Les biotechs wallonnes affichent de plus en plus de couleurs internationales

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Les entreprises pharmaceutiques les plus prometteuses ouvrent très tôt leur management à des experts venus des Etats-Unis, du Royaume-Uni ou d’ailleurs.

Un CEO américain chez Celyad Oncology, un Portugais chez Bone Therapeutics, une Américaine chez Cefaly, etc. A mesure que les biotechs wallonnes grandissent, leur management s’internationalise. “C’est un signe de maturité de l’écosystème, rassure Philippe Degive, invest manager ‘Sciences du vivant’ à la Société régionale d’investissement de Wallonie (SRIW). On sent le professionnalisme, la maîtrise des compétences.”

Cette évolution est inéluctable dans les entreprises du secteur de la santé. Pour une triple raison. D’abord une réalité sectorielle : une innovation médicale ne restera jamais locale. “Une maladie n’a pas de nationalité. Notre projet, c’est de soulager les patients où qu’ils se trouvent”, insiste Olivier Taelman, CEO de Nyxoah, qui vient de réussir une fracassante IPO avec… 40% des souscripteurs américains. “Par définition, une biotech belge est une société globale dès le premier jour, ajoute Michel Lussier, serial investisseur canadien qui préside les conseils de Celyad et Istar medical. Son marché est mondial.”

Ensuite, dans ce secteur, les besoins de financement sont tels, à la fois dans les montants et dans la durée, qu’il faut très tôt regarder en dehors des frontières nationales pour gonfler la trésorerie. Quand les fonds internationaux arrivent, ils amènent avec eux leurs administrateurs et, de fil en aiguille, leurs managers. “Ce n’est pas comme si on gérait 50 IPO ou 50 deals conséquents par an en Wallonie, résume Marc Foidart, COO de Noshaq. Les fonds internationaux préparent leur exit plusieurs années à l’avance et ils préfèrent effectivement voir à la manoeuvre des personnes qui ont déjà géré des IPO ou des très gros deals.”

90% des investissements de Celyad Oncology se font en Belgique, même si près de la moitié du management de la société est désormais américaine.

“Pour négocier avec des fonds qui gèrent des dizaines de milliards, il faut disposer des bons carnets d’adresses, explique Philippe Durieux, CEO de la Sopartec, le fonds dédicacé aux spin-off de l’UCLouvain. Dès le départ, nous avions accueilli des administrateurs étrangers dans des sociétés comme Novadip, Akkermansia ou iTeos. Cela apporte une palette d’expertises et aide à trouver les champions qui vont rassurer les investisseurs.” Dans un premier temps, les CA se sont ouverts et ces dernières années, c’est le tour des comités de direction. “Les investisseurs internationaux veulent connaître la société de l’intérieur et discuter avec le management, explique Philippe Rigaux, qui a travaillé dans des medtechs aux Etats-Unis avant de fonder, puis de revendre, Cefaly. C’est le management qui doit convaincre de la qualité d’un projet. S’il connait les codes des fonds internationaux ou du Nasdaq, c’est clairement un plus pour la société.”

Quand les fonds internationaux arrivent, ils amènent avec eux leurs administrateurs et, de fil en aiguille, leurs managers.

Quitter Boston pour… Gosselies !

Enfin, la gestion de ces entreprises très particulières exige une expertise scientifique et une solide résistance au risque. On ne trouve tout simplement pas (encore ?) en Belgique, et a fortiori en Wallonie, suffisamment d’hommes et de femmes aptes à les diriger au-delà d’un certain stade. “Nous ne recrutons pas des nationalités mais des profils, assure François Fornieri, CEO et cofondateur de Mithra. S’il faut aller à l’international pour trouver ces profils – et c’est malheureusement souvent le cas en Wallonie – nous y allons.”

Rançon de la gloire : plus les biotechs émergent, plus il faut des talents pour les développer. “C’est presque statistique, pointe Hugues Bultot, CEO d’Univercells. Le tissu de biotechs est surdimensionné par rapport à la population wallonne ou belge. Sans ouverture vers l’étranger, on ne trouverait pas les talents nécessaires, il y aurait un nivellement vers le bas.”

Ces talents, cela reste cependant un peu compliqué de les convaincre de quitter Boston ou San Francisco pour s’installer à Gosselies ou Alleur. “La personne qui dit que c’est facile d’attirer un talent international à Gosselies, c’est un menteur. Gosselies, ce n’est quand même pas la Silicon Valley, lâche Jean Combalbert, l’un des premiers patrons français arrivés dans l’écosystème wallon (à la tête d’Euroscreen/Ogeda en 2006) et désormais CEO d’Epics Therapeutics. Par contre, si vous avez un projet ambitieux, de plus en plus de talents sont prêts à faire l’impasse sur la localisation. C’est ce genre de profils que je recherche, des gens avec la niaque, avec l’envie, pour lesquels le projet prime sur l’endroit.”

Michel Lussier, président de Celyad Oncology, aux côtés de Filippo Petti, le CEO américain.
Michel Lussier, président de Celyad Oncology, aux côtés de Filippo Petti, le CEO américain. “Venir occuper un poste dans une biotech wallonne ou bruxelloise, ce n’est plus aller au bout du monde.”© PG

Sans être devenue la Silicon Valley, la Wallonie a toutefois gagné en réputation, et donc en attractivité, dans le monde des biotechnologies. ” Les premières années de Cardio 3 (devenu depuis Celyad Oncology), c’était difficile de trouver un management de calibre international, se souvient Michel Lussier. Mais aujourd’hui, la Belgique est devenue un hub important dans les sciences du vivant. Le succès appelle le succès. Venir occuper un poste dans une biotech wallonne ou bruxelloise, ce n’est plus aller au bout du monde. ” Pour saisir les opportunités, Hugues Bultot invite les pouvoirs publics à réfléchir en amont à l’accueil de ces cadres internationaux et de leurs familles, qui ont notamment besoin d’écoles internationales.

Internationaliser pour mieux délocaliser ?

L’internationalisation des entreprises est donc en soi un signe de leur bonne santé. Revers de la médaille : elle risque a priori de faciliter les délocalisations. A priori seulement, selon nos interlocuteurs, unanimes pour relativiser ce risque. Pour François Fornieri, ce serait même presque l’inverse. “Je préfère voir des entreprises se battre pour attirer des dirigeants ici que quitter le pays pour trouver des compétences ailleurs”, dit-il. “On ne déménage pas facilement une unité de production pharmaceutique, rappelle Marc Foidart. Les autorisations sont liées à un produit et à un site de production. Délocaliser implique alors de recommencer une partie des essais.”

Encore faut-il atteindre ce stade. Dans le médicament, l’entreprise agit souvent via des accords de licence géographique. Ceux-ci amènent le cash qui permet de développer d’autres recherches, d’investir dans la R&D, etc. “L’important pour l’économie européenne, c’est de maintenir les premières phases ici, estime Michel Lussier. Près de la moitié du top management de Celyad est américaine mais plus de 90% de nos investissements se font encore en Belgique, où nous avons notre siège et nos équipes de recherche.” Il est encore plus optimiste en ce qui concerne les medtechs grâce à la robotisation qui “réduit le poids de la main-d’oeuvre dans le prix final”. Il y a alors moins de raisons d’aller produire ailleurs, loin des centres de recherche. “Globalement, je suis convaincu que les industries de production vont se réinstaller en Europe”, ajoute le président de Celyad Oncology.

Je ne crois pas à la monoculture. Un management qui rencontre le succès est souvent un management international et mixte.

Jean Combalbert (Epics Therapeutics)

Parfois, la géographie du marché poussera à se développer à un endroit plutôt qu’à un autre. C’est le cas pour Cefaly, qui devrait surtout se développer aux Etats-Unis où se trouvent les deux tiers du marché mondial pour son dispositif de lutte contre les migraines par neurostimulation crânienne. “Même s’il est plus petit, le marché européen existe aussi, précise Philippe Rigaux, fondateur de la société qu’il a revendue l’an dernier à un fonds canadien. L’unité de production belge fonctionne bien, il n’y a aucune raison de ne pas la maintenir.”

Arrimer l’écosystème

Il arrive aussi que le business model consiste à développer une molécule pour la revendre, à l’image d’Ogeda, rachetée en 2017 par le japonais Astellas pour 800 millions d’euros. L’activité a été délocalisée mais la plus-value a permis de financer d’autres boîtes et, au passage, elle a renforcé la visibilité de l’écosystème wallon.

C’est là que se trouve l’enjeu : entretenir cet écosystème, en utilisant judicieusement les retombées des plus gros deals. “N’oublions jamais de regarder en amont, dans les universités, insiste Philippe Durieux (Sopartec). Pour avoir des résultats dans la pharma, il faut d’abord avoir des scientifiques de haut niveau et des investissements dans la recherche. Sans l’aide des pouvoirs publics, nous n’y arriverions pas.”

Les pouvoirs publics sont aussi présents aux stades suivants, en participant aux différents tours de table des jeunes entreprises pharmaceutiques, et contribuent ainsi à leur ancrage belge ou régional. “L’ancrage d’une société n’est pas lié aux capitaux mais à la qualité du CEO, poursuit Philippe Durieux. S’il sait anticiper les virages et faire grandir l’entreprise, il n’y aura pas de raison de délocaliser.” “C’était l’une des forces de Jean Stéphenne chez GSK, renchérit Hugues Bultot. Il n’avait pas son pareil pour négocier les décisions d’investissement avec le siège central de son groupe.”

Les biotechs wallonnes affichent de plus en plus de couleurs internationales

Tirer vers le haut

Le patron d’Univercells salue la vision de Jean Stéphenne qui fut l’un des premiers à internationaliser ses équipes. “Avoir une approche diversifiée, c’est indispensable pour diriger une entreprise dans un monde globalisé, dit-il. C’est pourquoi je défends une politique d’immigration positive.” “C’est une nécessité pour innover, abonde Jean Combalbert (Epics Therapeutics). Je ne crois pas à la monoculture. Un management qui rencontre le succès est souvent un management international et mixte.” Même son de cloche chez Olivier Taelman (Nyxoah), très heureux d’avoir à ses côtés des personnes de plusieurs nationalités. “Cela nous aide à analyser une question sous différents aspects, dit-il. Certaines cultures vont conduire à une approche plus macro et d’autres sont plus dans les détails. L’intégration des différentes nationalités crée une dynamique vraiment très précieuse pour l’entreprise.”

Cette dynamique peut se prolonger dans le temps car, d’une part, la présence de ces dirigeants de calibre mondial “tire toutes les équipes vers le haut”, constate Michel Lussier, et en amènera quelques-uns à jouer dans la catégorie supérieure quelques années plus tard. “C’est très bien d’avoir des gens qui ont grandi chez Mithra, ajoute François Fornieri. Mais installer à leurs côtés des personnes avec des visions et des expériences différentes, cela enrichit une équipe de management, cela lui donner une vraie plus- value.” D’autre part, ces dirigeants internationaux permettent à l’écosystème belge de développer de nombreuses connexions à travers le monde. “Vous avez aujourd’hui en Australie, en Afrique du Sud, aux Etats-Unis pas mal de personnes importantes dans le monde des biotechs et qui ont gardé une petite fibre belge, conclut Hugues Bultot. Cela ouvre l’accès à un réseau international. “

Avec David Jourdan.

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