Le réseau de Pierre Mottet, le président de l’Union wallonne des entreprises

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Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Pierre Mottet, le nouveau président de l’Union wallonne des entreprises a passé quasiment toute sa carrière au sein d’IBA, dont il préside le conseil. Cette constance, rare dans le monde entrepreneurial, ne l’a pas empêché de tisser un vaste réseau.

“Fide et robore”, fidélité et force ou travail, telle était la devise de l’internat ardennais où Pierre Mottet a effectué ses études secondaires. Elle pourrait tout aussi bien être la devise de la carrière professionnelle du nouveau président de l’Union wallonne des entreprises, lui qui, depuis plus de 30 ans et dans des fonctions diverses, reste indéfectiblement au service du fleuron néo-louvaniste IBA, leader mondial de la protonthérapie. “Je suis effectivement resté dans les marques de la devise de l’internat, convient Pierre Mottet. La vie en internat, cela forge des amitiés qui durent longtemps. De cette époque, je conserve des liens étroits avec Bernard Reginster, professeur de philo à la Brown University (Rhode Island). Je ne manque pas d’aller le saluer chaque fois que je vais aux Etats-Unis.” Il est également resté en contact avec son ancien professeur de latin-grec, Armel Job, devenu depuis l’un des romanciers belges les plus prolifiques.

J’ai vu toute la puissance d’avoir des gens qui se disent ‘c’est MA société’ car ils détiennent une, deux, cinq ou dix parts.

Après des études d’ingénieur commercial à l’UCLouvain, Pierre Mottet a travaillé trois ans chez IBM avant de rejoindre IBA en 1987. Yves Jongen (fondateur et actuel CRO d’IBA) l’avait contacté, sur les conseils de Philippe de Woot, professeur de Stratégie à l’UCLouvain. “Je voulais une entreprise qui affichait bien haut ses valeurs et j’avais en face de moi un physicien à qui l’on proposait un poste académique à Berkeley et qui a pourtant tenu à créer son entreprise en Belgique plutôt qu’aux Etats-Unis, parce qu’il estimait tout devoir à son pays”, se souvient Pierre Mottet. L’histoire ne pouvait que séduire un homme qui rappelle volontiers que “la Belgique est un pays de cocagne” et que ses habitants n’en ont sans doute pas suffisamment conscience. Au passage, on notera combien le renvoi d’ascenseur d’Yves Jongen à son pays est impressionnant: IBA aujourd’hui, c’est en effet un chiffre d’affaires annuel de plus de 300 millions d’euros (en hausse de 25% sur le premier semestre de cette année) et 800 emplois à Louvain-la-Neuve pour un total de 1.500 à travers le monde. Paradoxalement, malgré les racines “patriotiques” de sa création, IBA a surtout vendu ses équipements aux Etats-Unis, en Chine, au Japon… “et de temps en temps en Belgique”.

IBA et l’actionnariat salarié

Arrivé comme directeur commercial, Pierre Mottet est devenu CEO quelques années plus tard quand l’expansion internationale a poussé à clarifier les rôles entre lui, l’ingénieur commercial, et Yves Jongen, le scientifique. Le tandem s’est avéré ultra-complémentaire, ce qui leur a valu un titre conjoint de Manager de l’année en 1997. “Cela fait 35 ans que nous vivons ensemble, sourit Pierre Mottet (à nouveau, la fidélité! ). Quand un tandem fonctionne bien, c’est plus efficace, plus riche qu’un patron qui décide seul. Mais cela ne signifie pas que nous sommes toujours d’accord sur tout. Quand nous divergeons sur une décision à prendre, nous allons marcher dans les chemins creux de Louvain-la-Neuve et nous rentrons quand nous sommes d’accord. Je peux vous assurons que nous connaissons tous les chemins creux de Louvain-la-Neuve après toutes ces années. Souvent nous réalisons que nous avancions des raisons tout à fait différentes, voire opposées pour, in fine, arriver à la même conclusion. Et c’est quand même cela l’essentiel.”

L’un des épisodes marquants de son mandat comme CEO d’IBA fut la réplique à la tentative de rachat de l’entreprise par un concurrent canadien en 1997. Le management avait déjà pu entrer dans le capital (“mon premier emprunt fut pour acheter une voiture, mon deuxième, en 1989, pour acheter des actions d’IBA”, se souvient Pierre Mottet) et il a invité l’ensemble du personnel (120 personnes à l’époque) à faire de même. Le holding à la dénomination très symbolique de Belgian Anchorage a pu racheter plus de 50% des parts. Il est toujours l’actionnaire de référence d’IBA et la mobilisation a séduit des actionnaires historiques comme NivelInvest, l’UCL ou l’IRE qui sont, eux aussi, toujours présents. A croire que la devise Fide et Robore vaut parfois aussi dans le monde de la finance… “J’ai vu toute la puissance d’avoir des gens qui se disent ‘c’est MA société’ car ils détiennent une, deux, cinq, dix parts ou plus, explique Pierre Mottet. Cela fait partie de la philosophie d’IBA. Quand on a créé des stock-options, on les a ouverts à tout le personnel, pas seulement aux cadres dirigeants. Depuis que nous sommes cotés, c’est plus compliqué: le cadre réglementaire ne permet pas tout. Mais cela reste au coeur de ce que nous voulons faire dans l’entreprise.”

Le réseau de Pierre Mottet, le président de l'Union wallonne des entreprises
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Si des actionnaires historiques ont été fidèles, Pierre Mottet a aussi été fidèle à ses actionnaires. Il s’est ainsi impliqué dans NivelInvest, devenu Invest BW, dont il fut un temps l’administrateur délégué. “On peut dire que je connais bien le monde financier belge, de la start-up aux groupes internationaux”, résume-t-il. Cela lui a permis de tisser des liens avec des personnalités comme Marc Raisière (Belfius), Jean-Pierre Di Bartolomeo (Sowalfin) ou Olivier Vanderijst (SRIW).

En 2012, Pierre Mottet cède le pilotage opérationnel à Olivier Legrain et devient président du conseil d’administration. Il succède à ce poste à Jean Stéphenne, qui reste l’une de ses références en matière de pilotage d’entreprises, en particulier dans le secteur pharmaceutique. Il a aussi retenu de l’ancien patron de GSK l’intérêt d’une implication dans les instances patronales. Si Pierre Mottet a ouvert la porte de l’Union wallonne des entreprises, il y a plus de 20 ans maintenant, c’est en partie à Jean Stéphenne – mais aussi à Jean-Jacques Verdickt, ancien président de l’UWE et administrateur d’IBA – qu’on le doit. Il a aussi présidé Agoria-Wallonie et le pôle de compétitivité Mecatech.

Surf, Tesla et trois étoiles

Quand il veut décompresser, Pierre Mottet se tourne vers… le surf et le snowboard. “Mes endroits de liberté, ce sont les sports de glisse, dit-il. Si je peux m’absenter quelque part, ce sera dans les Landes pour faire du surf ou dans les montagnes pour le snowboard. Tant que je peux, j’y vais. Ce n’est pas casse-cou, ce sont des sports extrêmement sécurisés.”

Pierre Mottet en surfeur, ça vous surprend peut-être. Il y a 10 ans, il surprenait déjà au volant de sa Tesla, dont il fut le premier utilisateur belge. “Et je roule toujours dans cette voiture, dit-il fièrement. En sortant ce roadster, à l’époque, Tesla a complètement changé la perspective et montré que la voiture électrique ne devait pas forcément être un veau qui se traînait. Cela a eu un formidable effet publicitaire. Ils n’ont pas vendu beaucoup d’exemplaires de ce roadster mais cela leur a permis de lever des fonds. Toute l’aventure est partie de là.”

Au niveau restaurants, le président de l’UWE la joue beaucoup plus classique, mais volontiers haut de gamme. Le premier nom qu’il cite, c’est carrément Epicure, le trois étoiles du Bristol à Paris. “Cela reste les meilleures expériences gastronomiques que je connaisse, confie-t-il. Si je me lance pour la Belgique, je vais vous citer tout le guide Michelin. J’aime bien la gastronomie, même si je ne vais évidemment pas toutes les semaines dans un étoilé.” A Louvain-la-Neuve, il fréquente volontiers Le Cercle du Lac. “Là-bas, je suis vraiment au milieu de mon écosystème, dit-il. Et en plus, on y mange vite et bien.”

Fortes convictions environnementales

Aujourd’hui, Pierre Mottet devient donc président de l’UWE pour un mandat de trois ans. “C’est le bon moment, dit-il. Il y a tous ces plans de relance pour essayer de construire un futur qui, on l’espère, sera meilleur. Le mandat de Jacques ( Crahay, son prédécesseur à l’UWE, Ndlr) fut intéressant pour voir la dynamique qu’une organisation pouvait générer.” Pierre Mottet partage avec son prédécesseur de fortes convictions environnementales. Cela l’a poussé à intervenir pour qu’IBA devienne la première entreprise belge cotée à recevoir la certification BCorp. “Nous avons modifié les statuts pour bien préciser que l’objet social d’IBA visait d’autres finalités que la recherche de profit pour les actionnaires, se félicite-t-il. C’est un long processus pour en arriver là et j’ai vraiment été frappé de voir l’enthousiasme dans la boîte quand nous avons pris ce chemin.”

Sa prise de conscience ne s’arrête pas à IBA. Il a lancé le fonds SEn’SE, qui apporte un financement d’amorçage aux start-up à fort impact environnemental. Ce fonds est lié à la Fondation pour les Générations futures, dirigée par Benoît Derenne. On le retrouve aussi au conseil de Xylergy (gazogène pour alimenter des réseaux de cogénération à partir de déchets) ou à l’origine du groupe 2030, dans lequel une trentaine de patrons belges échangent leurs bonnes pratiques, et leurs interrogations, en matière de réduction des émissions. Il y côtoie Michel Croisé (Sodexo), Philippe Foucart (Technord), Marc Vossen (NRJ), Sébastien Dossogne (Magotteaux) et plein d’autres. “L’entreprise est peut-être une partie du problème, mais elle doit certainement faire partie de la solution”, résume Pierre Mottet. Vous savez, c’est une thématique qui ouvre beaucoup de portes. C’est grâce à cela, que je connais Piet Colruyt. Quand je croise Thomas Leysen ou Bart De Smet (Ageas), c’est de durabilité dont nous parlons avant tout.” Les liens sont finalement très logiques entre durabilité et… fidélité.

Olivier Vanderijst, président du comité de direction de la SRIW.

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“J’ai connu Pierre lorsque, arrivé à la SRIW, j’ai fait le tour des sociétés wallonnes prometteuses, pour envisager le soutien que nous pouvions leur apporter. J’ai immédiatement été séduit par sa vision à long terme, et pas son attachement à l’ancrage belge ou wallon. En ce domaine, il fut aussi un pionnier avec le holding Belgian Anchorage et il n’est pas pour rien dans la modification législative qui prévoit le double droit de vote pour les actionnaires de longue durée. Pierre ne disserte pas pour la beauté du geste, il met son discours en application chez IBA.

Il est aussi un pionnier de la réflexion sur la transition énergétique et environnementale. J’ai rarement vu quelqu’un qui combinait à la fois les connaissances techniques, l’esprit entrepreneurial, et une conviction forte sur le caractère indispensable du changement de paradigme. Sur ces aspects, c’est un peu le Bill Gates belge.

Avec Olivier Legrain, il forme un duo impressionnant, mû par les mêmes convictions fortes. Pas étonnant qu’IBA soit une des premières sociétés cotées qui ait obtenu le label B Corp. Ils cherchent évidemment à créer de la valeur, mais de la valeur qui profite à l’ensemble des stakeholders.”

Pierre Rion, entrepreneur, président du Conseil numérique wallon.

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“Pierre, c’est un marathonien de la décision. Il prend le temps d’investiguer, de se renseigner, d’écouter avant de trancher. Il est en outre capable de changer d’avis, en fonction des arguments de ses interlocuteurs. Chez lui, la décision mûrit, ce n’est pas un fonceur comme moi.

Nous nous connaissons de longue date, nous étions voisins, lui chez IBA et moi chez Iris. Et nos sociétés sont entrées en Bourse à peu près en même temps. Mais c’est surtout au sein d’Invest BW, où nous sommes les deux privés autour de la table, que notre relation s’est développée et est devenue plus personnelle. Nous partageons un fort attachement à la Wallonie, des racines du côté de Bastogne, le fait d’être des entrepreneurs dans l’âme, une fibre écologiste et une passion pour la technologie. Ce n’est pas un geek comme moi mais je peux vous assurer qu’il sait de quoi il parle. C’est quelqu’un d’extrêmement intelligent, qui pousse les raisonnements, les réflexions jusqu’au bout. Et puis, tout en étant très réfléchi et intellectuel, il a aussi beaucoup d’humour. Mais il faut savoir apprécier le deuxième ou le troisième degré.”

Yves Jongen, fondateur et CRO d’IBA.

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“Quelques mois après la création d’IBA, nous cherchions quelqu’un pour prendre en charge le département commercial. J’ai demandé à deux amis professeurs à l’Institut d’administration et de gestion (devenu depuis la Louvain School of Management) de pointer les étudiants les plus brillants sortis les trois dernières années: Pierre Mottet arrivait en tête des deux listes! Je lui ai présenté le projet d’IBA dans un café de Louvain-la-Neuve. Nous nous sommes vus trois fois et Pierre s’est dit ‘Si je dois faire une folie dans ma vie, autant que ce soit maintenant quand je débute’. Et c’est ainsi qu’il est devenu le septième engagé d’IBA.

Nous ne nous connaissions pas au départ et une profonde amitié s’est nouée entre nous au fil des années. Nous échangeons beaucoup pour le boulot bien sûr, mais aussi à propos de notre vie personnelle, des chemins que prennent nos enfants… Si Pierre me dit ‘Tu te trompes’, je me gratte la tête et je me demande s’il n’a pas raison. Si quelqu’un d’autre le dit, je passe outre ( rires). Notre parcours commun m’a permis de découvrir que Pierre n’était pas seulement une intelligence brillante et qu’il avait de grandes qualités de coeur. C’est un homme profondément bon et généreux.

Nous sommes très complémentaires. Pierre est extrêmement analytique, un peu comme le joueur d’échecs qui calcule tous les possibilités six coups à l’avance et puis décide. Quand vous lui parlez d’un problème et qu’il promet de répondre rapidement, ça veut dire dans trois semaines. Il aura retourné la question dans tous les sens pour vous amener une réponse argumentée. Moi, je réagis plutôt avec mes tripes. Et souvent, pour des raisons différentes, nous aboutissons à la même solution.”

Anne-Laure Van der Wielen, coordinatrice du groupe 2030.

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“Pierre, c’est vraiment une bibliothèque. Il lit énormément et a développé un bagage de connaissances très impressionnant. C’est vraiment très riche de pouvoir travailler avec lui. La grande partie de nos échanges concerne bien entendu la durabilité et la transformation du business model des entreprises, qui est le coeur du projet 2030. Mais nous évoquons aussi souvent les inégalités sociales, car j’ai un regard un peu différent avec mon parcours dans le monde associatif et humanitaire (SOS Faim, Festival Amani en RDC). Nous pouvons aborder ces aspects en toute confiance et en toute transparence, même si nos positions ne sont pas alignées. J’apprécie cette capacité de Pierre à mener des échanges non jugeants, en toute bienveillance. Il y a chez lui une vraie envie de comprendre, de challenger les idées avec des points de vue différents. C’est la vocation du groupe 2030.

Enfin, il ne faudrait pas oublier que Pierre est aussi un bon vivant, un homme qui aime faire la fête et qui est hyper accueillant. Il met les gens à l’aise et crée un climat de convivialité très fort. C’est vraiment très agréable de travailler avec lui.”

Sybille van den Hove, consultante et formatrice en durabilité.

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“J’ai rencontré Pierre en 1988 car il m’a engagée, à la sortie de mes études de physique, pour le département commercial d’IBA. Un an plus tard, il devenait directeur général et moi directrice commerciale. J’ai quitté l’entreprise au bout de quatre ans pour travailler plus directement sur des matières liées du développement durable. Mais nous sommes restés en contact et, depuis six ans, je suis revenue comme administratrice chez IBA.

Pierre est quelqu’un qui ne réagit jamais à chaud. Il écoute, il réfléchit et peut laisser de grands silences dans une conversation ou une réunion. Cela surprend au début mais cette manière de fonctionner ouvre un espace pour des avis, des arguments avant la prise de décision.

Au-delà d’IBA, Pierre a envie de rendre, de donner, de s’impliquer. Mais il aime les trucs efficaces. Il cherche les leviers d’action qui auront de l’impact. C’est pour cela qu’il a lancé le fonds SEn’SE ou le groupe 2030. Et je pense que c’est aussi pour cela qu’il a accepté de présider l’UWE. Mon impression, c’est qu’il va remettre une bonne couche derrière Jacques Crahay, qui avait bien débroussaillé les thèmes autour de la durabilité. Pierre est convaincu que nous ne sommes pas au-devant d’une gentille petite transition mais d’une véritable transformation dans laquelle il faudra inventer, oser. Il cherche à avoir de l’impact, c’est un grand questionnement chez lui.”

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