” Nous faisons aujourd’hui des plans sur 2050 “

© Christophe Ketels - BELGAIMAGE

Pressenti pour présider la Sonaca en mai prochain, Yves Prete, 65 ans en janvier, l’avoue : cela lui fait un pincement au coeur de devoir bientôt abandonner l’entreprise dans laquelle il est entré en mars 1979 et dont il est administrateur délégué depuis 2011.

Héritière de FN Moteurs, rebaptisée Techspace Aero au début des années 1990 suite à l’entrée dans son capital du groupe français Snecma/Safran, puis Safran Aero Boosters en 2016, l’entreprise aéronautique liégeoise que pilote encore Yves Prete est une des rares industries florissantes en Wallonie.

Spécialisée dans les compresseurs basse pression (l’entrée des réacteurs), elle a réalisé l’an dernier un bénéfice net de 121 millions d’euros sur un chiffre d’affaires de 732 millions. En 2011, lorsqu’Yves Prete en devient l’administrateur délégué, elle employait 1.200 personnes. Aujourd’hui, elle en compte 1.600, et conforte son statut de leader planétaire. ” Nous possédons 75 % du marché mondial des avions moyens-courriers. Nous aurons également bientôt, suite à la signature d’un partenariat avec General Electric qui va motoriser le prochain Boeing 777, la moitié du marché de compresseurs basse pression des avions longs-courriers “, se réjouit Yves Prete.

Le métier de sous-traitant est respectable, mais pas placé assez haut dans la chaîne de valeur.

Le secret de cette réussite ? Le changement de stratégie imprimé il y a une vingtaine d’années par Snecma qui a décidé de faire du site liégeois l’endroit où non seulement on assemble, mais aussi où l’on conçoit ces compresseurs intégrés aux réacteurs des quatre grands motoristes qui se partagent le marché mondial : General Electric, Pratt & Whitney, Rolls-Royce et Safran. ” Etre sous-traitant est un métier respectable, mais qui n’est pas placé assez haut dans la chaîne de valeur, et cela peut être mortifère dans un pays comme la Belgique où la main-d’oeuvre est chère “, explique Yves Prete.

” Nous partageons les risques mais aussi les revenus, poursuit-il. Nous avons donc la même marge que les motoristes, qui apprécient cette attitude car les programmes comportent toujours des risques : mévente d’un avion, pénalités de retard (même si la faute ne nous en incombe pas) ou compétition exacerbée qui pèse sur les prix. ”

Le secret ? Le triptyque

Pour qu’une industrie survive en Belgique aujourd’hui, il faut réaliser un triptyque, poursuit le patron liégeois : ” avoir un vrai produit pour être très haut dans la chaîne des valeurs, dégager une rentabilité suffisante pour continuer à innover (Safran Aero Booster consacre 20 % de son chiffre d’affaires à la R&D) et avoir une volonté de remise en cause et d’amélioration permanente. Nous devons maintenir une barrière de compétence et de technologie qui rendra difficile l’arrivée de nouveaux concurrents “. Lorsqu’on lui demande quel conseil il pourrait donner à son successeur, Yves Prete insiste : ” Préparer le futur. C’est un point sur lequel il ne devra pas transiger”. Et c’est pour cela aussi qu’il avoue qu’il ne pourrait pas être un homme politique : ” Un métier humainement trop dur, et dans lequel vous êtes trop souvent prisonnier du court terme “.

” Nous faisons aujourd’hui des plans sur 2050, ajoute le patron wallon. On s’appelle entre nous les obsédés du futur. Et c’est une obsession très motivante. “

Trends Manager de l’année 2018

Pourquoi le jury l’a choisi.

Yves Prete a réussi à maintenir en région liégeoise une société industrielle florissante, qui dépense 15 % de son chiffre d’affaires en R&D et qui continue d’embaucher. C’est aussi l’occasion de tirer son chapeau à quelqu’un qui, en 40 ans de carrière dans la même société, l’a profondément changée et qui n’a pas ménagé les efforts pour sa région : Yves Prete présidait l’Union wallonne des entreprises jusqu’en septembre. Il est régent de la Banque nationale depuis l’an dernier.

Le fait marquant de 2018.

” Avoir commencé à livrer le nouveau moteur, le Leap de Snecma, à des cadences très importantes, qui n’avaient jamais été réalisées auparavant. C’est aussi d’avoir investi, depuis des années, une centaine de millions d’euros par an, en maintenant nos bons résultats et la qualité des services offerts à nos clients. ”

La réalisation dont il est le plus fier.

La réponse fuse : ” avoir gardé de l’emploi industriel en Région wallonne “.

Le défi qui l’attend en 2019.

” Réaliser la passation de pouvoir, transmettre la passion de cette société à l’ensemble du personnel. L’entreprise est une belle chose, qui crée la richesse sur laquelle une société peut se construire. ”

Un bon Manager de l’Année, selon lui.

” Il doit avoir une vision stratégique, être rigoureux, mais nourrir aussi une petite étoile à laquelle il croit. La mienne, c’est d’oeuvrer pour le bonheur des gens dans ma région. Un bon manager doit être capable de comprendre ce qui fait la qualité et la particularité de son entreprise : les hommes et les femmes qui en font partie. Il doit aussi être très résilient. La vie d’un manager est faite d’embûches. ” C’est un passionné de rugby qui parle.

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