” Le coronavirus, cet accélérateur majeur de la transformation numérique “

La communication entre employés ne constitue qu'une petite partie d'un fonctionnement (numérisé) à distance de l'entreprise. © GETTY IMAGES

Alors qu’elles passent progressivement à la phase de déconfinement, les entreprises sortent de nombreuses semaines de télétravail ou de travail modifié, assuré par les outils du numérique : vidéoconférence, accès à distance, outils collaboratifs. Dire qu’elles se sont ruées sur le numérique est une lapalissade. Mais à quoi correspond cette ruée vers le digital et peut-elle perdurer ? A quelles conditions ? Rencontre avec le big boss d’IBM en Belgique.

Qui a le plus oeuvré pour la transformation digitale de votre entreprise ? Le CEO ? Le CIO ? Ou… le Covid-19 ? Ce choix multiple humoristique a fait le tour du Net ces dernières semaines. Au-delà de la boutade qui arrache un sourire aux plus initiés du secteur numérique, ce choix multiple met surtout le doigt sur une certaine réalité : l’explosion du numérique dans le business. Devenus une nécessité, les outils digitaux sont en effet venus au secours de la continuité des entreprises.

Jacques Platieau a pu le constater. Country manager d’IBM Belgium depuis plus de 10 ans, il est aux premières loges pour observer cette évolution. ” La transformation digitale est déjà à l’oeuvre depuis quelque temps, observe-t-il. Et l’on a connu une accélération déjà l’année passée. Mais évidemment, la crise actuelle pousse les responsables d’entreprises à une prise de conscience radicale. Le coronavirus constitue un accélérateur majeur. Les entreprises réalisent à quel point le digital est devenu essentiel. ” Le confinement soudain, annoncé le 12 mars, a, en effet, imposé le télétravail à pas mal de sociétés. Un défi en soi quand on sait qu’avant la crise, 17% des salariés belges travaillaient régulièrement à distance… avec une majorité ne dépassant pas un jour par semaine. Mais le confinement a forcé les responsables d’entreprise, même les plus récalcitrants, à l’adopter. Pas le choix : il en allait de la continuité des activités.

Explosion de la communication à distance

Inutile de préciser que les entreprises se sont tournées, quand c’était possible, vers des outils numériques de communication. Le nombre d’utilisateurs sur Skype, Slack, Zoom et autres Teams, a explosé. La société américaine Zoom qui propose de la vidéoconférence aurait, par exemple, enregistré 600.000 nouveaux inscrits à travers le monde rien que le 15 mars. En une seule journée !

Reste que derrière l’apparente explosion digitale se cachent différentes réalités. ” Du jour au lendemain, les collaborateurs de nombreuses entreprises sont restés coincés chez eux, insiste Jacques Platieau. Concrètement, cela signifie que ce n’est plus l’employé qui va au travail, mais l’inverse : le travail doit être disponible pour l’employé, chez lui. Et c’est aussi vrai pour les fournisseurs, les clients et les prospects. ” Pas forcément une mince affaire pour l’ensemble des sociétés. ” Dire que tout le monde commence à utiliser Zoom, Webex, etc., est une chose, analyse le responsable d’IBM. Mais la réalité, c’est qu’il faut posséder le matériel qui supporte ces applications de conférence à distance, qu’il faut de la bande passante ou encore des systèmes de partage de documents. ” Permettre aux employés de se parler, c’est bien. Leur donner accès aux documents et informations de l’entreprise, c’est mieux. Pour certaines entreprises, tout cela ne coulait pas de source : pas de PC portables, des employés sans connexion internet à la maison, etc.

Process et ” core business ” à digitaliser

La communication entre employés ne constitue, par ailleurs, qu’une petite partie d’un fonctionnement (numérisé) à distance de l’entreprise. ” Ces applications ne sont pas intégrées au core business de entreprises, comme peuvent l’être des systèmes de facturation, de process, de production, etc., enchaîne Jacques Platieau. Une messagerie, c’est simple. Mais une infrastructure IT qui tienne compte de toutes les spécificités de l’activité de l’entreprise, c’est bien plus compliqué, évidemment. ” Or, derrière les bons élèves qui ont compris tous les avantages qu’ils peuvent tirer de la digitalisation, il y a toutes les entreprises qui en ont conscience mais qui n’ont pas encore pris de mesures efficaces et, enfin, toutes celles qui n’ont pas encore saisi les enjeux du numérique ou ne les ont pas imaginés dans leur propre activité.

Jacques Platieau,
Jacques Platieau, ” country general manager ” d’IBM Belgique ” La situation actuelle impose une prise de conscience radicale. Et l’effet va rester car, nous le voyons, nos clients réalisent à quel point un monde digital est essentiel. “© PG

Plongée dans la crise, la deuxième catégorie d’entreprises se manifeste désormais. ” Pas mal de sociétés veulent faire face, grâce au numérique, à des problématiques qu’elles rencontrent dans l’immédiat, continue le patron d’IBM en Belgique. Bien sûr, assurer la migration de toutes leurs opérations vers le numérique ne se fait pas du jour au lendemain. Mais certaines actions ponctuelles peuvent être mises en place assez facilement. Pour les entreprises qui, en cette période de confinement, sont noyées d’appels, par exemple, nous avons pu mettre en place des systèmes de chatbot. Mais c’est vrai que beaucoup de questions tournent autour de la réduction des coûts. Même si on peut faire pas mal de choses, cela nécessite le plus souvent une mise en place et ce n’est pas immédiat. Toutefois, quand on arrive à ce type de discussion, c’est que les chefs d’entreprise ont pris conscience de la nécessité d’embrasser le numérique. Et cela mène généralement à la mise en place de solutions. ”

La grande question consiste, bien sûr, à savoir si l’attrait actuel pour le numérique, rendu indispensable par la situation de crise du Covid-19, perdurera une fois le retour à la normale. Pour le patron d’IBM, cela ne fait aucun doute. ” La situation actuelle impose une prise de conscience radicale, prédit Jacques Platieau. Et l’effet va rester car, nous le voyons, nos clients réalisent à quel point un monde digital est essentiel. Je pense qu’on assistera à une accélération de la transformation numérique parce que beaucoup vont vouloir être prêts à faire face à une deuxième crise du genre. Et nombreux sont ceux qui prennent aussi conscience de la nécessité de se protéger contre les attaques extérieures. ” Et de prédire une grosse activité pour toute l’industrie de la transformation numérique dans les mois (et années ? ) qui viennent.

Question d’organisation

Reste que le Covid-19 ne suffira pas, à lui seul, pour pousser (et, surtout, faire réussir) le virage numérique des entreprises. Il est, en effet, bon de rappeler que la digitalisation de nos sociétés ne se limite pas à la mise en place d’outils. ” La difficulté n’est pas le hardware ou les infrastructures IT, souligne Jacques Platieau. Même complexes, ces composantes se gèrent et se règlent. Mais elles s’accompagnent d’une remise en question inévitable en matière de process et au niveau organisationnel. Ces changements doivent s’accompagner d’un changement de mentalité en interne. Et le CEO doit, bien sûr, être conscient de cette évolution, et en faire une priorité à imposer à l’organisation. ”

Quatre indicateurs de maturité numérique

De manière régulière, l’Agence du numérique publie un ” baromètre de maturité numérique ” des entreprises en Région wallonne. Une manière d’observer à quel point nos sociétés adoptent les solutions digitales. Outre les chiffres qu’il dévoile, ce baromètre affiche un autre intérêt : ses indicateurs de mesure qui peuvent permettre de voir les différentes réalités de la digitalisation d’une entreprise. Voici les quatre familles d’indicateurs de ce baromètre. Eclairant…

1. Les équipements et infrastructures numériques, bien sûr : PC, smartphones, tablettes, accès internet (en 2018, 91% des entreprises ” seulement ” étaient connectées), site internet. Sans oublier les technologies de pointe ou émergentes (impression 3D, capteurs, etc.)

2. L’organisation du travail qui regroupe à la fois l’adoption du télétravail, l’aspect nomade des travailleurs (ont-ils des accès à distance et du matériel adéquat ? ) et les outils permettant de le faire.

3. L’automatisation des “process”. Cet indicateur reprend à la fois l’envoi de factures électroniques, la réalisation des déclarations (TVA, etc.) de manière électronique, la participation en ligne à des appels d’offre mais aussi l’utilisation des logiciels métiers (ERP, CRM, etc.).

4. La numérisation de la stratégie d’entreprise qui englobe tout à la fois l’usage du marketing digital, le développement du commerce électronique, etc.

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