La chanson de l’immigrant de Mikaël

Tout est parti d’une photo. Une célébrissime photo en noir et blanc d’une dizaine d’ouvriers, les pieds dans le vide, assis sur une poutre et suspendus dans le ciel de New York au 69e étage du Rockefeller Center. La photo en question publiée dans le New York Herald Tribune le 2 octobre 1932, intitulée ” Déjeuner au sommet d’un gratte-ciel “, sert de promotion à celui qui a fait fortune dans le pétrole et qui a construit le fameux building de la Grosse Pomme pendant la Grande Dépression. Pour le dessinateur français installé au Canada depuis une dizaine d’années, c’est la porte d’entrée rêvée pour son diptyque new-yorkais Giant dont le deuxième et ultime volet paraît ces jours-ci.

J’ai croisé dans une rue un type… immense. Une armoire à glace. Le gaillard, fallait voir ça.

” Je souhaitais raconter une histoire qui se passe à New York parce que c’est une ville qui me passionne depuis l’enfance, raconte Mikaël, rencontré à Bruxelles le lendemain du festival d’Angoulême. En retombant par hasard sur la fameuse photo, j’avais de la matière. ” Et pour cause : ” Moi-même étant un immigré français qui vit au Canada depuis 12 ans, même si je n’ai pas immigré à la même époque que Giant, je sais quand même un peu de quoi je parle en termes de reconstruction dans un pays qui n’est pas le mien. Je voulais rendre hommage aux petites mains qui ont construit les villes “.

Dans le premier volume de cette bande dessinée admirablement documentée et portée par un graphisme extrêmement puissant et physique, Mikaël raconte le quotidien de Giant, un solide Irlandais débarqué à New York pour fuir son passé. De fil en aiguille, cet homme secret inspirant crainte et respect, usurpe l’identité d’un ouvrier décédé sur le chantier et entretient une correspondance avec la veuve de ce dernier restée en Irlande avec ses enfants. Derrière cette chronique new-yorkaise qui s’inscrit dans l’esprit de l’Ash Can School, ce mouvement pictural initié par Robert Henri, Mikaël fait écho au monde d’aujourd’hui. ” Les années 1930 sont un bon terreau pour aborder des thèmes contemporains et universaux “, concède le créateur de Promise.

Le graphisme, nous l’évoquions plus haut, ainsi qu’un impeccable sens du cadre, font le reste avec un New York, personnage à part entière du récit. ” Je prends beaucoup de liberté dans mes perspectives, poursuit Mikaël. Tous les traits sont tracés à la main, ils sont vivants. Les perspectives sont tracées au ressenti, je modifie mon point de chute. Je triche un peu. ”

Si le premier tome servait de mise en place et rappelait par son atmosphère poisseuse et sale le Gangs of New York de Martin Scorsese voire The Immigrant de James Gray, cet ultime volet est au plus près de l’humain. ” Je me suis rendu compte que j’avais peut-être été un peu trop dense dans le premier tome, reconnaît l’intéressé. L’enjeu de ce deuxième volet, ce qu’on attend de la petite histoire des personnages principaux qu’on suit, c’est de voir quand Giant va tomber le masque. Et la vraie question c’est de se demander si Giant va sombrer définitivement ou faire le deuil de son lourd passé qu’on découvre progressivement dans le tome 2. ”

Pour information et parce qu’il nous tarde, Giant s’inscrit dans une série de diptyques sur le New York des années 1930 et 1940. Le suivant, s’appellera Boot Black, du nom des cireurs de chaussures à New York et se déroulera entre 1935 et 1945.

Mikaël, ” Giant 2/2 “, éditions Dargaud, 54 pages, 13,99 euros.

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