La fin de l’échappée

Quand Romy lui demande : ” Emmène-moi “, son père tourne la clé et prend la route. Rouler l’apaise. C’est tout ce qu’a trouvé son géniteur pour qu’elle n’ait plus d’angoisse. L’adolescente est dépressive, borderline, disent certains. ” Je préfère la qualifier de suicidaire, corrige l’auteur du Silence du moteur, Olivier Lebé, parlant de son héroïne. Parce que ce mot fait partie de la dignité humaine. Elle est totalement en panique devant l’existence. ” Romy se fait du mal. Son père, musicien français expatrié pour suivre sa femme américaine et ambitieuse, sacrifie son quotidien à tenter d’empêcher le masochisme de son enfant. Enfiler les kilomètres sur le freeway californien permet au duo silencieux de retrouver une sérénité, comme dans un road-movie curatif. ” Je ne suis pas séduit par cette esthétique du road-movie west coast, avoue pourtant Olivier Lebé. Au contraire, j’avais envie d’exténuer cette route, de l’épuiser. Reste qu’elle produit, à la fois pour la fille et pour le père, une sorte d’apaisement. Par le mouvement et le déplacement, les deux retrouvent le sentiment de l’existence. ” Echo à l’immensité de la ville, la route – et par métonymie la voiture – permet de s’extraire d’un tissu urbain qu’il est difficile d’appréhender. ” A Los Angeles, on cherche la ville, tant on est obligé de se déplacer tout le temps. Il y a une véritable souffrance de la séparation tant il faut du temps pour parvenir à se croiser. Sur le ‘freeway’, tout le monde est à égalité et dépendant les uns des autres. Quand Romy demande à son père de l’emmener, je crois que c’est ça qu’elle cherche. ”

J’y vais tout de suite. Ne t’inquiète pas, on est là.

Pourtant, dès la lecture du titre de ce deuxième roman d’Olivier Lebé, on devine que la virée va s’interrompre. En bout de route, celle qui mène au coeur des montagnes de Santa Monica, ce père et sa fille vont en effet trouver un havre inattendu, Topanga, qui fournira à Romy un espace de paix. Dans les années 1960, ce canyon attira artistes et hippies qui y établirent une communauté libre et soudée, sorte de république de la création et de l’autogestion. Olivier Lebé y a découvert un lieu aujourd’hui toujours ” préservé “, ” un vortex d’énergie “, ” habité de gens particuliers ” et de figures tutélaires. Dans ce roman, ce n’est pas seulement Romy qui va pouvoir s’y reposer. En y abandonnant quelques temps sa fille, le narrateur en profitera pour se soigner sa propre crise ” en ricochet “, se repenchant sur ce qui ne fonctionne plus dans sa propre existence. Seul, déchargé du rôle de veilleur sur l’autodestruction de sa fille, cet homme repensera aussi ses propres sentiments. Il pourra se défaire de ” l’hypothèque qu’il a prise sur sa vie le jour où elle est née “, écrit Olivier Lebé, père lui-même. ” Quand un enfant naît, on sort de l’insouciance. J’en ai eu un à 44 ans, j’ai attendu le plus longtemps possible. Je suis sorti de l’adolescence le jour où il est arrivé “, ajoute celui qui a trouvé dans sa propre expérience et celles d’autres pères l’aliment émotionnel pour nourrir son livre.

Comme son héros, Olivier Lebé est compositeur. Comme son héros, la musique l’a épuisé. Aux notes, il a soudain préféré les mots. Première étape, Repulse Bay avait reçu en 2013 le Prix du premier roman. ” L’écriture est née du deuil de la musique. Elle m’a quitté ou je l’ai quittée, comme la fin d’une histoire d’amour. Je n’étais plus dans la même passion, dans la même intimité “, reconnaît-il. Dans ce deuxième ouvrage, la musique l’a rattrapé, à en croire la liste des chansons fournie en dernière page pour guider notre lecture. ” J’espère écrire comme la musique sonne, trouver la juste tonalité. C’est une sorte de prélangage pour moi. ” Citant aussi bien Seventeen Seconds de The Cure que Moderato Cantabile de Marguerite Duras dans ses inspirations, Olivier Lebé rythme son ouvrage par de courts paragraphes, interludes profonds servant la musicalité des émotions. Touchante, cette histoire de renaissance et de détachement, se défait des fantasmes et clichés du road trip pour se réfugier avec douceur dans d’autres fantasmes, celui d’un nouveau départ et de la seconde chance.

Olivier Lebé, ” Le silence du moteur “, éditions Allary, 200 pages, 17,90 euros.

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