Mangot toujours plus haut

Yann et Karl Todeschini "L'idée maîtresse est de créer des vins identitaires et représentatifs de notre terroir." © PHOTOS PG

Même si la révolution verte est lentement mais sûrement en marche dans le vignoble bordelais, la biodynamie y demeure une exception. A Saint-Emilion, les frères Todeschini prouvent qu’il est possible de s’y convertir et de produire un grand cru très qualitatif et représentatif de son terroir.

En ce samedi du mois de juillet, Karl Todeschini est remonté comme un coucou. Alors que Wout Van Aert s’apprête à remporter, à la surprise générale, l’avant-dernière étape du Tour de France qui se termine en plein centre de Saint-Emilion, il est difficile de contenir la passion qui émane de ce vigneron bordelais. Avec son frère Yann, Karl Todeschini a repris en 2008 les vignes familiales dont le Château Mangot, un saint-émilion grand cru sis à Saint-Etienne-de-Lisse à un jet de cep de Fleur Cardinale et de Faugères et quasi à la limite de l’appellation Castillon Côtes de Bordeaux. Les deux frères représentent la troisième génération aux commandes d’un domaine acheté dans les années 1950 par leur grand-père maternel Jean Petit et développé par leurs parents Anne-Marie et Jean-Guy Todeschini. Ces deux dernières années, ils ont été récompensés coup sur coup pour l’énorme travail cultural et de vinification abattu pendant une décennie. En 2020, le Château Mangot était certifié bio. Fin de l’année dernière et au premier essai, il a été accepté par Biodyvin, le syndicat international des vignerons en biodynamie. Contrairement à Demeter, ce label, dirigé par le Master of Wine et vigneron alsacien Olivier Humbrecht, intègre une dimension dégustation à côté d’exigences culturales et de vinification drastiques.

Haies, fruitiers et chênes verts

Le domaine du Château Mangot est magnifique: 37 hectares d’un seul tenant dont 34 de vignes. “Avoir un seul bloc permet d’avoir les mains libres pour faire les choses comme nous l’entendons, confie Karl Todeschini. Le domaine, comme vous l’avez vu, est un kaléidoscope de terroirs différents sur lesquels sont plantés des merlots et des cabernets sauvignons mais aussi une belle proportion de cabernets francs que j’adore et que je souhaite mettre en avant. De vieilles vignes datant de 1949 mais aussi des plus jeunes sur un terroir argilo-calcaire de folie! Mais évidemment, Mangot ce n’est pas que de la vigne. Le domaine présente des haies et un hectare de bois en plein coeur des vignes. Nous avons planté des fruitiers: cerisiers, pommiers et pêchers et nous en planterons encore 150 en 2022. J’ai aussi créé des truffières en plantant de jeunes chênes verts à haute densité.”

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A Mangot, tout se fait à la main et par le personnel engagé par la famille qui le forme et l’éduque aux choix culturaux posés. Un travail au quotidien sans cesse remis en question. “Je ne détiens pas la science infuse, poursuit Karl Todeschini, et j’ai encore beaucoup de choses à apprendre. La biodynamie, cela se vit au jour le jour au milieu des vignes. Il faut comprendre pourquoi telle ou telle préparation agit de telle ou telle manière sur le sol et la vigne, la fortifie et lui permet de se protéger des agressions. Et il n’y a pas une méthode miracle. Il faut comprendre son terroir, ses différences et personnaliser en fonction. Notamment en ce qui concerne la taille d’hiver. De même, ici à Mangot, à l’expérience, nous avons décidé de planter des légumineuses, des céréales et des crucifères entre les vignes, un rang sur deux. Six ou sept espèces se relaient. On passe la herse un rang sur deux et nous ne tondons qu’une fois par an. L’idée, dans tout ce que nous faisons dans le domaine, est de rendre les sols plus vivants et d’obtenir un équilibre naturel en matière de biodiversité. J’ajouterais encore que nous menons aussi une réflexion très poussée sur les déchets que le domaine génère. Il faut les limiter au maximum.”

En tout cas, les frères Todeschini démontrent qu’il est possible de conduire un vignoble en biodynamie à Bordeaux et d’obtenir de magnifiques cuvées en limitant le plus possible les intrants à la vinification. C’est d’ailleurs l’un des objectifs du label Biodyvin: pas d’ajout, pas de retrait, pas de modification. Le travail est d’autant plus remarquable que la biodynamie reste encore une exception dans le Bordelais. Elle ne représente que 900 hectares sur un vignoble de plus de 110.000 hectares. Quant au bio, il approche les 20.000 ha. Si les labellisations de Château Mangot sont récentes, l’approche bio et biodynamique est en route depuis des années. Avec, entre autres, très peu d’épandage de cuivre et le choix de l’écorce de chêne, du pissenlit, de l’osier et de l’ortie dans les tisanes biodynamiques pulvérisées sur les vignes. En 10 ans, la progression des vins rouges est remarquable ( lire l’encadré).

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© PHOTOS PG

Le meilleur raisin possible

“Notre ambition est de produire les meilleurs raisins possibles à la vigne, conclut Karl Todeschini, et de monter en précision dans les élevages et les vinifications en fonction de notre expérience et des essais que nous avons conduits avec les amphores et les jarres, par exemple. L’idée maîtresse est de créer des vins identitaires et représentatifs de notre magnifique terroir.”

L’identité de Mangot a aussi été revue avec une communication moderne et des étiquettes épurées et en phase avec le lieu. Comme celle du Château qui reprend une gravure des lieux datant de 1897. Enfin, les frères Todeschini ont également remis l’an dernier un dossier pour que Mangot devienne un grand cru classé lors du classement 2022 des vins de Saint-Emilion. Un classement qui suscite déjà des remous avec les défections des stars comme Cheval Blanc, Ausone et Angélus. Ils l’avouent eux-mêmes, ce classement n’est pas une fin en soi mais une demande de leurs clients pour disposer d’une force commerciale supplémentaire. Ce qui est certain, c’est que l’éventuel classement ne fera pas dévier les Todeschini de leur remarquable démarche.

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Une gamme étonnante

Si les Vintrépides à Liège (www.lesvintreprides.com – 0474 18 53 65) disposent de quelques références, c’est chez Olivier Castermant à Mons (www.quaidesvignerons.be – 065 84 15 30) qu’on peut se procurer l’ensemble des cuvées des frères Todeschini. Actuellement:

M de Mangot rosé. Olivier Castermant dispose encore de quelques bouteilles du millésime 2020. Cette petite merveille destinée à la table est quasiment un blanc de noir, soit un 100% merlot vinifié et élevé comme un grand vin blanc. 13,88 euros.

L’Autre Mangot 19. Attention, ovni bordelais! Voilà un 100% cabernet franc élevé uniquement en jarres et amphores sans soufre ajouté. Le parangon de ce que devrait être un vin nature. 24,88 euros.

Château Mangot St-Emilion Grand Cru. Il reste quelques bouteilles du millésime 2016 et le 2017 arrive sous peu. Ce sont de grands bordeaux ciselés, soyeux et puissants à la fois. Nous avons déjà goûté les millésimes suivants et la progression dans la précision et la justesse est impressionnante. 24,33 euros!

Distique. Un distique est une forme poétique qui associe deux vers différents dont l’ensemble fait un énoncé complet. C’est une allégorie pour noter l’influence différente de chacun des frères dans l’élaboration de cette cuvée haut de gamme. Distique évolue au cours du temps dans son encépagement et dans la part respective des amphores, foudres, barriques neuves et usées dans l’élevage. Du grand art. Le Distique 8 (millésime 2015) est disponible au prix de 44,40 euros.

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