“Le développement de Marche n’est pas un miracle”

© Debby Termonia

Petite ville dynamique, pourvoyeuse d’emplois et de services, Marche-en-Famenne souffre d’une démographie stagnante. Pour enrayer le report de son attractivité sur les villages voisins, elle mise sur la construction de logements de qualité et la mobilité.

Une heure de trajet en voiture au départ de Bruxelles et vous voilà déjà en province de Luxembourg, à Marche-en-Famenne, débouchant de la nationale 4 sur le boulevard urbain agréablement aménagé et bordé de grandes enseignes et de bâtiments administratifs. Sur le terre-plein central, trônent une vingtaine de ” poupées ” de 2,20 m de haut, joliment peintes par des artistes. Quelques curieux et touristes s’attardent, le temps de prendre l’une ou l’autre photo. Agréable, cette entrée en ville.

Comme chaque année, depuis quatre ans, Marche-en-Famenne accueille durant l’été l’exposition à ciel ouvert K-Dolls in Town, un projet culturel et social (il soutient l’achat et la distribution de poupées en chiffon aux enfants hospitalisés) qui embellit la ville. On pourrait renommer cette dernière “la cité des statues”. Courant juillet, elle a effectivement accueilli, le temps d’un week-end, un festival de rue original et féerique, à savoir le plus grand rassemblement de statues vivantes en Europe. Plus de 100 artistes étaient présents, et l’événement fut un succès. Autant d’initiatives qui témoignent de l’attractivité de la ville.

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Car si Marche-en-Famenne jouit d’une situation idéale par rapport aux grands noeuds de communication (elle est située à seulement 30 minutes de Namur et à 40 minutes de Liège), elle est également appréciée pour toutes ces initiatives qui font la différence en terre luxembourgeoise, telles que sa rénovation urbaine, ses infrastructures collectives (écoles, hôpital, structures sportives et culturelles, etc.), son offre commerciale et son parc d’activités économiques.

Pourtant, la démographie de la ville stagne depuis plusieurs années. La demande en logements y est importante, mais l’offre insuffisante. Résultat ? Une augmentation du prix des terrains et des maisons, et une fuite des candidats acquéreurs vers les villages et les communes limitrophes, où les prix de l’immobilier sont plus intéressants. ” C’est effectivement un de nos soucis actuels. On n’arrête pas de construire mais la population stagne, constate Bertrand Lavis, architecte du paysage et chef du département Urbanisme de Marche-en-Famenne. D’une part, la composition des ménages a fortement changé, les ménages monoparentaux sont de plus en plus courants, ce qui implique de multiplier le nombre de logements pour le même nombre d’habitants. D’autre part, les terrains ne sont pas bon marché et beaucoup préfèrent s’installer plus loin, dans les villages. ”

Une petite bulle sur Marche

Marche-en-Famenne se positionne dans le top 6 provincial, derrière les indétrônables communes proches de la frontière belgo-luxembourgeoise, traditionnellement les plus onéreuses. Le prix médian d’une maison s’y établit désormais à 207.500 euros, soit une hausse de 15% sur six mois et de 13% sur cinq ans, selon les chiffres de la Fédération royale du notariat belge. Pour s’offrir une construction neuve, le budget sera plus conséquent. ” Pour le moment, une sorte de bulle immobilière est en train de se former, poursuit Bertrand Lavis. Beaucoup de promoteurs privés investissent à Marche en raison de son attractivité, ils rachètent des terrains en zones d’habitat et y construisent des appartements qui sont souvent vendus entre 2.500 et 2.800 euros/m2, voire plus. Débourser 280.000 euros pour un appartement deux chambres de 100 m2, c’est trop pour de nombreux jeunes couples. Ce sont donc surtout des personnes âgées qui achètent, ne pouvant plus entretenir leur villa quatre façades avec jardin, ou des investisseurs privés. ”

C’est donc attiré par la promesse de prix attractifs plutôt que par l’envie et le besoin de vivre au vert que l’on s’installe au-delà de la ville. Car à Marche, ” on est déjà au milieu de beaucoup de vert, sourit Philippe Peret, architecte communal et chef de division Aménagement du territoire de Marche-en-Famenne. Mais ce n’est pas toujours un bon calcul, car s’installer dans un coin plus reculé signifie souvent acquérir une deuxième voiture au sein du ménage. Un coût financier certain auquel il faut ajouter le temps perdu dans les déplacements. ”

Mobilité douce avant tout

Un exode que tentent de juguler les autorités en place, bien décidées à mettre un terme au report de l’attractivité de Marche sur les communes voisines. Pour ce faire, elles continuent d’investir dans son aménagement urbain et entendent faciliter la mobilité douce. ” Dans nos aménagements, deux paramètres tiennent le haut du pavé, explique Philippe Peret. Nous prenons toujours en compte le piéton et évitons le ‘tout à la voiture’. Si des parkings sont nécessaires, on pensera à des jardins parkings. Ensuite, nous tenons compte du réchauffement climatique. L’idée est de planter le plus possible pour faire de l’ombre, pour que ce soit viable. ”

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La rénovation urbaine entamée dans les années 1980 a été réfléchie pour ramener l’espace urbain aux habitants. ” Le piétonnier du centre-ville remonte à 1988, indique l’architecte communal. Si on devait le refaire aujourd’hui, il serait sans doute différent. Mais ce qui comptait, c’était de commencer. ” Aujourd’hui, Marche entre dans sa deuxième phase de rénovation urbaine. Des liaisons piétonnes et cyclo-piétonnes vont être aménagées pour relier les quartiers entre eux. ” On amplifie les venelles existantes, on en recrée d’autres afin d’éviter les voitures. On envisage un maillage le plus piéton possible. L’idée est, par exemple, de relier le boulevard urbain avec la Vieille Route de Liège par l’arrière pour que les gens puissent aller au Carrefour à pied. ” Les autorités communales entendent assurer une liaison ” douce “, agréable et sécurisée, entre le centre-ville et le Wallonie Expo (Wex), ” et bientôt le Wex 2 “. ” Une nouvelle zone d’activité économique, qui double le Wex, vient d’être acceptée et va être développée, indique Philippe Peret. Le but est, dans le futur, de permettre une fluidité entre cette zone et le centre-ville pour que les gens puissent aller travailler à pied ou à vélo. ” Et le responsable de préciser que ” le développement de Marche n’est pas un miracle qui est arrivé du jour au lendemain “, la stabilité politique y étant pour beaucoup. ” La réflexion de l’aménagement de Marche remonte à la fin des années 1960. C’est la même majorité politique qui suit le développement de Marche depuis lors. Une force… ”

Résorber le retard

Développement des infrastructures et amélioration de l’aménagement urbain vont de pair avec une politique immobilière active et un renforcement de l’offre de logements. ” Il faut continuer à résorber notre retard en termes de logements et mettre en place une politique vraiment dynamique pour éviter cette perte d’habitants, confirme André Bouchat (cdH), bourgmestre de Marche depuis 1986. C’est vital. ” ” Depuis 20-25 ans, l’administration mène effectivement une politique afin d’attirer les grandes enseignes commerciales et les promoteurs privés, confirme de son côté Olivier Spronck, directeur développement chez Houyoux Constructions. Nous sommes Marchois et la commune est une priorité. Nous n’y laissons pas passer des terrains intéressants. ” Et de fait, le nombre de commercialisations de logements neufs est en hausse à Marche, où il devient difficile de construire autre chose que des immeubles d’une certaine hauteur. Pour sa part, Houyoux Constructions développe actuellement trois projets sur la commune. Outre City View, un immeuble de 17 appartements et deux commerces en cours de construction le long du boulevard urbain, et des Remparts, un ensemble de 10 appartements en plein coeur de la ville et en bordure de la Marchette, le développeur s’attelle à un projet de plus grande envergure. L’écoquartier Central Park, actuellement en phase de commercialisation (les travaux ont débuté récemment), regroupera une centaine d’appartements de standing, au centre-ville, implantés au coeur de larges zones de verdure, agrémentées d’allées pédestres.

Un coin de nature

” La verdurisation est un élément important de notre politique, poursuit Olivier Spronck. Nous n’hésitons pas à acquérir des parcs existants dans lesquels nous nous intégrons. Comme nous travaillons surtout en centre urbain, nous tentons au maximum d’y ramener de la verdure. C’est ce que les gens veulent. Nous travaillons dans la même optique que la nature environnante, en plantant les mêmes espèces par exemple. ” Houyoux Constructions propose des projets de standing ” avec des finitions de qualité et des techniques de construction supérieures. Nous nous repositionnons aussi en matière d’architecture, précise le directeur développement. Nous proposons quelque chose de différent. Nous sommes aussi poussés en cela par l’administration de Marche. ” Celle-ci prône la diversité et la qualité en matière architecturale. Parmi les autres projets immobiliers actuellement en cours de commercialisation dans la commune, citons la Résidence Bastogne (17 unités de 1 à 3 chambres) et la Résidence Luxembourg sur les routes éponymes, développés par Atland.

C’est attiré par la promesse de prix attractifs plutôt que par l’envie et le besoin de vivre au vert que l’on s’installe au-delà de la ville.

Rapprocher résidence et lieu de travail

” L’idée est de développer des projets immobiliers petit à petit “, précise André Bouchat. Un Quartier Nouveau de 95 hectares – Marche est l’un des trois villes luxembourgeoises à faire partie avec Bastogne et Arlon des 10 quartiers nouveaux poussés par la Région wallonne – est appelé à être complètement aménagé d’ici 2050. Cette zone est située entre le contournement nord (pris comme limite de l’urbanisation), la nationale 4 et la rue Victor Libert. Elle sera reliée au centre et au quartier économique du Wex par des voies cyclo-piétonnes. L’idée est d’urbaniser en rapprochant le lieu de résidence du lieu de travail. Car aujourd’hui, Marche-en-Famenne est une grande pourvoyeuse de jobs, ce qui ne profite pourtant pas à sa démographie et son marché immobilier. ” Aujourd’hui, Marche c’est 13.000 emplois pour seulement 17.500 habitants, et une zone d’achalandage estimée entre 80.000 et 100.000 habitants “, souligne Philippe Peret.

A terme, le Quartier Nouveau accueillera 1.000 nouveaux logements, pour un total de 3.000 habitants. L’objectif est d’offrir une mixité de logements, abordables et moyen de gamme. Tout est encore à faire, même si plusieurs projets sont déjà dans les cartons. Le quartier de La Fourche, construit dans les années 1970 et qui abrite actuellement des logements sociaux, va être complètement reconstruit.

Quartier de La Fourche
Quartier de La Fourche© Debby Termonia

” La qualité de construction de ces bâtisses est désastreuse, reconnaît Philippe Peret. Ces maisonnettes sont impossibles à rénover. Une catastrophe au niveau énergétique. Certains locataires sociaux ont plus de dépenses en chauffage qu’en frais de location. ” Les immeubles actuels sont des rez-de-chaussée et mangent énormément de terrain. ” Il faudrait au moins des immeubles avec un étage ou deux pour densifier “, poursuit l’architecte. La cité sociale sera réhabilitée pour y accueillir ensuite une mixité de logements et de fonctions. ” Le concept de ce quartier était pourtant intéressant, avec des petits jardins à l’arrière des maisons, précise Bertrand Lavis. Le réseau de rues qui le constitue devrait être conservé. L’idée est de s’accrocher à cette structure centrale et de développer un quartier autour. On garderait le maximum, car le quartier est très vert et agréable. ” A proximité de ce quartier voué à la démolition, l’écoquartier Saint-Martin, développé par Silicone Marche-Artau, proposera des maisons unifamiliales et des appartements. La société Immolux, pour sa part, débutera les travaux courant 2020 sur le site de l’ancienne miroiterie Hanin, pour y déployer 120 logements, des surfaces commerciales et des bureaux.

Rénovation urbaine et rurale

Si les édiles communaux apportent beaucoup d’attention à Marche, ils n’en abandonnent pas pour autant les villages de l’entité. ” Nous avons aussi une politique de rénovation rurale, avec de beaux projets porteurs, insiste Philippe Peret. A Marloie, par exemple, village qui se développe en raison de sa gare située sur la ligne Bruxelles-Luxembourg, une ferme classée vient d’être restaurée pour devenir le centre culturel du village. Et on y refait les voiries. ” Dans les villages, l’objectif est surtout d’essayer de retrouver des centres de convivialité. ” A Aye, nous sommes propriétaires d’un beau bâtiment qui a abrité une école et nous y avons aménagé du logement et une salle publique. ” Toujours à Aye, l’administration vient de racheter un petit manoir pour y faire une crèche.

Et si la construction de villas quatre façades est révolue en milieu urbain, elle se fait également désormais plutôt rare dans l’espace rural. Aujourd’hui, on essaie avant tout de retrouver une typologie villageoise avec une place publique centrale et de créer un climat agréable. En ville comme dans les villages. ” A Roy ou Hollogne, par exemple, les promoteurs privés développent des projets privilégiant les maisons mitoyennes, au lieu d’avoir des maisons réparties ‘plic ploc’ le long des routes comme c’était le cas dans les années 1970-1980. ”

Anne-Sophie Chevalier

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