” La panique est aussi un virus infectieux “

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Comment la Chine cherche à la fois à confiner le nouveau coronavirus et à relancer les usines impactées par cette crise ? Le représentant de la Chine au Royaume de Belgique s’en explique.

La Chine a pris des mesures drastiques pour éviter la dissémination du nouveau coronavirus en mettant littéralement en quarantaine toute la population de Wuhan, une ville de 11 millions d’habitants d’où est partie l’épidémie, tout en limitant les dégâts pour l’économie.

TRENDS-TENDANCES. Voici quelques semaines qu’un nouveau coronavirus se développe au départ de la province de Hubei, en Chine, que votre pays combat pour en éviter la dissémination. Petite question, en préambule : quel est son nom exact ? On lit en effet plusieurs termes : nouveau coronavirus, 2019-nCoV, SARS – CoV-2…

CAO ZHONGMING. C’est le bon moment pour en parler. Cela fait environ un mois que l’on a eu conscience du développement de cette nouvelle épidémie. Ce nouveau coronavirus peut entraîner une pneumonie. L’OMS (Organisation mondiale de la santé) lui a donné un nom : Covid-19. ” Co ” pour corona, ” vi ” pour virus, ” d ” pour disease et ” 19 ” pour l’année pendant laquelle les premiers signes ont été observés, c’est-à-dire fin 2019. Je pense que c’est le meilleur terme.

C’est peut-être la première fois que vous avez un rôle à jouer dans une crise de ce type, en tant qu’ambassadeur. Quel est votre rôle dans cette situation : informer les autorités belges, la communauté chinoise en Belgique… ?

Il y a des gens qui paient le prix du Covid-19. C’est un défi pour moi de soutenir le gouvernement dans cette lutte contre le virus. Ma fonction se décline en plusieurs aspects : je fournis les dernières informations reçues aux autorités belges, celles de la santé en particulier ; j’ai aussi rendu visite au ministre des Affaires étrangères et de la Défense, à la ministre de la Santé et au président du comité de direction du SPF Affaires étrangères. Nous partageons également nos informations avec les Chinois d’outre-mer. Nous leur demandons de prendre des mesures pour se protéger.

Combien y a-t-il de Chinois en Belgique ?

La communauté est divisée en deux : d’un côté, les expatriés qui travaillent, par exemple, pour des entreprises chinoises qui ont des activités ici, et d’autre part, les Chinois d’outre-mer. Je ne dispose pas de chiffres précis mais nous estimons que cette communauté compte entre 35.000 et 40.000 personnes.

Conseilleriez-vous aux voyageurs, ici en Belgique, de ne pas renoncer à leur voyage en Chine, par exemple pour affaires ?

Pour les indications sur les voyages, le mieux est de suivre les recommandations de l’OMS qui, de manière répétée, conseille de ne pas mettre de restrictions aux voyages et au commerce. D’autre part, les gouvernements diffusent leurs propres conseils de voyage, dans un souci de protéger leur population. Je recommande de suivre aussi ces conseils.

Cela dépend également de la destination précise en Chine. Wuhan est directement concernée par l’épidémie, mais la situation à Pékin et Shanghai est différente.

Si un Belge débarque à Pékin, risque-t-il de devoir passer une quarantaine ?

Les vols vers Pékin sont, à ma connaissance, toujours en service et je n’ai pas entendu parler de quarantaine pour les visiteurs venant de l’étranger.

Percevez-vous une forte crainte vis-à-vis de cette épidémie, en Belgique ?

Non, pas vraiment. Le gouvernement a pris des mesures rationnelles et raisonnables. Le seul cas confirmé a récupéré. Nous conseillons aux Chinois qui reviennent en Belgique de rester en observation à la maison, par précaution, pendant 14 jours. Pour les citoyens belges, il faut demander aux autorités belges ce qu’elles recommandent.

Tous les pays ne prennent pas les mêmes mesures. Les Etats-Unis refusent l’accès du territoire aux non-Américains pour les vols en provenance de Chine ; la Russie a restreint l’accès de son territoire aux Chinois. La Belgique, comme d’autres pays, n’a pas pris ce genre de mesure. Que pensez-vous de ces différentes attitudes ?

Le mieux, je pense, est de suivre les recommandations de l’OMS. Ce sont des professionnels de la santé. Leur métier est de protéger la santé globale. Ils ont établi des bureaux en Chine et envoyé une mission d’experts. Une des priorités, me semble-t-il, est d’éviter la panique car la panique est aussi un virus infectieux qui peut saper les efforts internationaux pour stopper l’épidémie. Couper brutalement les relations, les échanges, n’apporte rien de positif dans ce combat. D’autant que la Chine a pris des mesures vigoureuses pour éviter la dissémination du Covid-19, de manière très responsable. Nous avons limité les déplacements dans l’épicentre de l’épidémie, à Wuhan, et déployé des efforts pour limiter la transmission à d’autres parties du monde.

Nous n’imaginons pas qu’il soit possible d’absorber la capacité de production de la Chine ailleurs qu’en Chine.

Quelle est la stratégie adoptée ? Mettre la région de Wuhan en quarantaine ?

Depuis le 20 janvier, nous avons pris de mesures pour limiter les déplacements et la dissémination du virus en arrêtant, par exemple, les transports en commun.

Quelle est l’importance de Wuhan et de la province de Hubei ?

Hubei est une province au centre de la Chine, dont Wuhan est la capitale. La région est très populaire pour le tourisme. Elle est aussi une base industrielle importante. Hubei produit pour 4.500 milliards de yuans (611 milliards d’euros, Ndlr). Wuhan est aussi un hub de transport, un carrefour ferroviaire important. C’est la seule cité du centre de la Chine reliée par des vols aux cinq continents.

Quel type d’industries sont présentes à Wuhan ?

Il s’agit d’un centre important pour l’industrie automobile. La province est aussi très active dans la chimie et la fabrication de machines.

Beaucoup d’usines, situées hors des zones contaminées, ont beaucoup de mal à redémarrer, faute de personnel suffisant. Apple, qui produit hors de la province d’Hubei, a indiqué que la production repartait plus lentement que prévu. Comment les autorités chinoises gèrent la situation ?

C’est une période critique mais les résultats sont positifs. D’un côté, nous travaillons à éviter la dissémination du virus et de l’autre, à relancer la production. Le gouvernement central a établi un leading group et le conseil d’Etat a mis en place une task force inter-agences. Ces jours-ci, cette dernière a pris des mesures pour relancer la production et éviter que la vie quotidienne ne soit trop affectée dans les zones éloignées du centre de l’épidémie, comme Shanghai ou les régions côtières. Nous souhaitons que la production, qui est souvent à flux tendu, ne soit pas affectée. Cela permettra à des entreprises comme Apple, Tesla ou des sociétés belges de retrouver un rythme de production normal dans les jours à venir.

Craignez-vous que des groupes étrangers produisant en Chine ne soient tentés de répartir leur production sur d’autres pays pour relativiser les effets de ce type de crise ?

Cette crise est, je pense, temporaire. Nous sommes convaincus que nous pourrons la vaincre et que l’économie repartira. Il n’y a, du reste, pas de mouvements majeurs sur les marchés boursiers (cette interview a été réalisée le 19 février, Ndlr). Nous espérons un retour à la situation normale au deuxième trimestre et un rebond au troisième. C’est ce que j’ai entendu d’experts économiques, qui parlent d’une courbe en V : un recul puis un rebond. La Chine conserve ses atouts, sa proximité avec un grand marché, sa bonne infrastructure et son tissu industriel d’un tel niveau qu’il est difficile de le trouver ailleurs. Nous n’imaginons pas qu’il soit possible d’absorber la capacité de production de la Chine ailleurs qu’en Chine. Certains disent que des sociétés reviendront produire aux Etats-Unis à cause de l’épidémie… mais cela ne me paraît pas être la bonne attitude.

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Les autorités chinoises ont pris diverses mesures pour aider leurs entreprises, notamment l’attribution de ” certificats de force majeure “. De quoi s’agit-il ?

C’est une question assez technique et professionnelle. Il s’agit d’une mesure prise par les autorités chinoises pour aider les entreprises à limiter l’impact du Covid-19. Le CCPI (China Council for the Promotion of International Trade) délivre le certificat de force majeure à la demande d’entreprises ou de particuliers. Il s’agit d’une pratique internationale. D’autres pays l’utilisent aussi, dans certaines circonstances, pour contrer les effets négatifs d’événements hors de contrôle afin que les utilisateurs de ces certificats puissent protéger leurs droits. Les certificats permettent, par exemple, d’éviter des pénalités en cas de retard dans la production. La CCPI recommande de tout faire pour maintenir les bonnes relations entre partenaires d’affaires dans l’exécution des clauses de contrats.

Pour revenir à la question de l’épidémie proprement dite, la Chine a connu une crise similaire vers 2003, avec le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), provenant d’un autre coronavirus. Quelles leçons ont été tirées ?

Cela remonte à 17 ans. La situation était très différente. Les circonstances ont changé car nous disposons d’un meilleur système public de soins de santé. Le pays a connu une croissance considérable de sa capacité économique. Parmi les leçons que nous en avons tirées, il y a la mise en oeuvre rapide des ressources nationales. Nous avons ainsi construit deux hôpitaux de 2.600 lits au total en un peu plus de 10 jours. Nous prenons des mesures exhaustives, basées sur un réseau de quartiers résidentiels, pour détecter les cas de maladie le plus tôt possible. Nous agissons de manière transparente et ouverte, nous mettons au courant la communauté internationale sur une base quotidienne, notamment à travers des contacts avec la presse.

Une des premières personnes à avoir détecté le nouveau coronavirus, le docteur Li Wenliang, est décédé récemment. Il avait été arrêté par les autorités locales pour avoir diffusé l’information fin 2019, accusé de diffuser de fausses rumeurs. Etait-ce une erreur ?

Le docteur Li Wenliang n’a pas été arrêté. Il a fait partie des milliers de membres du corps médical qui se sont battus sur le front du Covid-19. Le gouvernement local et les autorités chinoises ont exprimé leurs condoléances à la famille. Le docteur Li Wenliang était l’un des premiers à avoir été en contact avec le virus et ses effets, il a trouvé cela inhabituel et en a parlé autour de lui. Le gouvernement local, de son point de vue, avait besoin de temps pour évaluer la situation. Je pense que nous pouvons arriver à la conclusion que, quand quelque chose de nouveau comme le Covid-19 survient, il est difficile de se montrer parfait.

Pensez-vous que l’accord commercial signé avec les Etats-Unis en janvier, Phase 1, verra son exécution ralentie par la crise du Covid-19 ?

Le président de la République populaire de Chine, Xi Jingping, a eu une conversation téléphonique avec le président américain Donald Trump, concernant l’implé- mentation de la Phase 1. Nous ferons de notre mieux, de notre côté, pour l’implémenter. Bien sûr, nous vivons des temps difficiles… mais nous cherchons à les dépasser pour réussir cet accord. C’est, du reste, la base pour une négociation ultérieure, la Phase 2. La Chine et les Etats-Unis doivent travailler dans la même direction. Donc, nous attendons aussi des Etats-Unis qu’ils déploient aussi des efforts de leur côté. Les mesures prises contre certaines entreprises chinoises, comme Huawei, nous paraissent, dans ce contexte, une pratique inhabituelle qui heurte la confiance dans ces compagnies.

Et l’Europe ? La négociation d’un accord sur les investissements est-elle en bonne route ?

Un 26e round de négociations a eu lieu en janvier. Des progrès ont été enregistrés pour envisager une conclusion cette année. Un nouveau round est prévu en mars. Les parties suivent le développement de l’épidémie du Covid-19 pour voir si la réunion est maintenue ou décalée, mais le rythme global devrait être maintenu.

Profil

Cao Zhongming est né en octobre 1965 à Ningbo, dans la province côtière du Zhejiang (près de Shanghai).

– Master en droit.

– Entre dans la carrière diplomatique en 1989, au département Afrique du ministère des Affaires étrangères. Au cours de sa carrière, il sera notamment ambassadeur au Mali (2011-2014), puis dirigera le département du personnel du ministère.

Ambassadeur de la République populaire de Chine en Belgique depuis septembre 2019.

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