Avec l’intime “Oh, Canada”, son 19e ouvrage, Russell Banks a rarement été aussi personnel et touchant. Philippe Manche
La récente pandémie a été salvatrice pour l’auteur d’Affliction et d’American Darling. Dans l’impossibilité de voyager, Russell Banks s’est enfermé dans le bureau de sa maison d’un hameau du nord-est de l’Etat de New Y ork pour réguler sa vie et livrer un poignant Oh, Canada. Est-ce le temps qui passe? Le décès de plusieurs de ses amis? Sans doute un peu tout cela à la fois, tant ce dernier roman sombre, déchirant et douloureux est hanté par l’agonie et la mort.
Leonard Fife, cinéaste engagé de 75 ans, est rongé par la maladie. Il sait qu’il n’en a plus que pour quelques semaines et accepte néanmoins d’être interviewé chez lui à Montréal sur sa vie et son oeuvre par un de ses anciens élèves. Fife fait partie de ces 60.000 Américains qui ont quitté leur terre natale pour le Canada à la fin des années 1960 “pour éviter que le gouvernement des Etats-Unis ne les envoie tuer ou se faire tuer au Viêtnam”.
Mais pour l’instant, Fife déguste et rien ne nous est épargné dans sa déchéance physique, ni la colère, ni les odeurs… Directif, désagréable et parfois franchement odieux, il fixe ses propres règles à la petite équipe venue recueillir son testament. Quant aux entretiens, ils prennent une tournure totalement inattendue lorsque Fife révèle un passé moins glorieux que son image publique de documentariste de gauche intègre et entier.
C’est tout l’art de Banks de nous interroger sur le besoin et la nécessité de faire la paix avec son passé la veille du grand saut. Entre honte et culpabilité, il joue au chat et à la souris, évoquant en outre via son personnage l’impact majeur qu’eurent sur lui Jack Kerouac, Bob Dylan, Joan Baez, Coppola… Oh, Canada aurait pu tout aussi bien s’intituler Mon autobiographie telle que je m’en souviens, il n’en reste pas moins marqué d’une profonde humanité.
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