Lisette Lombé, poétesse de l’érotisme

Il est très frappant de découvrir le roman de Lisette Lombé en cette période où le mouvement Black Lives Matter remplit les rues du monde entier de colère et de désir de justice. Le texte commence sur l’histoire d’une petite fille dont les garçons se moquent dans la cour de l’école : ” Ils crient. Ils crient que le garçon blond a dit qu’il n’aime pas les filles noires. Ils crient fort. Tu penses à ton chat qui est noir et tu n’as pas l’impression de ressembler à ton chat. (…) Tu sens, tu sais, c’est étrange, ça saigne, ça saigne, ça saigne à l’intérieur, tu sens, tu sais que tu ne pourras rien, rien, rien changer à l’histoire. ” Plus loin, un des fragments du texte décrit cette enfant devenue adulte qui ” dénote ” au buffet de l’hôtel ostendais où elle débarque seule : ” Ils te disent tous ces petits shérifs, ils te disent sans te dire, que les corps blancs et les corps noirs ne devraient pas se mélanger, que les corps riches et les corps pauvres ne devraient pas se mélanger. ”

Tu es transgression, redistribution des cartes.

Un aller-retour entre individu et société

” Quand j’étais dans le processus d’écriture, je ne réfléchissais pas à la portée politique du texte. A un moment, j’ai même pensé gommer le métissage du personnage, nous explique l’écrivaine. Mais il y a quand même des choses particulières à dire si le personnage est racisé. Le texte finalement parle d’ exotisation des corps noirs, de précarité, dans un aller- retour entre corps individuel et corps social. ”

Mais il ne faudrait pas limiter Venus Poetica à une dénonciation du racisme ordinaire. Car c’est davantage encore d’érotisme, de plaisir, de sexe, de maternité dont il est question. ” Il y a un fil dans le livre qui interroge ce qui fait norme : l’hétérosexualité, le rapport au corps, le mariage, le fait d’avoir des enfants “, décrypte pour nous Lisette Lombé. Tout cela emmené à travers une écriture rythmée par une pulsion de vie, un désir de jouissance qui bat la mesure à chaque page, à chaque ligne, et impose une voix nette et précise, sensible et forte. Des histoires parfois crues, des zones grises explorées : jamais la plume de Lisette Lombé ne tombe dans la facilité.

Du slam au roman

” Je me suis mise à ma table, j’étais dans une énergie d’écriture quasi automatique. Je n’ai plus rien retouché ensuite. C’est comme un jaillissement et c’est comme ça que ça doit rester “, ajoute-t-elle. Cette artiste originaire de Liège a fait ses premières armes littéraires dans le slam : ” Pour les puristes, le slam, ce n’est que l’oral. Je vois plutôt cela comme un dispositif où l’on peut jouer entre l’écriture et l’oralité. Les scènes slam sont des lieux pour frotter la poésie et voir si elle résiste à l’oralité. Mais le mouvement inverse m’intéresse beaucoup aussi. J’aime les passages, les métamorphoses des mots. ”

Cette manière d’écrire a commencé à s’imposer dans Tenir, son livre précédent publié fin 2019 dans la collection Bookleg de Maelström : ” Au départ, j’avais une métrique plus proche du poème, et les textes ont commencé à s’allonger. Je me suis autorisée à dépasser le format du slam pour entrer dans quelque chose de plus littéraire “. Il fallait que Lisette Lombé s’autorise le roman : ” J’ai changé de carrière à la faveur, si l’on peut dire, d’un burn-out ( sur lequel elle a écrit, en 2014, “La magie du burn-out”, Ndlr). Donc, la question de la légitimité est toujours là, quelque part entre les lignes. ” C’est aussi cette tension entre poésie érotique et roman qui fait la beauté du texte : ” C’est un Olni, un objet littéraire non identifié ! “, conclut l’écrivaine.

Lisette Lombé, ” Venus Poetica “, L’Arbre à paroles, 70 pages, 12 euros.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content