La valse des dollars

David Bowie fut l'un des plus malins parmi les précurseurs monétaires du rock. © Belgaimage

Comme Neil Young ou Stevie Nicks, Bob Dylan a récemment vendu son catalogue de chansons. Pour plusieurs centaines de millions de dollars. Des opérations gagnant-gagnant tant pour les vendeurs que pour les acheteurs.

Début décembre, la presse américaine annonçait que Bob Dylan (80 ans en mai prochain) avait vendu l’intégralité de son back catalogue à Universal Music Publishing pour une somme estimée entre 300 et 500 millions de dollars, selon le New York Times. Soit un peu plus de 600 chansons signées par le plus fameux auteur-compositeur-interprète de la planète qui a à son actif des classiques tels que Like A Rolling Stone, Blowin’ In The Wind et le bien nommé The Times They Are A-Changin’. A titre de comparaison, le tout premier deal d’édition du même Dylan au début des années 1960 (avec Leeds Music Publishing) était nettement moins faramineux: 100 dollars d’avance sur les futures royalties.

On assiste à un jeu de dominos financier où les investisseurs en centaines de millions de dollars peuvent bénéficier du temps qui court.

Avant de signer ce contrat avec Universal, Bob Dylan était déjà richissime, sa fortune étant estimée à 350 millions de dollars. Contrairement à nombre d’auteurs, Dylan a toujours conservé la main sur ses morceaux. Et n’a jamais renaclé à les céder pour une exploitation commerciale. Sa plus fameuse protest song, The Times They Are A-Changin’, servit par exemple de bande-son à une pub pour une banque canadienne en 1996. D’autres de ses titres furent utilisés dans des réclames pour Cadillac, Pepsi, IBM ou Apple, des entreprises pas vraiment proches de l’idéologie dylanesque. Il a aussi lancé sa propre marque de whisky, Heaven’s Door, label inspiré de son tube Knocking On Heavens Door.

Tout aussi récemment, Neil Young, 75 ans, a annoncé avoir cédé pour un joli chèque de 150 millions de dollars la moitié de son abondant catalogue (1.000 titres) au fonds d’investissement Hipgnosis Songs Fund, spécialisé dans le placement de chansons dans les pubs, films et autres marchés mangeurs de musique, streaming inclus. Pas mal pour le Canadien prolifique (une quarantaine d’albums studios à son actif ) qui chantait en 1988 : ” Ain’t singin’ for Pepsi/Ain’t singin’ for Coke/ I don’t sing for nobody (…) Don’t need no cash/Don’t want no money”, et dénonçait volontiers le “grand capitalisme” , notamment dans les neuf titres de The Monsanto Years, paru en 2015.

Aujourd’hui, avec la dilution du sens des chansons possiblement utilisables dans n’importe quelle pub pour une voiture ou un parfum, la question du cynisme est largement posée… Si l’on comprend l’intérêt des artistes, qui ne sont plus de prime jeunesse, à toucher en une fois une énorme manne de cash, quel est celui de fonds d’investissement comme Hipgnosis Songs Fund qui, en 2020, a aussi investi 670 millions de dollars dans plus de 40.000 chansons de Blondie ou des Pretenders? Ou de l’éditeur Primary Wave Music, qui a dépensé 100 millions de dollars dans l’acquisition de 80% du catalogue de Stevie Nicks, la chanteuse de Fleetwood Mac menant également une carrière solo à succès?

Neil Young          a annoncé avoir cédé pour un joli chèque de 150 millions de dollars la moitié de son abondant catalogue à Hipgnosis Songs Fund.
Neil Young a annoncé avoir cédé pour un joli chèque de 150 millions de dollars la moitié de son abondant catalogue à Hipgnosis Songs Fund.© reuters

40.000 dollars pour Elvis

Michel Lambot codirige Strictly Confidential , l’un des principaux éditeurs de musique en Belgique, titulaire d’un catalogue de 500.000 titres, dont ceux de Neil Young pour notre territoire. “Pour expliciter l’intérêt de ces sociétés de racheter des catalogues à de tels montants, explique-t-il, il faut peut-être une métaphore. Considérons le domaine de la propriété intellectuelle comme si c’était un placement immobilier. J’achète une maison pour 10 millions d’euros. Je peux soit rembourser le capital en 30 ans, soit, comme cela se fait au Japon ou en Grande- Bretagne, ne rembourser que les intérêts tandis que le capital est hypothéqué. Comme les back catalogues de ces superstars ont un gros potentiel de croissance, Hipgnosis ou Primary Wave savent que s’ils versent 10 millions à un artiste aujourd’hui, cela en vaudra sans doute 12 dans cinq ans. Ceux qui remboursent l’achat au final, ce sont tous les utilisateurs de la musique de l’artiste. Il faut bien comprendre que le business actuel fonctionne comme de la poussière d’étoiles, des poussières de centimes: à l’exploitation des titres dans les pubs, films et autres, s’ajoute le streaming. Et c’est tout cela, additionné, qui rapporte de l’argent à ces hedge funds.

Jeu de dominos financier où les investisseurs en centaines de millions de dollars peuvent bénéficier du temps qui court. Une vieille histoire d’investissement dans le business musical qui remonte sans doute à Elvis Presley. A l’automne 1955, Sam Phillips, le propriétaire de Sun Records, petit label indépendant de Memphis, ayant signé le futur King, revend les droits de ses enregistrements à la géante compagnie RCA. Pour 40.000 dollars, somme plus que coquette pour l’époque, que RCA rentabilisera rapidement la première année en vendant plus de 12 millions de singles et près de trois millions d’albums d’Elvis.

De Bowie à Arno

S’il y avait une histoire à écrire des relations entre le rock et la finance, il serait difficile d’oublier Allen Klein et David Bowie. Le premier, un businessman new-yorkais (1931-2009), coche à son palmarès une responsabilité dans la séparation des Beatles (contrairement aux trois autres, Paul McCartney ne voulait pas de lui ) et le kidnapping d’une large partie des chansons des Stones des années 1960. Contrats mal lus par Jagger et compagnie, dédales juridiques, finesses de filou, la succession de Klein est toujours propriétaire de l’édition de dizaines de classiques tels que Satisfaction, Ruby Tuesday et autre Paint It Black.

Tout le monde n’est pas aussi imprudent dans ses signatures et David Bowie fut l’un des plus malins parmi les précurseurs monétaires du rock. En 1997, signant un deal à la fois avec le label EMI et le géant américain de l’assurance, Prudential Financial, le chanteur anglais a engrangé 55 millions de dollars – montant impressionnant à l’époque – avec en bonus, un return annuel sur les ventes du back catalogue. Ce qui lui permit de se débarrasser d’un contrat hyper-contraignant avec son ex-manager Tony DeFries.

Mais que donneraient ces schémas en Belgique, par exemple si Arno voulait vendre son catalogue? ” Il faut être réaliste, Arno n’a pas une notoriété sur le marché international, anglo-saxon, donc pas de reconnaissance en Asie, en Amérique latine, etc., analyse Michel Lambot. Le monde doit découvrir qu’Arno existe. Et puis, contrairement au droit anglo-saxon, le nôtre stipule que le droit d’auteur est inaliénable. ” CQFD.

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