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L’école et les nouveaux autodafés

Lire la chronique de Thierry Afschrift Professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles.

Comment peut-on défendre l’idée que des enseignants, chargés de communiquer un savoir, montrent à des jeunes que le savoir doit être détruit lorsqu’il ne correspond pas à leurs opinions.

Chacun sait que les “auto de fe” étaient, à l’origine, de prétendus actes de foi, comme les mots l’indiquent en portugais, lors desquels la “Sainte” Inquisition rendait ses jugements. Ceux-ci consistaient hélas! souvent à faire périr par le feu les malheureux condamnés, ou “seulement” des livres ne répondant pas aux exigences de l’Eglise. Ces rites barbares ont été repris par les pires régimes ou autres groupes que l’Histoire ait connus.

Plus récemment, dans un pays aussi paisible que le Canada, un conseil scolaire regroupant une trentaine d’écoles catholiques de l’Ontario a décidé de brûler 5.000 livres jugés offensants pour les autochtones. Peut-être l’Eglise catholique, accusée de crimes abominables au 19e siècle et au début du 20e siècle envers des enfants autochtones, a-t-elle fait un peu de zèle, brûlant par exemple des oeuvres comme Tintin, Lucky Luke ou Astérix au motif que celles-ci présentaient les peuples indiens d’Amérique du Nord d’une manière parfois péjorative. Il n’empêche que les précédents cités jettent l’opprobre sur une pratique consistant à détruire le livre, symbole du savoir et de la création – même s’il en est de meilleurs, de moins bons et d’exécrables, ce que chacun doit pouvoir apprécier en conscience.

Comment peut-on défendre l’idée que des enseignants, chargés de communiquer un savoir, montrent à des jeunes que le savoir doit être détruit lorsqu’il ne correspond pas à leurs opinions.

Il s’agit d’une atteinte grave à la liberté d’expression qui, malheureusement, a tendance à se répéter. On pourra certes dire qu’un groupement qui vend des livres lui appartenant et qui les fait brûler pour soutenir une thèse politique ne fait, lui aussi, qu’exprimer une opinion et devrait pouvoir bénéficier de la liberté de le faire de cette manière. Encore faut-il se rendre compte qu’il s’agit d’une manière particulièrement primitive d’exprimer un point de vue alors que, certainement, les peuples que l’on veut en l’occurrence défendre ont de bien meilleurs arguments à faire valoir.

Enfin, il est purement et simplement incompréhensible qu’une telle initiative émane d’écoles et puisse être présentée comme un exemple à l’égard de jeunes élèves. Comment peut-on défendre l’idée que des enseignants, chargés de communiquer un savoir, montrent à des jeunes que le savoir doit être détruit lorsqu’il ne correspond pas à leurs opinions?

Un tel acte ne peut être que celui de fanatiques. Nous voyons aujourd’hui qu’il y a des fanatiques non seulement parmi les religieux ou des extrémistes défendant une idéologie obscurantiste, mais aussi parmi les nouveaux défenseurs de cette cancel culture. Celle-ci fait hélas! des ravages en Amérique du Nord, tant dans le chef d’une minorité du parti démocrate américain que pour certains partisans du “parti libéral” de Justin Trudeau. On doit quand même à la vérité de préciser que le Premier ministre canadien lui-même a pris ses distances, à très juste titre, avec ces quelques partisans égarés.

Les seuls termes de “cancel culture” sont d’ailleurs, à eux seuls, un signe de fanatisme. Une culture, la sienne ou celle d’autrui, ne s’annule pas ; on la critique ou on l’améliore, on y oppose une autre mais on n’a pas à la détruire.

Il n’empêche que cet exemple, qui nous vient de pays qui sont sans doute des modèles d’Etat de droit démocratiques, a de quoi inquiéter. Il en est d’autant plus ainsi que la liberté d’expression est attaquée de toutes parts et partout, à gauche comme à droite, et que de plus en plus de prétextes sont invoqués pour restreindre la liberté d’opinion, que ce soit par le vote de lois sanctionnant certaines expressions, ou par la censure, désormais omniprésente sur nombre de réseaux sociaux.

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