“Petit magicien devenu grand”: la société belge Luc Petit Création séduit la Chine

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Le 29 avril, le scénographe belge Luc Petit inaugurera un tout nouveau spectacle dans la ville chinoise de Qingdao, la métropole asiatique du cinéma. En exclusivité pour ” Trends-Tendances “, voici l’épopée et les premières images du show ” Eight Immortals ” qui sera joué devant 1.500 personnes, sept jours sur sept, pendant 10 ans, dans un théâtre spécialement conçu pour cette aventure épique.

C’est un projet qui est à l’image de la Chine. Démesuré, innovant, audacieux. Après quatre années de travail acharné, mené dans la plus grande confidentialité, le spectacle Eight Immortals va enfin voir le jour à la date annoncée et respectée – fait rare dans le show-business – du 29 avril, au coeur de la ville chinoise de Qingtao. Ce jour-là, 63 acteurs, danseurs et acrobates virevolteront sur la scène d’un théâtre flambant neuf, tandis qu’une quarantaine de techniciens s’activeront en coulisses pour tirer les ficelles sonores et visuelles d’un décor en perpétuel mouvement.

Basé sur l’histoire des huit immortels – célèbres divinités du panthéon taoïste -, ce show semi-aquatique fusionnera traditions, onirisme et combats dans plusieurs tableaux hauts en couleur. Immense, le plateau s’étirera sur plus de 50 mètres en front de scène et sera rehaussé d’un écran de 15 mètres de haut pour mieux immerger les 1.500 spectateurs dans l’histoire fantastique de ces super-héros. ” Le public sera très proche de l’action, confie le scénographe Luc Petit qui gère la partie créative du spectacle. J’ai une formation de cinéaste et j’ai vraiment voulu oublier ici le cadre strict du théâtre pour plonger le spectateur dans un univers cinématographique. C’est un travail de longue haleine et c’est très excitant de voir enfin en vrai ce que l’on a couché sur papier il y a quatre ans déjà. ”

J’ignore si c’est le prix ou l’originalité de notre démarche qui a les a séduits. En Chine, c’est toujours compliqué de décoder.” – Luc Petit

Lasers, video mapping, décors gonflables, drones, mâts souples, flyboard, etc. : les effets et accessoires déployés sur scène viendront en effet animer le récit épique des Eight Immortals comme un film de cinéma, durant 90 minutes.

Budget de 18 millions

Doté d’un budget de production de 18 millions d’euros, ce tout nouveau spectacle conçu par l’entreprise belge Luc Petit Création sera joué sept jours sur sept, pendant 10 ans, dans un théâtre qui a été construit sur mesure pour épouser au mieux les désirs du scénographe. Cette arène futuriste aurait coûté, à elle seule, la bagatelle de 220 millions d’euros au conglomérat chinois Wanda Group – actif dans l’hôtellerie, le tourisme et le cinéma – qui a revendu depuis une grosse partie de ses actifs au groupe immobilier Sunac, lui aussi chinois, pour près de 10 milliards de dollars. C’est donc sous le label Sunac qu’ont été présentées récemment les grandes lignes du show Eight Immortals à une centaine de journalistes chinois, invités par les émissaires du Qingdao Oriental Movie Metropolis où se niche le nouveau théâtre ovoïde de la ville ( lire l’encadré ” Hollywood made in China “).

” Notre mandat pour ce show s’arrête théoriquement le 29 avril, jour de la première représentation, explique Anne Roelandt, directrice associée de Luc Petit Création, en charge de la production du spectacle. Nous l’avons conçu et développé pendant quatre ans. Nous serons encore à Qingdao pendant tout le mois de mai pour assurer la transition. Mais après cette période de stabilisation, nous passerons le relais à une équipe chinoise et nous nous lancerons dans de nouveaux projets. ”

Luc Petit lors de la conférence de presse de présentation.
Luc Petit lors de la conférence de presse de présentation.© PG

Du rêve à la réalité

En attendant le jour J, l’équipe belge – une centaine de personnes – veille aux derniers réglages d’usage. Les chorégraphies et les combats du show Eight Immortals ont été répétés dans un théâtre voisin et il convient à présent de les transposer in situ avec les décors, les bassins et les costumes flambant neufs. ” C’est maintenant que tout se met en place et ce n’est pas toujours évident puisqu’il faut par exemple composer avec des éléments téléguidés comme des tortues volantes ou des grues cendrées qui évolueront au-dessus des acteurs, poursuit Anne Roelandt. Mais nous ne sommes pas trop stressés puisque Luc, avec sa formation de cinéaste, travaille toujours avec un story-board où tout est déjà indiqué. Bien sûr, le fait de travailler en Chine présente aussi quelques difficultés, notamment à cause de la langue et d’un système très procédurier, mais nous sommes ravis d’avoir mené à bien ce projet parce que la culture est un fondement de la démocratie et je suis personnellement très fière d’avoir réalisé aujourd’hui quelque chose dans ce pays. ”

En compétition avec quatre autres grandes sociétés spécialisées dans la réalisation de spectacles permanents, Luc Petit Création a décroché l’appel d’offres pour l’aventure Eight Immortals sans vraiment savoir ce qui a fait la différence. ” En Chine, c’est toujours compliqué de décoder, confie Luc Petit. J’ignore si c’est le prix ou l’originalité de notre démarche qui a les a séduits, mais tout cela s’est finalement décidé subitement en deux heures, après un an et demi de discussions et de travail préparatoire. J’y suis habitué puisque j’ai déjà eu l’occasion de travailler en Chine, notamment sur l’ouverture d’un casino à Macao, à l’époque où je collaborais avec Franco Dragone. ”

Vue du Qingdao Oriental Movie Metropolis avec, à l'avant-plan, le théâtre construit sur mesure pour le spectacle.
Vue du Qingdao Oriental Movie Metropolis avec, à l’avant-plan, le théâtre construit sur mesure pour le spectacle.© BelgaImage

Cinéaste puis scénographe

Formé aux métiers du cinéma à l’Institut des arts de diffusion (IAD) de Louvain-la-Neuve, Luc Petit démarre sa carrière au début des années 1990 avec plusieurs projets audiovisuels. Déjà, les grands noms succombent à son audace. Le musicien Jean-Michel Jarre lui confie le making of de son méga-concert sur le site de La Défense à Paris devant deux millions de personnes. L’acteur Gérard Depardieu accepte d’apparaître dans un spot de sensibilisation qu’il réalise pour l’intégration des personnes trisomiques. Le comédien Jean Rochefort pose sa voix sur les 150 capsules d’une durée de 60 secondes que le cinéaste belge réalise pour raconter l’histoire du cinéma français des années 1930 à 1960.

Mon but n’est pas de dépasser Franco Dragone. Nous ne sommes pas en concurrence et je ne serais pas arrivé où j’en suis aujourd’hui si je ne l’avais pas rencontré.” – Luc Petit

Mais c’est un scénographe louviérois qui lui ouvrira la voie vers de nouveaux projets créatifs. A l’aube de l’an 2000, Luc Petit rejoint en effet l’équipe de Franco Dragone de retour en Belgique après avoir passé plusieurs années dans la féerie canadienne du Cirque du Soleil. Le scénographe d’origine italienne vient de monter sa propre entreprise de création de spectacles et il confie rapidement les rênes artistiques de plusieurs projets d’envergure à Luc Petit. Le diplômé de l’IAD bascule ainsi du cinéma à l’événementiel en signant plusieurs créations en 2000 comme l’opéra urbain Décrocher la Lune à La Louvière, la cérémonie d’ouverture de l’Euro 2000 – le Championnat d’Europe de football – à Bruxelles ou encore la Disney Cinema Parade en 2002 pour le célèbre parc d’attractions de Marne-la-Vallée.

Voler de ses propres ailes

Retenu à Las Vegas pour le show A New Day de la chanteuse Céline Dion qu’il met en scène en 2003, Franco Dragone a trouvé en Luc Petit son double artistique et ce dernier multiplie dès lors les créations avec l’aval du maître, de Macao à Abou Dhabi, en passant par Venise où il met en scène un incroyable mariage indien durant trois jours dans trois lieux différents avec la vedette Shakira en guest star.

Le scénographe prend du galon et songe tout doucement à monter sa propre structure. Sa rencontre avec Anne Roelandt – à qui il donne cours à l’IAD dans la section Production de spectacles vivants – marque le second tournant de sa carrière. Ensemble, ils décident de se lancer et fondent Luc Petit Création en 2010. Le binôme est complémentaire : le scénographe développe le concept créatif des projets, tandis que la jeune femme assure le management de la structure et la production artistique des commandes.

En 2012, leur premier grand spectacle voit le jour à Bruxelles sous la forme d’une comédie musicale. Sur la scène de Forest National, Peter Pan, The Never Ending Story réunit plus de 50 comédiens dans un décor qui s’habille du plus grand video mapping jamais réalisé dans une salle de spectacles. Danse, chant, acrobaties, cascades, jeux de lumières, etc. : le show conçu par Luc Petit Création est un succès et entame rapidement une tournée mondiale – Dubaï, Doha, Singapour, Taipei, etc. – qui n’est toujours pas finie à ce jour.

Luc Petit entouré de son équipe.
Luc Petit entouré de son équipe.© PG

Spectacles en cascade

Porté par sa renommée et son expérience, le scénographe multiplie les projets et les réussites. En 2014, il crée un spectacle son et lumière à Bastogne pour le 70e anniversaire de la bataille des Ardennes, show pour lequel il recevra le prix du meilleur événement d’exception au Salon des trophées de l’événement à Cannes. Un an plus tard, il met en scène la grande fête de lancement de Mons 2015, capitale européenne de la culture, et organise dans la foulée Inferno, le gigantesque spectacle d’ouverture du bicentenaire de la bataille de Waterloo. Là aussi, les honneurs pleuvent au Festival européen des événements EuBea à Séville.

Attaché à l’âme des villes, Luc Petit poursuit la production de l’opéra urbain Décrocher la Lune à La Louvière – l’édition n°6 lui vaudra également un prix au Festival EuBea 2016 – et s’investit dans les Nocturnales, un concept d’opéras patrimoniaux qui glorifient la richesse architecturale des églises, cathédrales et autres édifices chargés d’histoire en Fédération Wallonie-Bruxelles (plus de 20.000 spectateurs l’année dernière). En 2018, il installe les Féeries de Beloeil dans le cadre du somptueux château, un spectacle qui mixe danse, théâtre, musique et performances, et qui verra éclore sa deuxième édition le 17 août prochain.

Rester humble

Installée à Bruxelles dans une superbe maison aux accents Art Nouveau, la société Luc Petit Création a mené de front ces différents événements dont la récente aventure des Eight Immortals qui va enfin prendre forme le 29 avril à Qingtao. L’équipe a déjà son viseur créatif pointé sur le Qatar et le Japon où deux projets sont en cours de négociations. Grâce aux retombées médiatiques que va générer le spectacle chinois, l’entreprise semble dès lors promise à un très bel avenir. L’élève pourrait-il finir par supplanter le maître ? ” Mon but n’est pas de dépasser Franco Dragone, répond énergiquement Luc Petit. Nous ne sommes pas en concurrence et j’aime rappeler que je ne serais pas arrivé où j’en suis aujourd’hui si je ne l’avais pas rencontré. Il est vrai que ce projet en Chine est important parce que c’est la première fois que je pourrai montrer un spectacle permanent, dans un même théâtre, mais mon but n’est pas d’être connu personnellement. Mon but est de continuer à faire rêver. ” Voilà qui est dit et c’est plutôt bien parti.

Hollywood made in China

Officiellement inauguré il y a un an à peine, Qingdao Oriental Movie Metropolis ambitionne de devenir le nouvel Hollywood du continent asiatique. Le chantier a été lancé en 2014 dans cette ville du nord-est de la Chine qui fut jadis une colonie allemande et qui donna naissance à la célèbre bière Tsingtao pendant les années d’occupation au début du 20e siècle.

Port de commerce majeur ouvert sur la mer Jaune, Qingdao compte aujourd’hui 10 millions d’habitants et a décidé de se reconvertir dans l’industrie cinématographique sous l’impulsion du conglomérat chinois Wanda Group. En 2013, ce groupe actif dans l’hôtellerie, le tourisme et le cinéma a en effet investi plus de 6 milliards d’euros dans la construction d’un vaste parc de 400 hectares dédié à la production audiovisuelle.

Aujourd’hui, le quartier de Qingdao Oriental Movie Metropolis compte déjà 30 studios de cinéma – dont un complexe géant de 10.000 m2 – qui répondent aux plus hautes normes internationales et qui veulent attirer un maximum d’équipes de tournage de Chine, mais aussi de l’étranger.

Passé sous le giron du groupe immobilier Sunac en 2017, ce nouvel Hollywood made in China a déjà produit plus de 100 longs métrages – parfois tournés avant la fin des travaux – dont le film sino-américain La Grande Muraille avec Matt Damon ou encore Pacific Rim Uprising sorti récemment en Belgique.

Pharaonique, cette cité chinoise du cinéma ne cesse de s’agrandir et comprend aujourd’hui d’autres édifices comme des hôtels de luxe, un centre commercial, une école, un hôpital et des salles de spectacles dont le théâtre ovoïde qui accueillera bientôt le show permanent Eight Immortals signé Luc Petit.

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