La ” blockchain ” porterait le coup mortel à la fraude fiscale

Didier Tshidimba, " managing partner " chez Roland Berger " Certaines administrations sont jalouses de leurs prérogatives. Or la 'blockchain' repose au contraire sur la transparence et la décentralisation. " © DANN

Pour les pouvoirs publics, grands consommateurs et producteurs de données, la technologie blockchain pourrait secouer bien des domaines : fiscalité, transport, contrôle du chômage, etc. Les applications potentielles sont légion. Entretien avec Pierre Bastien et Didier Tshidimba, deux responsables du bureau de consultance Roland Berger, lequel vient de publier une étude sur le sujet.

L’administration belge s’intéresse à la blockchain ?

Didier Tshidimba. Oui, mais elle ne l’a pas encore déployée. Pour les services publics, la mise en oeuvre de cette nouvelle technologie peut se heurter à plusieurs obstacles. Obstacles technologiques : les pouvoirs publics aiment utiliser une technologie qui a déjà été éprouvée. Obstacles philosophiques : l’administration est parfois synonyme de concentration de l’information et du pouvoir. Certaines administrations sont jalouses de leurs prérogatives. Or la blockchain repose au contraire sur la transparence et la décentralisation. Ou obstacles financiers : la mise en oeuvre de ces nouvelles applications peut nécessiter un pic d’investissement qui va se révéler rentable à long terme, mais qui, sur le moment, peut dépasser les capacités de financement des pouvoirs publics, lesquels ont généralement comme horizon temporel le temps d’une législature.

Reste que la blockchain pourrait faciliter grandement la tâche de l’Etat dans plusieurs domaines. L’échange d’informations fiscales, par exemple ?

Pierre Bastien. C’est clairement un domaine où la blockchain a du sens. Il n’existe pas aujourd’hui d’agence européenne qui centraliserait les données fiscales des ressortissants de l’Union. Les échanges sont encore organisés de manière bilatérale. Si j’utilise un compte belge pour acheter une maison en France et que je suis résident fiscal allemand, il y a un échange entre la France et la Belgique, puis entre la Belgique et l’Allemagne, mais il y a toutes les chances pour que les informations se perdent en route. Avec la blockchain, ces transactions seraient immédiatement transparentes à toutes les administrations fiscales, belges, françaises, allemandes et permettrait d’améliorer l’efficacité de la lutte contre l’évasion fiscale.

Autre domaine qui pourrait être privilégié : le cadastre.

Pierre Bastien. Des applications sont déjà opérationnelles au Kazakhstan, au Ghana ou en Suède. Le rôle de l’administration cadastrale est de dresser l’inventaire des propriétés, de mettre à jour la description de ces biens et leur légalité et de servir de point de contact aux citoyens qui par exemple veulent connaître le montant de leur revenu cadastral. Grâce à la blockchain, l’enregistrement de ces données pourrait être réalisé directement par les citoyens, qui pourraient avoir accès à l’évolution d’une transaction sur un bien, sa description, réduisant ainsi le travail de l’administration et assurant une traçabilité à l’ensemble des actes. L’administration belge la plus en pointe dans ce domaine est la ville d’Anvers, qui a mis en place un piloteblockchain dans un domaine proche : la gestion de son registre de la population.

La blockchain pourrait aussi aider le Forem ou Actiris ?

Pierre Bastien. Oui. Le contrôle de la disponibilité des chômeurs qui doivent montrer qu’ils répondent aux offres d’emploi qui leur sont proposées, se fait aujourd’hui sur pièce. Un système blockchain reliant l’administration, les entreprises et les citoyens permettrait de vérifier automatiquement les réponses des chômeurs aux offres d’emploi. Et des contrats intelligents pourraient lier le contrôle du versement des indemnités de chômage à ces réponses, permettant aux fonctionnaires de réduire ces tâches de contrôle et de se concentrer sur la réinsertion des chômeurs dans le marché du travail.

Et même modifier la manière de prendre les transports en commun ?

Pierre Bastien. On parle beaucoup d’intermodalité. Mais comment facturer l’utilisation de divers modes de transport (vélo urbain, métro, train, bus) au cours d’un même voyage ? Dans l’idéal, le client devrait pouvoir disposer d’une sorte de pass lui permettant d’utiliser n’importe quel moyen de transport lors d’un voyage. Mais comment répartir les recettes entre la SNCB, De Lijn, Villo ?

Didier Tshidimba Un des grands problèmes est de savoir exactement où le client monte et où il descend. Car dans un système de tarif unique, la longueur des trajets sera un des éléments principaux pour définir la répartition des revenus entre les divers acteurs. Tant que l’on n’aura pas défini les transferts de charges entre différents opérateurs et tant que l’on n’aura pas trouvé un moyen de gérer de manière automatique et rapide cette information sans faire exploser le système, la tarification unique ne sera pas possible. Mais la blockchain, ici aussi, apporte une solution.

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