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Voilà pourquoi la nomination de Christine Lagarde à la tête de la BCE est cohérente et crédible

La nomination de Christine Lagarde au poste de présidente de la Banque centrale européenne (BCE) a déjà fait couler beaucoup d’encre. Dire qu’elle n’a pas les compétences professionnelles en matière monétaire est un non-sens : ses huit années passées à la tête du Fonds monétaire international (FMI) l’ont plongée dans les principaux dossiers monétaires et financiers, et ce n’est pas anodin. En particulier, son implication dans le dossier grec l’a confrontée de près aux problèmes de la zone euro.

Certes, Christine Lagarde déroge à l’image traditionnelle du banquier central, celle d’un docteur en économie, spécialisé dans les questions monétaires de préférence et ayant encore un pied dans le milieu académique. Elle n’a en effet pas de doctorat en économie et n’a probablement jamais entendu parler du modèle monétaire de Phillip Cagan ni résolu les équations du modèle d’Olivier Jeanne. Soit, c’est probablement une corde manquant à son arc. Mais est-ce vraiment un problème ? Pas nécessairement.

Elle sera, comme au FMI d’ailleurs, entourée d’un staff rassemblant les meilleurs docteurs en économie spécialisés dans les questions monétaires. En particulier, son chef économiste (dont les compétences économiques se doivent d’être indiscutables), Philip Lane, jouera le rôle du théoricien à la pointe de la recherche en politique monétaire et apportera l’expertise nécessaire. Si ce staff gagne la confiance de Christine Lagarde, et vice versa, la BCE restera la garante de l’intégrité de l’euro : elle ne s’embarquera pas dans des voies inutiles.

D’autre part, la zone euro restera encore un moment en territoire inconnu : la croissance demeure lente, l’inflation inexistante et l’endettement des Etats limite la capacité d’action de la politique budgétaire. Bref, les autorités monétaires n’ont pas fini de chercher comment soutenir l’économie de la zone euro. Dans un tel contexte, avoir à leur tête un monétariste pur et dur aurait limité leur capacité d’action.

Mais surtout, il ne faut pas oublier que le monde a changé. Autrefois, le charisme et l’expertise du banquier central suffisait à faire taire les hurluberlus avançant une théorie fumeuse en matière monétaire. Le banquier central pouvait, avec indifférence et sans prendre de pincettes, les renvoyer à leurs livres d’études, pour peu qu’ils aient un jour tenu en main un livre de théorie monétaire. Mais aujourd’hui, ces mêmes hurluberlus trouveront des alliés sur les réseaux sociaux, des populistes pour les soutenir, et in fine, une certaine aura. Balayer d’un revers de la main toute idée débile sur le plan théorique ne se fait plus puisque l’expertise elle-même des théoriciens monétaires est remise en cause par l’intelligence superficielle des réseaux sociaux. Il faut donc prêter l’oreille, faire mine de s’y intéresser et expliquer, encore et encore, avec modération, pourquoi la théorie en question est…fumeuse.

Tenant compte de la solidité intellectuelle du staff de la BCE, désigner à sa tête une personne peut-être moins à la pointe de la théorie monétaire mais disposant d’une bonne expérience et de qualités d’écoute et de persuasion est un très bon compromis.

Bien sûr, avoir à la tête d’une banque centrale une personne à la fois experte dans les matières monétaires et capable de diplomatie et d’écoute tout en ne dérogeant pas aux principes de base qui fondent la crédibilité d’une banque centrale reste la meilleure option. Mario Draghi s’en approchait clairement. Manifestement, personne ne répondait suffisamment à ces critères pour le remplacer. Dès lors, tenant compte de la solidité intellectuelle du staff de la BCE, désigner à sa tête une personne peut-être moins à la pointe de la théorie monétaire mais disposant d’une bonne expérience et de qualités d’écoute et de persuasion est un très bon compromis. La BCE aura besoin de ces qualités pour réussir le numéro d’équilibriste consistant à faire face aux défis économiques et financiers des prochaines années tout en gardant sa crédibilité et les principes fondateurs d’une monnaie stable et en ne paraissant pas déconnectée du monde d’aujourd’hui.

Finalement, la seule chose que l’on peut reprocher à la nomination de Christine Lagarde, c’est le fait qu’elle soit le fruit d’un compromis politique et non pas d’une recherche du meilleur candidat. Si tel avait été le cas, il n’est pas certain que la Française aurait eu le poste. Mais elle aurait certainement été dans la short list, non seulement pour ses compétences, mais aussi en raison de l’évolution même du rôle d’un banquier central. En conclusion, le ou la président(e) est une pièce maîtresse de la BCE, mais il faut voir celle-ci comme un ensemble de compétences et d’expertises. Et cet ensemble reste tout à fait cohérent et crédible.

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