“La période est source de conflits, seul l’humain sera la solution”

© PG

David Blondeel est avocat d’affaires, actif au sein du bureau Centrius à Manage. Il constate les impacts de l’inflation et délivre ses conseils aux lecteurs de “Trends-Tendances”.

TRENDS-TENDANCES. Percevez- vous l’effet de l’inflation?

DAVID BLONDEEL. Nous avons énormément de clients qui éprouvent des difficultés de paiement ou dont les propres clients ont des difficultés à assumer leurs engagements. Ces deux derniers mois ont été très pénibles avec des procès de particuliers contre des entreprises de construction qui tombent en faillite: j’en ai eu six, coup sur coup. Certains perdent toutes les économies d’une vie! Il est arrivé aussi qu’un entrepreneur doivent éponger des pertes parce que ses sous-traitants tombent en faillite. L’augmentation des prix, tous azimuts, complique les choses. Il y a un risque d’effet cascade.

Quels conseils pouvez-vous donner?

Dans les dossiers que je traite, un point central domine: l’impréparation des dossiers. Que ce soit des particuliers qui signent un contrat sans avoir réfléchi ou des entrepreneurs qui valident des contrats soumis par des architectes sans avoir validé les clauses de ceux-ci. Or, il faut anticiper les difficultés éventuelles, rédiger des clauses juridiques pertinentes ou, à tout le moins, savoir ce qu’on veut pour ne pas revenir ensuite sur le contrat. Ce manque de préparation génère des tensions, exacerbées dans le contexte actuel. Au lieu de tenter de dialoguer, on va tout de suite au conflit.

Concrètement, comment mieux se préparer?

Avant de signer un contrat avec un entrepreneur, allez sur Google pour voir s’il y a des critiques sur son travail, étudiez son bilan à la Banque nationale afin de voir si la société a les reins solides. La plupart des gens ne font rien de tout cela et signent à l’aveugle.

Peut-on renégocier facilement un contrat en raison de l’inflation?

C’est très compliqué. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, des réglementations des prix avaient été mises en place. Aujourd’hui, avec la législation européenne, ce n’est plus possible: avec la libre concurrence, les prix sont déterminés par les parties. Il faut prévoir dans le contrat une clause de révision des prix, qui donne la possibilité à un entrepreneur, compte tenu de certaines circonstances objectives, d’augmenter le prix de ses prestations.

Attention: si elle n’a pas été portée à la connaissance de l’autre partie et signée par celle-ci, elle n’existe pas. Il n’est pas question de renvoyer un texte sur internet. Sans cette clause, pas de révision possible. Or, elle est absente dans 80% des cas. Et elle doit en outre répondre à des règles précises régies par la législation: cela ne peut s’appliquer que sur 80% du prix final, chaque paramètre (énergie, matières premières, salaires, etc.) ne peut être appliqué que sur la partie du prix que cela représente, etc.

Pour ceux qui n’ont pas de contrat, à l’heure actuelle, il n’y a pas de miracle. On peut tenter d’invoquer la force majeure, mais cela ne marche pas. Ou la théorie d’imprévision, en vertu de laquelle il est plus difficile de livrer. Mais seule une partie minoritaire de la jurisprudence suit cela.

Les Belges doivent-ils réapprendre à vivre avec l’inflation, après une ère de naïveté?

Absolument. Et pour moi, l’humain va être la solution: il faut revenir au coeur du contrat, un lien entre deux parties qui doivent l’exécuter de bonne foi. Quand les circonstances évoluent, l’entrepreneur doit pouvoir comprendre que c’est difficile pour celui qui a englouti toutes ses économies, et le client doit comprendre que l’entrepreneur doit vivre. Il faut faire preuve de créativité: négocier une autre prestation, changer un matériau… La période actuelle demande moins de naïveté, mais aussi de la bienveillance.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content