Le marché unique africain prend forme

Kazungula (Zambie) Les deux vieux bacs en service ne peuvent transporter qu'un ou deux camions à la fois au Botswana, de l'autre côté du fleuve Zambèze. Le pont en construction va bientôt changer la donne. © Getty Images

Les pays du continent vont fluidifier leurs échanges commerciaux notamment en éliminant les barrières douanières et les visas.

Au poste-frontière de Kazungula, sur le fleuve Zambèze, dans le sud-ouest de la Zambie, une file de camions s’étire par-delà les limites de la ville. Les chauffeurs vont tuer le temps dans les bars voisins en attendant leur tour. Le passage de la douane, avant la traversée en ferry, peut prendre quatre jours. Par chance, tout cela est en train de changer : un nouveau pont, qui doit être achevé en 2020, fluidifiera les échanges entre les quatre pays qui se rejoignent à ce goulet d’étranglement en Afrique australe : le Botswana, la Namibie, la Zambie et le Zimbabwe. Cette infrastructure promet de stimuler l’ensemble de ces économies.

Le pont de Kazungula s’inscrit dans une plus large initiative visant à assurer l’intégration économique de l’Afrique. L’accord portant création de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca), signé par 54 des 55 pays africains en 2019, entrera dans sa phase opérationnelle en 2020. Au vu du nombre de pays signataires, ce marché sera le plus grand depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994. Il se propose d’éliminer les droits de douane et de faciliter les échanges entre les pays membres.

Ses instigateurs nourrissent de grands espoirs. Avec un milliard d’habitants, l’Afrique subsaharienne est presque aussi peuplée que l’Asie, hors Inde et Chine. Mais comme le relève John Ashbourne, de la société de conseil en recherche économique Capital Economics, les pays africains comptent en moyenne 12 millions d’habitants, contre 45 millions en ” Asie émergente “. Un accord commercial africain a donc de très fortes chances d’accroître les économies d’échelle sur le continent.

La Zleca pourrait déboucher sur un marché unique pesant plus de 2.700 milliards d’euros de PIB, soit presque autant que l’économie indienne, cinquième du monde. A l’heure actuelle, les pays africains ne vendent que 15 % de leurs exportations sur le continent, alors que le commerce régional représente 58 % des échanges en Asie et 67 % en Europe. Le commerce intra-africain portant essentiellement sur des produits manufacturés (les hydrocarbures et les minéraux constituant la majorité des exportations vers le reste du monde), la Zleca pourrait également dynamiser l’industrie africaine, et notamment le secteur manufacturier local, accroissant ainsi le nombre d’emplois bien rémunérés.

Au-delà de cette nouvelle zone de libre-échange, d’autres signes indiquent que les échanges entre pays africains sont désormais facilités. En 2016, Aliko Dangote, richissime homme d’affaires nigérian, déplorait avoir besoin d’un visa pour se rendre dans 38 autres pays du continent. Il est souvent plus simple pour les Occidentaux que pour les Africains eux-mêmes de sillonner l’Afrique. Mais à en croire les données de l’Union africaine, la situation s’améliore peu à peu. En 2016, un cinquième des pays africains n’imposaient pas de visa aux Africains. Deux ans plus tard, cette proportion était passée à un quart, un autre quart accordant aux Africains des visas à l’arrivée.

La marche est encore longue

Pourtant, en dépit de quelques avancées, l’Afrique a encore bien du chemin à faire pour parvenir à une véritable intégration économique. La mise en oeuvre de la Zleca prendra des années et n’aura jamais une forme aussi élaborée que l’union douanière et le marché unique européens. Les interférences possibles avec d’autres accords régionaux existants, et souvent contradictoires n’ont pas encore été très bien évaluées. Il faut en outre tenir compte du facteur politique. Les petits pays craignent que les grands pôles régionaux comme le Kenya et l’Afrique du Sud ne soient les grands gagnants de l’accord, à leurs dépens. D’autres, comme le Nigeria, sont gouvernés par des dirigeants qui, par instinct, restent attachés au protectionnisme.

L’élimination des barrières douanières n’est qu’un début. Les chauffeurs routiers de Kazungula sont bien placés pour savoir que ce sont les barrières physiques dressées entre les pays africains, comme la qualité des routes et le nombre de postes de contrôle de police, qui sont les plus gênantes. Selon certaines études, il peut revenir cinq fois plus cher de transporter des marchandises par la route dans les pays africains que dans d’autres pays pauvres. Les lourdeurs administratives à la frontière ne font qu’aggraver le problème. En dépit des progrès réalisés au chapitre des visas, certaines des plus grandes économies du continent, comme l’Angola, le Nigeria et l’Afrique du Sud, s’obstinent à compliquer singulièrement l’entrée d’autres Africains sur leur territoire.

L’Afrique dans son ensemble n’est pas près de décoller aussi rapidement que ne l’ont fait la Chine et, dans une moindre mesure, l’Inde au cours de ces dernières décennies. Un continent composé d’une mosaïque de 55 pays est nécessairement plus difficile à gérer qu’un seul et même pays. La corruption et le clientélisme paralysent encore beaucoup trop d’Etats africains. La croissance économique pourrait avoir du mal à dépasser la croissance démographique dans les pays d’Afrique, à quelques exceptions notables près, comme l’Ethiopie. Les Africains prendront donc encore davantage de retard sur les Asiatiques. Il est toutefois encourageant de constater que le principal sujet de conversation sur le continent porte sur le commerce et les échanges. Preuve que la situation a considérablement évolué depuis l’époque où les discussions étaient dominées par la guerre et les conflits. En 2020, alors que des pans entiers du monde adopteront le protectionnisme, les responsables politiques africains mériteront d’être applaudis pour leurs efforts en vue de faciliter les échanges.

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