Le sac à malices de Cameron McCabe

Publié en 1937 sous le titre The Face on the Cutting-Room Floor (littéralement ” Le visage sur le sol de la salle de montage “), le roman de Cameron McCabe est enfin traduit dans la langue de Voltaire près de 80 ans plus tard et sort sous le titre Coupez ! . Il s’agit d’un événement en soi. L’auteur britannique Jonathan Coe, qui signe une éblouissante introduction, qualifie à juste titre ce roman noir d’une incroyable modernité d'” extraordinaire “. Et ce pour plusieurs raisons. D’abord pour le récit qui a le chic pour tourner le lecteur en bourrique. Et aussi pour l’identité de son auteur, Cameron McCabe dont Coupez ! est l’unique roman sorti sous ce nom. Et pour cause ! Cameron McCabe est le pseudonyme de Ernst Bornemann dont la vie mériterait également un bouquin. Auteur notamment de Tremolo, l’un des meilleurs romans dans le milieu du jazz, Ernst Bornemann fut également ethnologue, musicologue, psychanalyste, musicien (avec Oscar Peterson), scénariste (un projet avorté avec Orson Welles et l’adaptation d’un de ses livres, Face the music, pour le cinéma) mais aussi pionnier dans la recherche sur la sexualité des enfants. Membre du parti communiste allemand, il quitta l’Allemagne nazie en 1933 et obtient l’asile politique en Angleterre en 1935, date à laquelle il commence l’écriture de Coupez ! . Pour la petite histoire, sa fin de vie sera tragique. Il met fin à ses jours le 4 juin 1995 à l’âge de 80 ans après une rupture amoureuse avec une demoiselle de 61 ans sa cadette. No comment !

Les choses importantes, dans les romans policiers, restent non dites, de toute façon.

Comme il l’explique lui-même dans la postface à travers un entretien accordé au périodique américain savant Maledicta, Ernst Borenemann a 22 ans lorsqu’il débarque à Londres. Après des études à Cambridge où il apprend l’anglais, il se lance dans l’écriture de Coupez ! . Dont l’auteur, nous le disions, est Cameron McCabe comme le nom du personnage principal et narrateur de ce roman noir. McCabe, considéré comme un as du montage, travaille dans un studio de cinéma. Isador Bloom, son boss, lui demande de couper toutes les séquences où apparaît la jeune starlette Estella Lamare. McCabe est pour le moins surpris et tombe quasi à la renverse en apprenant que le corps de la jeune comédienne est retrouvé sans vie… dans la salle de montage. A McCabe de mener l’enquête.

La force de l’auteur (admirateur de Hemingway, Joyce et Hammett), réside dans la construction de ce roman dessiné autour de sept personnages dont l’inspecteur Smith de Scotland Yard. Outre une écriture brillantissime (les descriptions de Londres by night sont magnifiques), c’est surtout la façon qu’a l’auteur de retourner le lecteur dans tous les sens qui est jouissif. Au détour d’une phrase ou d’une situation (les dialogues donnent le tournis), McCabe, le narrateur, multiplie les points de vue tandis que l’inspecteur en herbe qu’est le lecteur se retrouve comme deux ronds de flan. Et de saluer l’édifice diabolique – malgré une intrigue somme toute classique – mis en place par l’écrivain.

Si la solution de l’énigme survient à la dernière page, il en reste encore 80 autres pour débattre autour des qualités du roman Coupez ! de Cameron McCabe, le narrateur, sous la forme d’un épilogue rédigé par un tiers et qui secoue les milieux littéraires. S’ensuivent des réflexions autour des dernières tendances de la littérature noire et c’est tout aussi pertinent !

Cameron McCabe (traduit de l’anglais par Héloïse Esquié), ” Coupez ! “, éditions Sonatine, 378 pages, 21 euros.

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