Le monde de demain sera différent ! Ah, bon ?

Amid Faljaoui

Pour nombre de personnes, la crise actuelle est la preuve magistrale que la mondialisation est un échec, voire la cause première de la pandémie que nous connaissons. Bref, il serait urgent d’en finir avec ce dogme économique ultra-libéral et d’en revenir au monde d’avant. Mais comme le faisait remarquer l’économiste et géographe Pascal Perri, l’imposture serait de faire croire au grand public ” qu’il suffit de rembobiner le temps pour revenir en arrière. On ferme les frontières et on s’isole du reste du monde “. En d’autres mots, l’erreur serait de croire que les vieilles recettes nous guériraient des difficultés actuelles.

D’abord, rappelons que les pandémies ont existé bien avant la mondialisation et ont fait bien plus de morts qu’aujourd’hui. L’historien israélien Yuval Noah Harari le rappelle sans cesse : ” Au 14e siècle, il n’y avait ni avions ni bateaux de croisière, ce qui n’a pas empêché la peste noire de se répandre de l’Extrême-Orient à l’Europe occidentale en guère plus de 10 ans, tuant au moins un quart de la population “.

Ensuite, la solution passe par la mondialisation, tout comme pour le réchauffement climatique, phénomène mondial qui nécessite d’agir tous ensemble. Dans le cas du coronavirus, faut-il rappeler que, grâce à la mondialisation, tous les scientifiques du monde s’échangent et partagent en temps réel leurs avancées et découvertes dans la lutte contre l’épidémie ? Bien entendu, certains esprits acquis à la cause de l’altermondialisme diront : ” oui, ça c’est la mondialisation que l’on aime, mais nous n’aimons pas la mondialisation des multinationales, celle qui fait qu’aujourd’hui nos masques, nos médicaments sont fabriqués en Chine “. D’accord, l’argument est pertinent. Plus personne – ni les politiques ni les industriels d’ailleurs – ne veut désormais dépendre d’un seul pays à ce point. Surtout en matière de santé publique. Mais attention, comme me l’a fait remarquer un ami industriel, il ne suffit pas de dire ” je relocalise une usine en Belgique, en France ou ailleurs en Europe ” pour que le problème soit réglé. Il faudra en réalité rapatrier toute la filière, sans quoi la relocalisation n’aura aucun sens. Rappelons qu’une voiture est désormais assemblée à partir de composants qui viennent de 37 pays différents !

Bien sûr, la démondialisation est possible, elle est même souhaitable dans une certaine mesure. Mais est-on certain de vouloir en payer le prix ?

Qu’en serait-il des coûts ? Le patron de SEB, le spécialiste de l’électroménager, avouait récemment à mes confrères du magazine Challenges qu’il pouvait sans problème relocaliser ses usines chinoises en France. Ajoutant aussitôt : ” Mais nous ne voyons pas venir une baisse forte des charges. Ce sera pourtant un élément clé dans les années à venir “. Donc oui, il est possible de relocaliser, mais vu les charges sociales et fiscales, le produit fabriqué coûtera beaucoup plus cher en France ou en Belgique. Qui voudra l’acheter alors que le pouvoir d’achat sera en baisse après cette crise ?

Les mêmes citoyens qui critiquent aujourd’hui la mondialisation l’ont en quelque sorte souhaitée… Au-delà de notre condition de citoyen, nous avons en réalité trois casquettes : salarié, contribuable et consommateur. Or, dans les années 1980, c’est la casquette de consommateur qui l’a emporté sur les deux autres. Nous avons fait le choix collectif du pouvoir d’achat. Et grâce aux délocalisations, tous les produits sont devenus moins chers. Notre pouvoir d’achat a donc augmenté, mais au prix d’un chômage plus élevé. Les politiques ont joué la carte du court terme en compensant le coût de chômage par l’endettement public (les générations futures paieront) et par la hausse des charges sociales et fiscales (les entreprises et la classe moyenne n’ont qu’à payer). Au final, le match était donc joué comme le rappelle Pascal Perri : victoire du consommateur, disgrâce du salarié et désolation du contribuable.

Bien sûr, la démondialisation est possible, elle est même souhaitable dans une certaine mesure, mais est-on certain de vouloir en payer le prix ? Aujourd’hui, tout le monde parle du monde de demain ou d’après-demain. Et chacun y va de son couplet du ” plus rien ne sera comme avant “. J’ai, hélas, une bonne mémoire… J’ai entendu les mêmes propos après la crise de 2008. Et rien n’a changé, sauf les promesses de lendemains qui changent.

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