Espace: les entreprises belges sur orbite

Thomas Dermine, secrétaire d'Etat à la Politique scientifique, et Raphaël Liégeois. © belga
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Le gouvernement fédéral entend augmenter l’attrait de ce secteur en croissance en Belgique, profitant du retour des expéditions lunaires, des annonces de constellations de satellites… et de la nomination du Belge Raphaël Liégeois parmi les cinq nouveaux astronautes choisis par l’Esa.

L’Agence spatiale européenne a désigné le Namurois Raphaël Liégeois parmi la nouvelle cohorte de quatre à six astronautes qu’elle recrute. Il succédera à Frank De Winne, le dernier astronaute belge, commandant de la station spatiale internationale (ISS) en 2009, et à Dirk Frimout.

Cette a,nnonce a particulièrement réjoui Thomas Dermine, secrétaire d’Etat à la Relance et aux Investissements stratégiques, chargé de la Politique scientifique, qui estime qu’un astronaute belge relancera l’intérêt pour une filière déjà importante en Belgique, où des entreprises interviennent à tous les niveaux, depuis la fourniture d’éléments de lanceurs jusqu’à l’analyse de données spatiales, en passant par la fabrication de satellites: Sabca pour les lanceurs, Antwerp Space pour l’équipement de communication de satellites, Thales pour l’alimentation électrique embarquée, Spacebel pour les logiciels, Aerospace pour la fabrication de micro-satellites, entre autres.

“Un astronaute a un vrai impact sur la société, c’est un peu le visage des sciences, assure le secrétaire d’Etat. L’espace fait rêver, c’est la prochaine frontière, il exerce une incroyable fascination sur les enfants et influence l’attractivité des formations scientifiques.”

Construire une colonie lunaire

“Il y avait 22.523 candidats, dont 1.007 Belges”, précise Thomas Dermine. Les pays ne désignent pas les astronautes, c’est l’affaire de l’agence européenne, qui opère une sélection en plusieurs étapes. “En fin de course, il restait 30 personnes able to fly, poursuit le secrétaire d’Etat. Le dernier screening portait sur les compétences émotives, de communication, et il y a un peu de lobbying à ce stade.”

THOMAS DERMINE, a fait du lobbying auprès de l'Agence spatiale européenne en vue de la nomination d'un nouvel astronaute belge, après Dirk Frimout et Frank De Winne.
THOMAS DERMINE, a fait du lobbying auprès de l’Agence spatiale européenne en vue de la nomination d’un nouvel astronaute belge, après Dirk Frimout et Frank De Winne.© pg

L’annonce a été faite à la fin de la “ministérielle”, une réunion où, tous les trois ans, les 22 pays membres de l’Agence spatiale européenne choisissent les programmes qu’ils sont prêts à financer. L’agence a joué sur le suspense lié au choix des astronautes pour que les pays se montrent ambitieux. La Belgique est prête à augmenter sa contribution annuelle de 255 à 325 millions d’euros, soit une hausse de 27%.

“Ce qui est intéressant, c’est que nous sommes à l’aube d’une nouvelle conquête spatiale. La génération des astronautes qui seront recrutés est celle qui ira construire une colonie lunaire dans les années 2030.” Elle le fera dans le cadre du programme Artemis, de la Nasa, auquel participe l’agence européenne, qui reprend le fil interrompu de l’épopée d’Apollo des années 1970, avec la construction d’une base lunaire. “Elle devrait servir de point de départ pour l’exploration vers Mars, à l’horizon 2030-40”, précise Thomas Dermine.

L’Europe se réveille

Après une longue préparation et bien des retards, une première mission Artemis est en cours sans équipage. L’énorme fusée, la plus puissante jamais lancée, a décollé le 16 novembre du Kennedy Space Center pour un vol d’essai où le vaisseau spatial, Orion, tournera autour de la Lune avant de revenir vers la Terre. Il est constitué d’une capsule pour l’équipage construite par Boeing. La partie arrière est fabriquée en Europe, fournie par l’Agence spatiale européenne. Quelques entreprises belges comme la Sonaca et Thales Alenia Space Belgium y ont contribué.

L’Agence spatiale européenne évalue une stratégie qui permettrait à l’Europe d’avoir ses propres projets d’expédition lunaire, basés sur les fusées Ariane.

Ces dernières années, l’espace est en plein bouleversement et connaît de grands développements. Les technologies ont évolué et la part de l’initiative privée a augmenté avec le développement aux Etats-Unis de SpaceX, la société d’Elon Musk, devenue en 10 ans le numéro 1 des lanceurs grâce à son concept innovant de fusées réutilisables qui fait chuter le prix des vols. SpaceX est en train de construire un immense réseau de satellites de communication par internet autour de la Terre, Starlink.

L’Europe a pris du retard, et la conférence ministérielle de l’agence devrait chercher à apporter des réponses sous forme d’orientations nouvelles. Un des grands thèmes est la souveraineté. Jusqu’ici, l’Europe avait beaucoup misé sur la collaboration avec d’autres continents ou grandes puissances pour développer des projets, mais la réalité géopolitique a changé.

Le rêve de l’autonomie spatiale

“Une des orientations stratégiques dépend de la question suivante: l’Europe peut-elle se passer d’un accès autonome à l’espace, sachant que dans 20 ou 30 ans, il y aura peut-être une exploitation minière de la Lune, une multiplication de plateformes habitées? Faut-il dépendre des Russes ou des Américains?”, interroge Thomas Dermine.

“On dépendait des lanceurs Soyouz, de fabrication russe, pour une série de missions. L’Europe a ainsi énormément investi dans ExoMars pour envoyer des sondes très performantes sur Mars et réaliser des prélèvements en profondeur dans le sol de cette planète. Mais toute la plateforme a été conçue pour partir avec Soyouz. Or, on a décidé de stopper pas mal de projets avec les Russes.”

Avec les Américains, peut aussi surgir une forme de concurrence. L’Agence spatiale européenne évalue une stratégie qui permettrait à l’Europe de fonder ses propres projets d’expédition lunaire, basés sur les fusées Ariane.

Il faudra aussi rattraper le retard sur ces lanceurs en développant des modèles réutilisables. Là aussi, la ministérielle devait aborder le sujet du financement du projet de démonstrateur Themis, première étage d’une future fusée Ariane Next réutilisable.

Projet de futur lanceur Ariane 6.
Projet de futur lanceur Ariane 6.© ariane group

Sur le dossier de la souveraineté en matière de communication, les instances européennes (Conseil, Commission, Parlement) viennent de prendre, à une vitesse accélérée, une décision sur le lancement d’une constellation de satellites d’accès à internet, concurrente à Starlink, à usage civil et militaire, aussi pour disposer d’une alternative aux réseaux terrestres, leçon tirée de la guerre en Ukraine. Ce projet de la Commission européenne est évalué à 6 milliards d’euros et l’Agence spatiale européenne devrait y jouer un rôle de partenaire, recevant 750 millions d’euros de ses membres à cette fin.

Les satellites pour suivre les inondations

Autre sujet fort abordé par la ministérielle: la dimension environnementale. “L’agence essaye d’avoir sur ce terrain une longueur d’avance, assure Thomas Dermine. Notamment pour mieux anticiper les effets du réchauffement climatique. Elle dispose de gros programmes de modélisation de la Terre pour créer un jumeau numérique à partir de données satellitaires en temps réel et effectuer des simulations, par exemple avec des scénarios d’élévation du niveau de la mer, et évaluer l’impact sur les flux migratoires, les écosystèmes.”

Nos entreprises sont actives à tous les niveaux de la chaîne de valeur.

Dans la même perspective, l’observation par satellite peut jouer un rôle pour surveiller les phénomènes extrêmes qui risquent de se multiplier (inondations, sécheresses, feux de forêts). L’agence crée un service appelé Rapid and Resilient Crisis Respond, en utilisant les données recueillies par les satellites d’observation.

“On aura des informations minute par minute sur l’évolution d’une inondation, ce qui permettra aux secours d’intervenir de manière plus efficace, de sauver des vies”, poursuit le secrétaire d’Etat. Le service exploitera les données des satellites d’observation d’un programme appelé Copernicus, et aurait été bien utile en Belgique en juillet 2021…

Après une longue préparation et bien des retards, une première mission Artemis est en cours, sans équipage.
Après une longue préparation et bien des retards, une première mission Artemis est en cours, sans équipage.© getty images

Un secteur très présent en Wallonie

Les entreprises belges jouent ou joueront un rôle important dans tous ces projets. La Wallonie est particulièrement présente. “Des entreprises sont actives à tous les niveaux de la chaîne de valeur. Pour l’observation de la Terre depuis le satellite, avec Aerospacelab. En matière de senseurs et capteurs, avec Amos ou LambdaX. Ou de logiciels avec Spacebel”, indique Etienne Pourbaix, directeur de Skywin, le pôle de compétitivité aéronautique et spatial wallon.

Le secteur spatial est certes moins important que celui de l’aéronautique mais il connaît une croissance et la crise du covid a montré qu’il était plus stable. “Il y a de plus en plus d’entreprises intéressées par le spatial, assure Etienne Pourbaix. Nous sommes, par exemple, présents à un salon à Brême et nous devons refuser du monde car la demande des entreprises a fortement augmenté. De plus en plus de gens hors du spatial viennent voir s’ils ne pourraient pas entrer dans le secteur.”

25 euros par habitant

“Certains disent que l’espace est cher, mais il ne coûte que 25 euros par habitant en Belgique”, avance Thomas Dermine, qui divise la contribution à l’Agence spatiale européenne par la population. La Belgique est néanmoins généreuse, car la contribution moyenne des 22 Etats membres est plutôt de 10 euros par habitant. “Je l’ai rappelé à la table du Conseil des ministres en charge de l’espace: si tout le monde mettait 25 euros par habitant, cela multiplierait le budget par 2,5. Pour arriver au niveau américain, il faudrait le multiplier par 7 ou 8”.

La Belgique est le plus grand contributeur à l’Agence spatiale européenne parmi les petits pays. Elle représente 5,6% des contributions nationales, soit 255,8 millions d’euros, la plus importante derrière la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, et aussi la Commission européenne qui confie certains projets à l’Agence, comme Galileo (satellites de navigation). L’Agence dispose d’un budget total de 6,49 milliards d’euros.

Un secteur en croissance

Le secteur spatial connaît une certaine prospérité en Belgique. Il a progressé de 2.762 emplois en 2011 à 3.620 en 2020 (+31%) ; la Wallonie représente la part du lion, avec 2.000 emplois. Son chiffre d’affaires a doublé, pour atteindre 720 millions d’euros en 2020. Il a la réputation de dépendre fortement de l’Agence spatiale européenne (Esa) puisque celle-ci est supposée se fournir dans les pays membres à hauteur de leurs contributions.

Mais la part de l’Esa diminue dans le chiffre d’affaires des entreprises. Car l’activité privée dans l’espace est de plus en plus importante grâce à la réduction du coût des lancements, notamment avec SpaceX qui suscite la création nouvelles entreprises (le “New Space”). “Le financement public permet d’amorcer de la recherche et de l’industriel, c’est un modèle vertueux, estime Thomas Dermine. C’est un domaine où l’effet multiplicateur de l’investissement public est très élevé: 3 euros de retombées pour 1 euro versé.”

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