Le droit de vote doit rester universel

Laurene Powell Jobs, fondatrice de l'organisation philanthropique Emerson Collective © Belgaimage

On dirait les lointains échos d’une époque sombre et révolue. Au Kansas, une loi exigeant des certificats de nationalité empêche 35.000 personnes de s’inscrire sur les listes électorales. En Géorgie, le secrétaire d’Etat a déclaré la guerre aux électeurs noirs avec, entre autres décisions, la suspension de plus de 50.000 inscriptions sur les listes électorales et un projet de fermeture portant sur sept des neuf bureaux de vote d’un comté défavorisé, où la population est majoritairement afro-américaine. En Caroline du Nord, le Parlement de l’Etat introduit un amendement constitutionnel imposant aux électeurs de se présenter au bureau de vote munis d’une pièce d’identité avec photo, mesure qu’un tribunal fédéral a déjà jugée discriminatoire envers l’électorat noir (nombre d’électeurs noirs défavorisés étant dépourvus de ce document faute de moyens ou de savoir comment l’obtenir auprès des autorités). Dans le Dakota du Nord, l’Etat a adopté une loi, confirmée par la Cour suprême, qui prive de facto de leurs droits les communautés amérindiennes en exigeant des électeurs qu’ils fournissent un justificatif de domicile, document que peu de membres d’une tribu peuvent produire.

Il faut mettre un terme aux fraudes institution-nalisées au droit de vote, qui empêchent certains citoyens de se rendre aux urnes.

Autant d’exemples d’un passé scandaleux ? Non, ce sont là des exemples de notre scandaleux présent. Tous sont l’illustration d’une véritable campagne de discrimination électorale menée à travers les Etats-Unis. Dans une liste d’Etats qui ne cesse de s’allonger, des législateurs de droite dressent de nouveaux obstacles pour empêcher les électeurs, en particulier ceux issus des minorités et de la jeunesse, de se rendre aux urnes.

Des méthodes qui rappellent en tout point la législation Jim Crow, cet ensemble de lois de ségrégation qui prévalut dans le Sud jusqu’au milieu du 20e siècle, mais aussi la conception restreinte du droit de vote tel qu’il fut institué aux débuts de la République américaine. Régi par le principe de souveraineté du peuple, le système instauré par les Pères fondateurs reconnaissait l’importance fondamentale du vote, mais il en limitait l’exercice aux propriétaires terriens blancs de sexe masculin.

Il a fallu 150 ans d’âpres luttes (dont une guerre civile, plusieurs décennies de combat suffragiste, des amendements à la Constitution et un mouvement pour les droits civiques) pour que l’ensemble des citoyens soit reconnu électeur et éligible. Parallèlement, dans la loi américaine comme dans les consciences, le vote est passé du statut de privilège à celui de droit fondamental.

Pour autant, le droit de vote n’a jamais cessé d’être menacé et doit en permanence être réaffirmé et défendu. L’adoption du Voting Rights Act de 1965 a ainsi marqué un tournant dans la longue lutte pour les droits électoraux des Afro-Américains. La discrimination n’a cependant pas disparu. En 2013, une majorité conservatrice à la Cour suprême, estimant que ” notre pays a changé “, a jugé que les électeurs issus des minorités n’avaient plus besoin de certaines protections. Dans une décision qui a vidé de sa substance une disposition clé du Voting Rights Act, les plus hauts magistrats ont rompu les digues et permis à des Parlements et des juridictions d’Etats fédérés d’adopter une insidieuse série de mesures discriminatoires.

Cela fait plus de deux siècles que les Etats-Unis avancent sur la voie du droit de vote universel. Depuis 10 ans cependant, les reculs se multiplient à une vitesse et avec une efficacité alarmantes. Les mesures de discrimination électorale visent d’ailleurs en particulier des groupes de population qui votent généralement démocrate : jeunes électeurs primo-votants, immigrés, citoyens dont l’anglais n’est pas la langue maternelle et électorats latino et afro-américain.

Autant de manoeuvres qui sont une menace pour l’existence même de la démocratie. Aux Etats-Unis, le vote pourrait devenir un privilège réservé à ceux qui sont déjà privilégiés, et donc aggraver la concentration du pouvoir aux mains de la petite caste des plus riches.

Nous avons besoin de plus de démocratie, et ce dès maintenant, dès 2019. Empêcher un seul bulletin d’aller dans l’urne, c’est réduire un citoyen au silence. Ceux d’entre nous qui jouissent pleinement de leur droit de vote doivent s’élever, et élever la voix, au nom de tous nos concitoyens, et au nom de l’avenir de notre collectivité nationale. Car ce qui est en jeu, ce n’est rien de moins que la vigueur et la survie de notre démocratie.

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