Le secret des campagnes

Luc Dupont, " Anna, ici et là ", éditions Onlit, 176 pages, 17,90 euros.

A la campagne, soit le citadin est émerveillé par les paysages qu’il aime conquérir au prix de longues heures de marche, soit il s’ennuie ferme loin des commodités de la ville. Il ne se doute pas toujours que la vie se joue aussi ici, selon un autre rythme. C’est ce que va découvrir Anna, officière de police en formation, qui débarque dans un coin de ruralité où le calme naît, on ne sait trop, d’une certaine langueur de vivre, ou d’une désertification démographique. Pour son premier roman publié, Anna, ici et là, Luc Dupont avait en tête ce coin de vacances toscan qu’il a fréquenté en famille. ” La maison d’Enzo ( l’un des personnages du livre, Ndlr), nous y avons logé “, nous confie-t-il. Pourtant, il ne donne aucune indication géographique dans son livre, sinon la douceur des collines, comme s’il voulait tenir secret – ” intemporel “, corrige-t-il – l’écrin de son intrigue.

On parle d’une époque où chaque famille avait sa colline, et où les autres n’appartenaient à personne.

Peut-être veut-il aussi préserver ce paradis des menaces qu’il évoque dans son livre ? ” ‘Ici et là’ dans le titre renvoie à cette rencontre entre le monde rural et le monde moderne et permet de conférer à l’enquête deux tempos “, nous explique l’auteur liégeois qui se définit comme ” un vrai citadin “. Cette modernité est celle d’une certaine violence, ” d’une rapidité et d’une cupidité qui s’installent dans un monde qui ne les connaissait pas “. Les vignes des collines vont être entachées du sang de morts suspectes. Mais elles sont loin de constituer l’essence de ce roman. Si enquête il y a, le fil rouge se voit dépassé par une atmosphère de fausse tranquillité. Les meurtres dissimulent des projets fonciers qui tournent mal et sont les symptômes d’une société qui n’autorise plus une vie au fil des saisons telle qu’elle se conçoit encore dans de rares recoins du monde occidental.

Constamment dans les yeux d’Anna, le lecteur devient l’observateur d’une machination souterraine et découvre avec l’apprentie enquêtrice les relations nouées entre les habitants du patelin. ” Anna vient de l’extérieur, elle a ce regard objectif “, explique-t-il. ” Gentille, mais pas trop “, cette femme est à l’opposé du policier aux gros bras. En empathie avec certaines de ses rencontres, elle trouvera en Matilda, une propriétaire terrienne mystérieuse, une amie et ” le symbole de la rencontre brutale entre modernité et tradition “. Mais c’est en prenant du recul, lors de ses futures affectations – encore une fois ” ici et là ” – que l’affaire s’éclaircit. Car ” six mois ne suffisent pas pour pénétrer les canaux obscurs qui parcourent un village et par où la rumeur coule de proche en proche “.

Dans le déroulé de son récit, l’auteur se joue de notre frustration, dans le bon sens du terme. Sur le fil sans arrêt, son roman assez court nous évite les étapes habituelles d’une investigation et n’en conserve que les aspects humains et sensibles. Point de relevé d’empreintes, de confrontation de témoins. Non ! ” Je n’aime pas les livres qui sont des catalogues de procédés, confie l’auteur. J’aime les textes qui ne sont pas inutiles. Dans un roman tout doit compter. ” C’est pourquoi Luc Dupont ne s’embarrasse pas de fioritures et de démonstrations. Son texte est le fruit d’un travail de bénédictin de son propre aveu, ” un schéma par chapitre et des paragraphes ré-écrits plusieurs fois “. Au lecteur de ronger son frein et de s’avouer vaincu par la sensibilité du récit. Lui-même ” lecteur boulimique “, cet enseignant liégeois trouve ses auteurs de prédilection ” aux confluents de la littérature blanche et de la noire “, chez John Le Carré, Robert Littell ou encore Andrea Camillieri. Son style si particulier a attiré l’attention du jury du prix Fintro-Ecritures Noires, dont il a obtenu une mention spéciale à la dernière Foire du Livre. ” C’est bien la dernière chose que j’ai encore pu arracher à une banque “, dit le syndicaliste, le sourire frondeur dans la voix. Un précieux encouragement qui lui a permis d’être édité joliment par la maison bruxelloise Onlit.

Luc Dupont, ” Anna, ici et là “, éditions Onlit, 176 pages, 17,90 euros.

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