Mon médecin est une intelligence artificielle: voici 10 technologies qui vous soignent déjà

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Intelligence artificielle, diagnostic à distance, exosquelette, chatbot médical, impression d’organes en 3D… Les nouveaux outils du médecin ne sont pas sortis d’un film de science-fiction. Le radiothérapeute Philippe Coucke lève le voile sur ces technologies qui nous soignent déjà.

Le mouvement entamé vers une médecine robotisée et abreuvée par l’intelligence artificielle est inéluctable. C’est ce que démontre Philippe Coucke dans La médecine du futur, ces technologies qui nous sauvent déjà (paru aux éditions Mardaga). Dans son ouvrage, le chef du service de radiothérapie au CHU de Liège se livre à un véritable plaidoyer en faveur de ces avancées révolutionnaires. Trends-Tendances en a extrait 10 technologies qui bousculent le secteur des soins de santé.

Un chatbot pour orienter les patients

Un des premiers rôles du médecin est de pratiquer ce que l’on appelle l’anamnèse. Il s’agit d’une conversation avec le patient permettant de faire une première évaluation de son état de santé et du type d’examens ou de soins dont il pourrait avoir besoin. Dans un contexte de pénurie de médecins généralistes, le temps passé auprès de chaque patient devient de plus en plus précieux. ” L’anamnèse est un exercice qui, par essence, demande un certain temps. Par contre, les questions posées sont assez souvent les mêmes, ce qui permet d’automatiser le processus “, écrit Philippe Coucke dans son livre. Pour réduire la durée de l’anamnèse et permettre au médecin de consacrer plus de temps à d’autres actes, des systèmes de chatbots médicaux commencent à voir le jour. La start-up californienne Sensely a ainsi créé un assistant virtuel auquel le patient peut expliquer ses symptômes avant d’être redirigé vers un médecin. Une start-up danoise a de son côté créé Corti, une intelligence artificielle qui aide les services d’urgence à trier les appels en fonction de leur degré d’urgence réel.

Eko Core est un stéthoscope digital qui enregistre, stocke et analyse, via une application, les sons des poumons et du coeur lors de l'auscultation.
Eko Core est un stéthoscope digital qui enregistre, stocke et analyse, via une application, les sons des poumons et du coeur lors de l’auscultation.© PG

Un stéthoscope digital pour vous ausculter

Les stéthoscopes classiques, reliés aux oreilles des médecins, seront-ils bientôt en voie de disparition ? De nouveaux modèles apparaissent en tout cas sur le marché. C’est le cas d’Eko Core, un appareil développé par la société Eko, dans laquelle ont investi les cofondateurs de Shazam, la célèbre application de reconnaissance musicale. Eko Core est un stéthoscope digital qui enregistre, stocke et analyse, via une application, les sons des poumons et du coeur lors de l’auscultation. La promesse de ce type d’appareil est d’atteindre un degré de précision plus élevé que l’ouïe du médecin et une meilleure capacité de détection des maladies cardiaques ou respiratoires.

Un labo à domicile

Les laboratoires d’analyse courent-ils vers la faillite ? Selon Philippe Coucke, le mouvement est enclenché vers des prélèvements et des tests réalisés à domicile, via des dispositifs miniaturisés et très simples d’utilisation. ” Aucun domaine de la biologie clinique ne doit y échapper “, écrit Philippe Coucke. L’auteur cite l’exemple de la société Abbott, un géant du secteur pharma, qui commercialise le sytème i-Stat Alinity. Cet appareil portatif équipé d’un petit écran analyse une goutte de sang en quelques minutes. Il est actuellement utilisé dans le secteur hospitalier. D’autres entreprises développent des produits utilisables à domicile, comme My Lab Box (Etats-Unis), un kit de dépistage de certaines maladies sexuellement transmissibles.

Le patient connecté

Les objets connectés collectent des données de plus en plus nombreuses et précises sur notre corps et son ” activité “. Les bracelets connectés de type Fitbit comptent le nombre de pas que nous faisons sur une journée et mesurent notre rythme cardiaque. D’autres types de capteurs mesurent notre taux de glycémie, notre température ou encore notre exposition à des rayons UV. Analysées par un médecin, ces données peuvent aider à établir ou compléter un diagnostic. De nouvelles applications connectant patients et médecins permettent aujourd’hui de faciliter l’échange de ces données. C’est le cas de l’application belge Andaman7, utilisée au CHU Liège et désormais disponible dans 300 hôpitaux américains. ” Nous nous inscrivons dans la tendance d’une médecine qui se veut plus préventive “, explique Philippe Lemmens, COO d’Andaman7. S’il dispose, en temps réel, de certains paramètres de santé, le médecin peut détecter en amont d’éventuelles pathologies, et prescrire au patient des traitements préventifs.

Organovo Son imprimante 3D est capable de créer des os, des muscles, de la peau, des tissus intestinaux, etc.
Organovo Son imprimante 3D est capable de créer des os, des muscles, de la peau, des tissus intestinaux, etc.© PG

Mon radiologue est une IA

Le chef du service de radiothérapie du CHU Liège en connaît un rayon sur les avancées technologiques dans son secteur. Et il n’hésite pas à montrer que son travail et celui des radiologues est largement bousculé par l’arrivée de l’intelligence artificielle, dont les performances révolutionnent le domaine de l’imagerie médicale. Une IA développée par le Houston Methodist Research Center est ainsi capable de lire des mammographies avec un taux de fiabilité de 99 %. ” L’IA peut travailler de façon efficace et sans relâche 24 heures sur 24, pour un coût inférieur à celui des radiologues. Il n’y a pas pire compétiteur “, écrit Philippe Coucke.

Le diagnostic à distance

Le développement des applications et des plateformes numériques visant à connecter patients et personnel soignant laisse entrevoir la perspective d’une médecine à distance. Celle-ci se justifie particulièrement dans les zones qualifiées de ” déserts médicaux “, où les infrastructures de soins peuvent être très éloignées du domicile des patients. Dans un pays très dense comme la Belgique, cette problématique est moins aiguë que dans d’autres régions du monde. La télémédecine est néanmoins envisagée comme une solution complémentaire au parcours de soins hospitaliers. Les cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles préparent un basculement vers une nouvelle plateforme numérique unique, qualifiée de nouvelle ” colonne vertébrale de l’hôpital ” par le CEO Renaud Mazy. Cette plateforme aura le grand avantage de collecter de manière centralisée et structurée toutes les données relatives au parcours de soins des patients. Cela ouvre la porte à une gestion plus précise et plus efficace de l’hôpital, ainsi qu’à des développements en matière de médecine prédictive et d’établissement de diagnostics ou d’alertes médicales en fonction des données de santé collectées en temps réel. Cette plateforme servira également à connecter patients et médecins. ” C’est une vraie révolution, assure Renaud Mazy, CEO des cliniques Saint-Luc. Avec cette nouvelle interface, les patients interagiront plus facilement avec les médecins. C’est aussi une porte d’entrée potentielle vers les consultations à distance. Mais pour ce dernier développement, il faudra attendre que celles-ci soient reconnues par les autorités belges, ce qui n’est pas encore le cas. ”

Pilules connectées

” Les patients appliquent rarement les traitements tels que prescrits “, écrit Philippe Coucke dans son livre. Entre les patients qui ne commencent même pas leur traitement, ceux qui ne le terminent pas et ceux qui ne respectent pas le dosage et l’horaire de prise des médicaments, le ” taux d’adhésion ” au traitement prescrit n’atteindrait que 15 % à 25 % des patients, estime le radiothérapeute. C’est la raison pour laquelle se développent des solutions techniques visant à s’assurer que le patient suive bien le traitement médical recommandé. Philippe Coucke cite la pilule intelligente Proteus. Ce médicament connecté émet un signal dès qu’il parvient dans le système gastrique du patient.

L'Aura Power Suit, de la société suisse Superflex Ce squelette externe augmente les capacités physiques de celui qui l'endosse.
L’Aura Power Suit, de la société suisse Superflex Ce squelette externe augmente les capacités physiques de celui qui l’endosse.© belgaimage

Une articulation imprimée en 3D

” Aurons-nous la capacité d’imprimer des organes en 3D ? , s’interroge Philippe Coucke. Nous le faisons déjà de manière routinière pour certaines indications médicales comme les prothèses. ” La société Organovo est une des spécialistes en la matière. Son imprimante 3D est capable de créer des os, des muscles, de la peau, des tissus intestinaux… La Nasa elle-même s’intéresse à cette technologie, pour des interventions lors de missions dans l’espace. L’agence spatiale américaine vient d’envoyer, via un vol Space X, une ” unité de biofabrication 3D ” dans la station spatiale internationale.

Renforcer son corps avec un exosquelette

Ces ” squelettes externes ” ont été imaginés au départ pour des applications militaires. Ils augmentent les capacités physiques de ceux qui les endossent, notamment pour porter des charges très lourdes. Ces exosquelettes débarquent désormais dans le domaine civil. ” A partir de 50 ans, nous perdons entre 0,5 % et 1 % de notre masse musculaire par an”, souligne Philippe Coucke. Pour compenser, la société suisse Superflex a créé l’Aura Powered Suit. ” Le système ressemble un peu à l’assistance électrique de nos vélos, explique l’auteur. Chaque fois que le sujet fait un mouvement, le système assiste en augmentant la force exercée, par une force provenant des ‘muscles électriques’. ”

Augmenter les capacités de son cerveau

De très sérieux projets sont en cours visant à améliorer les capacités de notre cerveau. La société Neuralink, pilotée par Elon Musk (Space X, Tesla), vient de dévoiler son projet d’implant cérébral, qui devrait, dans un premier temps, pallier certaines déficiences résultant de maladies du cerveau ou de la moelle épinière. A plus long terme, l’objectif d’Elon Musk est de créer une espèce d'” humain augmenté “, doté de de nouvelles capacités technologiques (notamment une mémoire équivalente à celle d’un ordinateur puissant). Elon Musk craint le développement exponentiel de l’intelligence artificielle, qui risquerait de nous supplanter et contre laquelle l’humanité devrait songer à s’armer. Les premiers tests des systèmes Neuralink sur des êtres humains sont prévus pour l’année prochaine.

“La médecine prédictive sera plus efficace que la médecine curative”

“Certaines technologies vont nous rendre de véritables services.” Philippe Coucke© PG

TRENDS- TENDANCES. A l’avenir, les médecins poseront-ils encore des actes médicaux ?

PHILIPPE COUCKE. Le rôle du médecin est de poser un diagnostic et de faire un choix thérapeutique, sur la base d’un certain nombre de critères objectifs et subjectifs. Le nombre de critères utilisés est limité parce que nos capacités cognitives sont limitées. Le médecin va être de plus en plus inondé de données médicales, ce qui rendra son travail plus difficile. Il aura donc besoin d’une aide et celle-ci est offerte par l’intelligence artificielle. Le métier de médecin sera chamboulé par l’avènement de la technologie. Tout ce qui est technologique pourra être automatisé.

Le métier de radiothérapeute, que vous exercez, est-il en train de changer ?

Les radiologues, tout comme les radiothérapeutes ( les spécialistes du traitement des cancers par radiothérapie, Ndlr), doivent réfléchir profondément à l’essence même de leur métier. L’intelligence artificielle a fait des avancées énormes dans la lecture automatique de l’image. Les actes techniques ne représentent plus la majeure partie de mon activité. Mon rôle est d’expliquer aux gens pourquoi une radiothérapie leur sera bénéfique, comment se passera leur trajet de soins, comment ils seront accompagnés durant cette période difficile. Nous avons longtemps été taxés d’ingénieurs de la médecine, mais notre spécialité est en fait éminemment humaine. Les patients ont besoin de cette empathie que nous apportons.

L’enseignement de la médecine correspond-il à cette nouvelle réalité ?

Nous formons des futurs professionnels à des métiers qui vont peut-être disparaître ou à des métiers qui n’existent pas encore. Ce n’est pas propre à la médecine. Mais cela illustre le grand décalage temporel entre l’enseignement et les métiers du futur, qui n’est pas un futur lointain.

Etes-vous un techno- optimiste ?

Oui. J’ose espérer que nous pourrons récolter les bénéfices de ces nouvelles technologies, tout en évitant les dérives. On en est aux balbutiements de l’intelligence artificielle. Mais tout va très vite : beaucoup de tâches simples ou complexes seront bientôt réalisées par l’IA. Deepmind, la filiale de Google spécialisée dans l’intelligence artificielle, est déjà capable de détecter des maladies dans des analyses de fond d’oeil de manière plus efficace qu’un spécialiste humain.

L’intelligence artificielle pourrait- elle être responsable d’erreurs médicales ?

Potentiellement oui. Et on en a déjà une petite idée. Dermexpert est un système censé reconnaître un naevus ( grain de beauté, Ndlr) malin d’un naevus bénin. L’intelligence artificielle utilisée par Dermexpert fonctionnait très bien sur les personnes à la peau blanche, mais beaucoup moins bien sur les personnes à la peau noire. Le problème était que les bases de données introduites dans le logiciel ne contenaient pas suffisamment de personnes d’origine africaine. Le risque d’avoir une IA utilisant des données biaisées est réel. A partir de là, il y a danger.

Faut-il réguler, encadrer les algorithmes médicaux ?

Je comprends la peur des gens par rapport à la mise à disposition de grandes banques de données médicales. Mais je remarque aussi que cette peur varie en fonction de la culture de chaque pays. Dans les pays scandinaves, les gens sont largement d’accord que leurs données puissent être utilisées, parce qu’ils ont confiance dans leurs gouvernements. C’est moins le cas dans les pays latins. Mais cela peut changer. Je fais appel au concept de la ” philanthropie des données “. Les citoyens devraient pouvoir accepter de céder leurs données pour des raisons sociétales, pour permettre au système de soins de faire un virage complet vers une médecine préventive et prédictive.

Demain, nous pourrons donc prédire les maladies dont nous souffrirons ?

Oui, ça commence. Nous disposons déjà aujourd’hui d’informations provenant du décodage du génome, du microbiome intestinal, de l’imagerie médicale, etc. On peut détecter les premiers signes d’une maladie d’Alzheimer cinq ans avant son diagnostic ! Dès lors que l’on peut déterminer longtemps à l’avance qu’un patient va développer un certain type de maladie, on peut faire en sorte d’atténuer en grande partie l’arrivée de cette maladie, voire de l’empêcher en changeant son mode de vie. Je suis persuadé que la médecine prédictive et préventive a un potentiel énorme. Elle sera beaucoup plus efficace que la médecine curative actuelle.

Vous critiquez aussi ce que vous appelez l’hospitalo- centrisme.

Aujourd’hui, tout est axé sur l’hôpital. Dès que quelque chose dérape, le patient se retrouve à l’hôpital. Beaucoup de patients chroniques sont hospitalisés et il ne reste plus de place en hôpital. Il vaudrait mieux maintenir ces patients chroniques à domicile, pour autant qu’on puisse suivre un certain nombre de leurs paramètres à distance.

C’est là que l’on voit se développer la télémédecine. Est-ce déjà au point ?

Oui, et c’est même déjà remboursé dans certains pays, comme en France. En Belgique, ce n’est pas encore le cas. Pourtant, pour les personnes âgées, beaucoup d’actes peuvent être réalisés par du personnel soignant qui n’est pas forcément médecin, avec une surveillance à distance. Cela pourrait simplifier l’écosystème de soins et éviter de placer des gens dans des structures hospitalières où le coût journalier de prise en charge est extrêmement élevé.

Peut-on admettre que des sociétés technologiques prennent une place importante dans l’univers des soins ?

Elles seront amenées à le faire pour deux raisons : tout d’abord pour leur expertise, qui est celle du big data, des bases de données, et ensuite parce qu’elles disposent des ressources financières et humaines nécessaires. Les Gafa ( Google, Amazon, Facebook, Apple, Ndlr) et les BATX ( leurs équivalents chinois, Ndlr) payent mieux les chercheurs que les hôpitaux. Aujourd’hui, les grands développements en matière de médecine sont financés par les Gafa. Ceux qui ont une idée originale n’ont qu’une perspective : se faire racheter par une grande entreprise technologique.

Verra-t-on apparaître des hôpitaux Google dans quelques années ?

C’est déjà un peu le cas. Sous forme de boutade, on peut dire que le diagnostic sera posé par Google, que le médicament sera produit et livré par Amazon et que l’hôpital sera géré par Apple. Il y a danger, parce qu’ils ont une puissance et une force de frappe inouïes, qui dépassent largement ce que nous pouvons financer dans le monde hospitalier.

Beaucoup de dirigeants de la Silicon Valley appartiennent au mouvement transhumaniste. Comment vous positionnez-vous par rapport à ce mouvement, qui plaide pour le développement de l'” homme augmenté ” par la technologie ?

Le transhumanisme comporte certains dangers, mais aussi certains aspects positifs. J’ai eu l’occasion de faire une conférence TedX sur le sujet, dont le titre était ” Darwin est mort deux fois “. J’y expliquais que Darwin était non seulement mort physiquement, mais que sa théorie était morte aussi. A partir du moment où vous pouvez modifier un code génétique, vous pouvez faire évoluer la race humaine de manière totalement indépendante d’une sélection naturelle. Or, cette modification du code génétique a été faite récemment sur des bébés par des chercheurs chinois. Le transhumanisme est dangereux s’il plaide pour la création et la sélection d’un surhomme. Mais d’un autre côté, certaines technologies vont pouvoir nous rendre de véritables services. La rétinite pigmentaire est une maladie qui peut provoquer une cécité et qui est génétiquement déterminée. En tant que patient, je serais très heureux d’apprendre qu’une technique génétique pourrait me permettre de ne pas devenir aveugle. Il y a des avantages et des dérives potentielles.

Faut-il réglementer, encadrer les développements technologiques dans le domaine de la médecine ?

On peut essayer de réglementer. Mais il y aura toujours un chercheur dans son laboratoire qui outrepassera les règles et qui appliquera une technique considérée comme non éthique et immorale. C’est le propre de l’homme.

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