N’est pas Glorieuse qui veut…

Les Glorieuses de Bresse Chaque année en décembre, quatre concours célèbrent les plus belles volailles. © Belgaimage

La volaille de Bresse est la seule au monde à bénéficier d’une AOC (appellation d’origine contrôlée). Il s’en produit moins d’un million par an suivant un cahier des charges hyperstrict au départ d’une seule race élevée en plein air. Chaque année, quatre concours appelés les Glorieuses de Bresse célèbrent les plus beaux spécimens présentés par les éleveurs.

Il est 5 heures du matin et Louhans, la capitale de la Bresse bourguignonne, est encore endormie en ce samedi de la mi-décembre. La Grenette, l’ancienne halle aux grains, grouille, elle, déjà de monde. Sur des tables gigantesques, les éleveurs dressent leurs plus belles poulardes ou leurs chapons les plus élégants. Un bon millier de volatiles parfaitement roulés, la collerette soigneusement peignée, les ailes bien collées, attendent le verdict du jury. Nous sommes dans l’une des Glorieuses, des concours prestigieux qui récompensent les plus belles volailles de Bresse.

Nées en 1862 à Bourg-en-Bresse, ces Glorieuses sont aujourd’hui au nombre de quatre : Bourg-en-Bresse (le vendredi), Louhans (le samedi), Pont-de-Vaux (le dimanche) et Montrevel-en-Bresse (le mardi). Quatre journées pour mettre à l’honneur la seule volaille au monde protégée par une AOC (appellation d’origine contrôlée), devenue AOP (appellation d’origine protégée) en 1996 pour se conformer à la législation européenne.

La Blanche de Bény

L’histoire commence au 17e siècle avec l’arrivée du maïs en France. Mais ce n’est qu’au siècle dernier, dans les années 1930, que la filière se structure réellement. Lassée d’être copiée, elle détermine en 1936 une zone précise d’élevage, la seule qui permet de produire de la volaille de Bresse. Cette zone de 3.356 km2 se répartit sur l’Ain, la Saône-et-Loire et le Jura. ” Ce territoire est typique du bocage bressan, explique Jean-Paul Treboz, ancien éleveur et aujourd’hui président des Glorieuses de Louhans. Vous êtes sur un sol silico-argileux avec beaucoup d’humidité, idéal pour l’herbe et le développement des mollusques ou des vers de terre. En 1936, trois races étaient encore autorisées : la Noire de Louhans, la Grise de Bourg-en-Bresse et la Blanche de Bény. En 1957, quand nous avons obtenu l’AOC, nous n’avons gardé que la Blanche appelée aussi Gauloise de Bresse. Elle symbolise la France : la crète rouge, le plumage blanc et les pattes bleues. Plus prosaïquement, la Grise laissait des traces noires sur la chair et la Noire était aussi une bonne pondeuse… Mais c’est la Blanche, avec sa peau fine, qui avait la chair la plus goûteuse. ”

Bon an mal an, il se produit un million de volailles de Bresse. A titre de comparaison, c’est ce qui est abattu par semaine dans un élevage industriel.

Aujourd’hui, les poussins sont produits par le centre de sélection avicole de Béchanne à Saint-Etienne-du-Bois. Les éleveurs doivent venir s’y fournir en poussins qu’ils achètent âgés à peine d’un jour. Dont coût : 2,30 euros par animal. Un prix qui peut monter si l’éleveur souhaite un poussin dont le sexe est déterminé. A partir de là, leur durée de vie est quasiment immuable : quatre mois pour les poulets, cinq pour les poulardes et neuf pour les chapons. Une poularde est une poule qu’on abat juste avant la première ponte. La présence d’une veine de gras bien apparente sous l’aile est le signe que l’éleveur attend. Ce moment n’est pas choisi au hasard : dès qu’elle se met à pondre, une poule y consacre toute son énergie. En d’autres termes, elle maigrit. Et adieu la goûteuse viande ferme et persillée qui fait la réputation de la volaille de Bresse. Quant au chapon, c’est un poulet que l’on castre aux alentours de la huitième semaine. Une opération délicate car les testicules sont minuscules (pas plus grands qu’un grain de moutarde) et si tout n’est pas enlevé, la crète et le barbillon pousseront quand même. Et cela donnera un faux chapon qui sera finalement commercialisé comme simple poulet de Bresse. Poulardes et chapons sont considérés comme des produits festifs et ne sont autorisés à la vente qu’entre le 5 décembre et le 5 janvier. Bon à savoir si l’on vous propose un beau chapon en septembre…

Le roulage d'un chapon prend environ 15 minutes puis on l'emballe dans une toile végétale que l'on coud à points très serrés avant de masser la volaille pour répartir la graisse.
Le roulage d’un chapon prend environ 15 minutes puis on l’emballe dans une toile végétale que l’on coud à points très serrés avant de masser la volaille pour répartir la graisse.© PG

Des pintades montent la garde

Pour l’élevage, le cahier des charges est hyperstrict. Toute la nourriture donnée (maïs, blé et produits laitiers) doit provenir de la zone de l’AOC. Une fois sortie de la poussinière au bout de 35 jours, la volaille est carencée au niveau protéinique pour qu’elle cherche sa nourriture (herbe, vers, limaces, insectes, mollusques, etc.) dans l’espace vert bien herbeux qui va l’abriter jusqu’à l’abattage (600 volailles maximum par hectare). Chaque terrain contient évidemment un poulailler où elle peut s’abriter en cas de mauvais temps et où elle rentre d’elle-même la nuit. Quinze jours avant l’abattage, la volaille est rentrée dans une épinette, une grande cage en bois, où on va lui faire prendre de la graisse intramusculaire qui en fait sa réputation, en augmentant la proportion de produits laitiers (poudre de lait, babeurre, etc.) dans son alimentation céréalière garantie sans OGM. A l’arrivée, un poulet de Bresse pèse au minimum 1,3 kg, la poularde 1,8 et le chapon 3.

N'est pas Glorieuse qui veut...
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” Chaque éleveur compte environ 10 % de pertes dans son cheptel, poursuit Jean-Paul Treboz. Des pertes dues aux renards, aux buses et autres rapaces. Pour les minimiser, chacun élève environ 5% de pintades dans ses lots. Elles jouent le rôle de garde si vous voulez, un peu comme les oies du Capitole. Elles donnent l’alerte. D’ailleurs quand vous visitez un élevage, vous constatez que les poules suivent le mouvement des pintades quand il y a du bruit ou que du mauvais temps s’annonce. On compte aujourd’hui 165 éleveurs dans la zone AOC, poursuit Jean-Paul Treboz. Bon an mal an, il se produit un million de volailles de Bresse. A titre de comparaison, c’est l’équivalent de ce qui est abattu par semaine dans un élevage industriel. La vraie volaille de Bresse se reconnaît à trois signes : la bague disposée sur la patte gauche qui identifie l’éleveur, le scellé tricolore pincé à la base du cou qui identifie l’expéditeur et le logo AOP. La poularde, le chapon et la dinde disposent d’une grande étiquette tricolore supplémentaire. ”

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De l’élevage aux restaurants

Parmi ces 165 éleveurs, se trouve un Belge : Dimitri De Cuyper. Son nom ne vous dit peut-être rien mais il s’agit du propriétaire de deux restaurants belges bien connus : la Quincaillerie à Bruxelles et la Brasserie Pakhuis à Gand. Deux établissements qui servent plus de 100.000 couverts par an. Il a racheté la Ferme Le Devant en 2008. A l’époque, elle servait de pied-à-terre à des grossistes anversois spécialisés dans la lingerie de luxe. Ils avaient commencé un élevage de poulets. Dimitri De Cuyper l’a perfectionné.

” Nous avons acheté la ferme pour contrôler la filière du début jusqu’à la fin, sourit Dimitri De Cuyper. Du poussin d’un jour jusqu’à la table de mes restaurants. Nous élevons environ 8.500 poulets et 1.500 pintades par an. Tout est toujours vendu. En plus de mes deux enseignes, j’alimente aussi Vrijmoed, le restaurant étoilé de Gand, et je vais commencer une collaboration avec Peter Goossens pour le Hof Van Cleve et avec Sergio Herman pour ses établissements. C’est signe que nos volailles sont de qualité. Sans oublier évidemment les restaurants et magasins locaux. Pendant les fêtes, mes poulardes et chapons se retrouvent aussi chez Rob à Bruxelles ou dans les boucheries de Dierendonck et de De Laet à Anvers. ”

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Pour rejoindre de tels établissements réputés, Dimitri De Cuyper ne lésine ni sur la qualité ni sur les investissements. Il a confié son élevage aux bons soins de Christophe Perraut et a récemment acquis des terrains supplémentaires pour garantir la qualité des sols à disposition de ses volailles. En effet, il faut laisser aux terrains le temps de se régénérer et de refaire de l’herbe entre les lots de poussins. La Ferme Le Devant compte désormais 80 hectares dont 25 de champs et deux nouvelles poussinières modernes de 60 m2 qui permettent d’accueillir 500 poussins pendant 35 jours.

” Pour obtenir une volaille de qualité, il faut respecter l’animal et le produit, poursuit-il. Vous savez qu’il faut frapper avant d’entrer dans une poussinière ? Sans quoi, les volailles peuvent prendre peur, se rassembler dans un coin et s’étouffer. Nous sommes l’un des rares éleveurs autorisés à faire de la vente directe puisque nous avons notre propre abattoir. En outre, nous sommes en train de mettre en place un système qui nous permette de réaliser nos propres mélanges de céréales. Nous nous sommes aussi lancés dans l’élevage du porc de Bayeux, une race à taches noires quasi éteinte en France. Nous prenons 80 bêtes à la fois que nous nourrissons exclusivement de céréales. Elles sont destinées à mes restaurants. Face à la demande locale, j’ai décidé de produire des porcs fermiers. ”

Pendant la plus grande  partie de leur vie          les volailles de Bresse gambadent  durant la journée dans  de grandes prairies herbeuses.
Pendant la plus grande partie de leur vie les volailles de Bresse gambadent durant la journée dans de grandes prairies herbeuses.© BELGAIMAGE

Bien roulées, ces poules !

Au moment de notre visite, La Ferme du Devant prépare les Glorieuses de Louhans. Toute l’équipe est occupée à rouler les volailles qui seront présentées au concours le lendemain. Le roulage est une technique bressane ancestrale. C’est l’ancêtre du sous-vide. Il permet de conserver la volaille pendant 21 jours sans devoir la mettre au frigo.

” Il faut environ 15 minutes pour un chapon, un peu moins pour une poularde, confie Christophe Perraut, un énorme chapon entre les mains. Il faut d’abord plumer, couper les tendons des pattes et éviscérer la volaille. On enlève le fil intestinal mais on garde le coeur, les gésiers, le foie. Le roulage se fait en plusieurs fois pour éliminer l’air progressivement. Pour cela, on emballe la volaille dans une toile végétale, du lin en ce qui nous concerne. On coud la toile pour la resserrer de plus en plus. Ensuite, suivant une autre technique ancestrale, on masse la volaille pour bien répartir la graisse et faire pénétrer les saveurs. ”

A l’arrivée, le chapon (ou la poularde) prend une forme oblongue qui garantit sa conservation avec les ailes bien collées au coffre. Une espèce de ballon de rugby bien blanc qui plaît au jury des Glorieuses. Car ce concours de beauté ne juge que le contenant et pas le contenu et distribue un Grand Prix d’honneur par catégorie. Un tel lot primé peut être vendu dans les 500 euros… Là où Dimitri De Cuyper vend son chapon 24,10 euros le kilo ou sa poularde 21 euros.

Depuis quelques années, les organisateurs des Glorieuses se sont lancés dans des compétitions gustatives : la Crète d’Or à Bourg-en-Bresse pour les poulardes, le Bresse d’Or pour les poulets à Louhans, Le Chapon d’Or à Pont-de-Vaux et la Reine Noire à Montrevel-en-Bresse qui désigne la meilleure dinde de Bresse appelée aussi la Perle Noire (AOC en 1976). Dans les quatre cas, la volaille est rôtie de la même manière, sans la moindre épice. Seul le goût naturel du produit compte, mais aussi la texture, la tendreté, la jutosité et la finesse de la peau. Autant d’éléments à juger tant pour le muscle blanc que pour le muscle rouge (cuisse). Un exercice pas évident quand toutes les volailles sont frappées de la célèbre AOP.

Cette année à Louhans          La Ferme Le Devant, dirigée par Christophe Perraut  et propriété du Belge Dimitri De Cuyper, a reçu le Grand Prix d'Honneur pour ses poulardes.
Cette année à Louhans La Ferme Le Devant, dirigée par Christophe Perraut et propriété du Belge Dimitri De Cuyper, a reçu le Grand Prix d’Honneur pour ses poulardes.© PG

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