Le Qatar et l’hypocrisie ambiante

Amid Faljaoui, directeur de de trends-tendances © AMID FALJAOUI, DIRECTEUR DE TRENDS-TENDANCES

Je ne suis pas foot du tout. Je serais même incapable de vous citer le club champion de Belgique. Et donc j’avoue mon incompétence. En revanche, les appels au boycott de cette Coupe du monde m’interpellent. Il est clair que le Qatar n’est pas un modèle à suivre sur le plan du respect des droits humains ou du travail, sans même évoquer le désastre écologique que représente cet événement. Mais ce qui me frappe, c’est l’appel tardif au boycott alors que cette organisation a été attribuée en 2010. Bref, s’il faut blâmer quelqu’un ou une institution, c’est d’abord la fédération internationale de football.

Nous assistons là, à l’émergence d’un “softpower sportif”. Et ça, c’est une grande nouveauté.

Ce qui me frappe en outre, c’est de constater combien nous avons collectivement moins critiqué les derniers Jeux olympiques d’hiver de Pékin et de Sotchi qui ont pourtant carburé à la neige artificielle! Et que nous n’avons pas autant critiqué d’autres compétitions sportives majeures dans l’Argentine des dictateurs, la Russie de Poutine ou le Brésil des favelas. Alors, pourquoi ce double poids et mesure?

Car, si dans un monde idéal, on ne devait organiser ces compétitions que dans des démocraties, on risque de ne pouvoir choisir que parmi une vingtaine de pays! Et il faut aussi garder à l’esprit que ces appels au boycott permettent à certains politiques de se donner un beau rôle, quitte à être totalement hypocrites. L’exemple type? Anne Hidalgo, la maire de Paris. Comme tant d’autres, elle a annoncé qu’elle n’installerait pas d’écrans géants pour retransmettre la Coupe du monde. Soit, pourquoi pas? Mais quelle mémoire de poisson rouge! Mes confrères d’Atlantico.fr ont eu beau jeu de rappeler que c’est la même qui déclarait en juin 2015 qu’elle était heureuse de la présence du PSG à Paris, que ce club de foot (pourtant propriété du fonds souverain du Qatar) faisait du bien à sa ville, qu’il soutenait le foot féminin, et qu’il luttait même contre l’homophobie et le racisme.

En Belgique, on a la même schizophrénie avec les sponsors. Trends-Tendances a consacré la semaine dernière trois pages à l’attitude des annonceurs des Diables rouges. A défaut de la boycotter, la plupart ont choisi de ne pas citer la Coupe du monde, de ne pas dire un mot sur le Qatar ni d’y emmener des clients, mais ont focalisé toute la communication sur l’équipe nationale…

Le citoyen aussidoit assumer sa part de schizophrénie. D’un côté, il boycotte la Russie en soutien à l’Ukraine mais donne un mandat implicite à son gouvernement pour qu’il trouve du gaz et du pétrole par tous les moyens possibles pour ne pas grelotter cet hiver. Et que font nos gouvernements? Ils cherchent le gaz là où il se trouve, notamment au Qatar, en Iran ou en Algérie, pays dirigé par des militaires!

Pour ma part, je crois qu’il faut regarder la coupe (sans jeux de mots) à moitié pleine. Le Qatar a dépensé 220 milliards de dollars pour cet événement, avec des retombées financières évaluées à 20 milliards de dollars. Soit une “campagne de pub” à 200 milliards de dollars! Or, comme le font remarquer mes confrères des Echos, ces appels au boycott, même tardifs, auront au moins permis de mettre en lumière “les malversations dans le sport professionnel, les aberrations climatiques avec la climatisation des stades et surtout le travail forcé des ouvriers dans les pays du Golfe”. Reconnaissons-le, ces alertes auprès de l’opinion mondiale forcent le Qatar à progresser. Pas assez à notre goût, mais au final ce pays aura plus progressé que ses voisins. Et donc oui, il n’est pas possible d’annuler cette Coupe du monde, mais bien d’en altérer son image. En réalité, nous assistons là, à l’émergence d’un “soft power sportif”. Et ça, c’est une grande nouveauté!

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