Paul Vacca

Le plastique, utopie en toc

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

La production globale de plastique est passée, selon l’Onu, de 2 millions de tonnes en 1950 à 367 millions de tonnes en 2020, dont la moitié destinée à des produits à usage unique…

Depuis le 29 octobre, de l’autre côté de la Manche, une exposition au V&A Dundee en Ecosse retrace une épopée moderne: celle du plastique. Intitulée Plastic: Remaking our World, elle dévoile comment le plastique a pu devenir la matière par excellence qui, par son succès même, a refaçonné notre monde depuis plus d’un siècle.

Au commencement était le celluloïd, la première matière semi-synthétique. Obtenu à partir d’un mélange de camphre et de nitrocellulose, il fut dévoilé à l’exposition universelle de Londres de 1862 sous forme de manches de couteaux, jouets, vases ou bijoux. D’une grande résistance, il présentait néanmoins l’inconvénient d’être éminemment inflammable.

Au tournant du 20e siècle, c’est un Belge, le chimiste Leo Baekeland, qui crée à New York le premier plastique entièrement synthétique: l’anhydrure de polyoxybenzylméthylèneglycol, plus connu sous le nom de bakélite. Limité aux couleurs sombres et encore peu “plastique”, il s’invite néanmoins dans tous les intérieurs domestiques, donnant vie aux plateaux repas ou aux fameux téléphones noirs à cadran.

Lors de la Seconde Guerre mondiale se développent ensuite de nouvelles variétés de plastiques: la famille des “poly” (polystyrène, polyvinyle, polyuréthane, etc.) à la base notamment des Tupperware, constitués de polythène, développé à l’origine pour les radars.

Avec l’ère des super-polymères, le plastique s’ouvre alors toujours plus le champ des possibles. Toutes les folies concernant les formes et les couleurs sont permises. Cela fait le bonheur des designers qui peuvent enfin donner libre cours à leur créativité débridée, tout autant que celui des industriels qui peuvent appliquer la formule vertueuse du nouveau consumérisme: produire en masse à des prix abordables.

Le sémiologue Roland Barthes, analyste de cette société de consommation naissante au mitan des années 1950, consacre d’ailleurs une de ses fameuses Mythologies au plastique. Il s’émerveille, non sans ironie, des appellations en “poly” qui résonnent comme des noms de bergers grecs chez Homère. Il décrit le plastique comme “la première substance magique qui consente au prosaïsme”, cristallisant magistralement en quelques mots l’équation miraculeuse du plastique, manifeste consumériste inscrit dans ses atomes mêmes: tout est possible pour tous.

Nous sommes à l’époque encore à l’âge d’or, celui de l’utopie, quand le plastique est encore une belle idée. A partir de quel moment a-t-il pris le virage dystopique que nous vivons aujourd’hui, pour devenir une utopie en toc? Quand, progressivement, la production globale est passée, selon l’Onu, de 2 millions de tonnes en 1950 à 367 millions de tonnes en 2020, dont la moitié destinée à des produits à usage unique, nous envahissant partout jusqu’aux fonds insondables des océans.

A ce titre, l’exposition, proposée par Vitra, le fabricant suisse de meubles de designers, éclaire éloquemment le paradoxe même du plastique. En mettant en lumière les produits iconiques en plastique (comme la Panton Chair ou la Ball Chair d’Eero Aarnio…) et la démarche raisonnée de ses designers (pour produire des objets à partir de matières plastiques recyclées, pour le retour à des polymères biodégradables et à une conservation des objets dans le temps), elle montre que l’utopie du plastique aurait pu réussir si elle s’était contentée de rester élitiste.

C’est en effet son succès et sa démocratisation qui ont provoqué le désastre. Un peu comme l’ambition perd les ambitieux, tel Napoléon qui “s’il était resté simple officier d’artillerie, serait encore sur le trône”, rappelait le dramaturge Henry Monnier.

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