus de 5.000 abonnés) était de passage à Bruxelles en décembre dernier pour passer en revue ses troupes belges. ” Il y a chez Keytrade une culture de l’innovation très forte et un sens aiguisé de la relation avec le client qui en font un formidable laboratoire pour l’ensemble du groupe “, affirme-t-il en partageant avec nous son petit déjeuner dans un hôtel chic de la capitale.

Nous avons vu dans l’arrivée des fintechs une forme d’opportunité plutôt qu’une menace.

Sortir de son pré carré

Si Ronan Le Moal s’intéresse d’aussi près au travail de Keytrade, ” une des toutes premières fintechs “, dixit le CEO, c’estparce que l’innovation est depuis longtemps au coeur de la stratégie du Crédit Mutuel Arkéa. ” La place prépondérante qu’occupe la technologie au sein du groupe est intimement liée à son histoire, celle d’une banque de taille intermédiaire qui vient de Bretagne, situe-t-il. Pour nous développer, nous avons très vite eu besoin de sortir de nos frontières naturelles. Pour cela, nous nous sommes rendu compte que la technologie et l’agilité étaient deux facteurs très importants : l’agilité liée à notre taille et la technologie liée au fait que le groupe est à l’origine une entreprise d’ingénieurs. Et bien sûr aussi parce que le Web ne connaît pas de frontières. C’est pour toutes ces raisons que l’innovation est devenue rapidement un des fers de lance du développement du groupe. ” Résultat des courses : neuf minutes suffisent désormais à un nouveau client pour ouvrir, lui-même, un compte auprès du Crédit Mutuel Arkéa et de disposer ainsi immédiatement d’une carte bancaire virtuelle. Et cerise sur le gâteau, le groupe breton compte aujourd’hui 150.000 clients qui vivent en dehors de sa zone de chalandise historique (Lyon, etc.).

La carte des fintechs

Autre particularité dans la stratégie du groupe toujours basé à Brest : il est depuis longtemps présent dans l’univers des fintechs, ces start-up qui allient finance et technologie pour proposer des services bancaires innovants. Outre le lancement de Fortuneo et le rachat de Keytrade à Crelan en 2015, il a dernièrement acquis 80 % du capital de la jeune pousse française Pumpkin, dont l’application mobile facilite les transferts d’argent entre proches. Avant cela, il a aussi investi dans Linxo (agrégateur de compte), Leetchi (cagnotte en ligne) ou encore Mandarine Gestion (gestion d’actifs). Et tout récemment, il a lancé un assistant personnel baptisé Max. Ce dernier propose notamment une carte permettant de choisir avec quel compte on veut payer, et cela quelle que soit la banque où il est ouvert.

Bref, ” à chaque fois qu’une modification de notre environnement apparaît, qu’elle soit technologique, réglementaire ou autre, nous essayons de la voir plutôt comme une chance que comme une menace, explique Ronan Le Moal. Vu notre taille d’acteur intermédiaire, nous devons en effet bouger plus vite que les gros mastodontes. Un petit qui fait comme les gros, c’est darwinien, il disparaît. C’est pour cela que nous avons pris le virage du digital plus vite et plus tôt que les autres. Nous avons plutôt vu dans l’arrivée des fintechs une forme d’opportunité. ”

Justement, comment se passe cette cohabitation avec les fintechs ? ” Nous préférons leur laisser une grande autonomie de fonctionnement, poursuit Ronan Le Moal. Elles ne sont jamais intégrées mais plutôt raccordées au groupe, via des prises de participations ou des partenariats. En fait, elles sont à l’aise avec une maison mère dont la technologie est un des fers de lance et qui, même si parfois elle peut avoir quelques lourdeurs, a quand même plutôt comme vocation à bouger rapidement. Avec les fintechs, on parle le même langage, on se comprend. Elles trouvent chez nous un écosystème intéressant pour s’épanouir et, en échange, elles nous amènent une capacité de développement très forte et nous transmettent une partie de leur ADN. ”

L’agence bancaire n’est pas morte, si…

Plus globalement, comment le banquier français appréhende-t-il la transformation à l’oeuvre dans son secteur ? ” Il faut accepter aujourd’hui que tout passe par le smartphone, observe-t-il. Le digital permet une connexion directe avec le client. Ouvrir un compte, faire un virement, signer un crédit immobilier : toutes les opérations du quotidien seront demain faites sur mobile, y compris celles que l’on n’imagine même pas aujourd’hui. Le smartphone sera par excellence l’outil de la banque transactionnelle. Pour cela, il faudra être l’Amazon de la banque, avec une qualité irréprochable. Dans ce domaine, les acteurs traditionnels ont beaucoup à apprendre des acteurs du digital, dont Keytrade. L’opérationnel devient de plus en plus important. Il doit, dans le monde digital, présenter zéro défaut. ” Et l’agence bancaire dans tout cela ? ” Elle n’est pas morte, estime Ronan Le Moal. D’ailleurs, nous ne fermons pas d’agences (le groupe s’appuie sur un réseau de 450 agences, Ndlr). Simplement, personne n’ira en agence demain si la promesse de valeur est la même que sur le smartphone. Si je trouve la même chose à la Fnac que ce que je trouve sur Amazon, je n’irai pas à la Fnac. Autrement dit, il faut rehausser la promesse de valeur en agence, c’est-à-dire accompagner des projets de vie plus que de vendre ses produits. ”

Et Ronan Le Moal d’insister à ce propos sur le facteur humain : ” Pendant des décennies, le banquier a été considéré comme le médecin de famille. A ceci près que le médecin conseille, fait une ordonnance mais ne vend pas de médicaments. Le banquier classique a lui, pendant très longtemps, conseillé ses clients tout en leur vendant des produits. Quelque part, il est devenu un vendeur plutôt qu’un apporteur de conseils. Or, les acteurs digitaux sont aujourd’hui de meilleurs vendeurs. Et comme la valeur de conseil du banquier a entre-temps disparu, elle n’a plus de prix, et donc le banquier n’a plus de marge. Bref, la banque de détail a beaucoup d’avenir mais elle doit réenchanter. Il faut réinventer la relation avec le client et anticiper les moments-clés de sa vie (maison, mariage, héritage, naissance, études, etc.). En fait, plus il y a de digital, plus l’humain est important. Simplement, il faut enrober la puissance du digital avec une expertise humaine “, souligne Ronan Le Moal.

PSD2 : une opportunité

Quant à l’arrivée de la nouvelle directive européenne sur les paiements (PSD2), qui obligera bientôt les banques à donner accès à des tiers aux comptes de leurs clients, Ronan Le Moal y voit une réforme intéressante. ” Par le passé, les banquiers se sont trop peu occupés de la structuration des données et de leur exploitation. Pourquoi ? Parce que pendant très longtemps, l’industrie bancaire a dégagé des marges très importantes. Dans la majeure partie des grands groupes, cela n’a donc pas été le souci premier. Or, c’est pourtant un des sujets d’avenir. La valeur du banquier, c’est finalement sa capacité à bien connaître ses clients. Par définition, les données sont donc fondamentales. Le problème pour certains grands groupes bancaires, c’est que leurs systèmes d’information ont des dizaines d’années, ce qui, objectivement, n’est pas notre cas. ” Pour autant, le grand patron du Crédit Mutuel Arkéa ne croit pas que le modèle d’avenir soit de commercialiser les données des clients. ” Les consommateurs vivent cela de plus en plus comme une intrusion agressive. Ils veulent reprendre la maîtrise de leurs données personnelles. La reprise du pouvoir par le client face à son banquier est une réalité qui ne va pas s’arrêter “, conclut Ronan Le Moal.

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