Métiers en pénurie: l’insupportable paradoxe

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Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Notre pays compte plus de 300.000 demandeurs d’emploi et, pourtant, le nombre de postes vacants ne cesse d’augmenter. Ne faudrait-il pas obliger les bénéficiaires d’allocations sociales à se former à ces métiers en pénurie dont la collectivité a besoin?

Quoi que l’on pense du personnage et de son hyper-présence médiatique, reconnaissons au moins un mérite à Georges-Louis Bouchez: il prend clairement position sur une série de sujets que la classe politique esquive, avec plus ou moins d’habileté, depuis de longues années. Ce fut le cas ces derniers mois avec la question de la neutralité des agents publics (qui embarrasse et divise la plupart des partis) et, plus récemment, avec l’idée d’obliger les chômeurs de longue durée à se former à l’un des 126 métiers en pénurie, sous peine de perdre leur droit aux indemnités.

Les statistiques officielles confirment régulièrement l’ampleur de ce paradoxe, entre d’une part un chômage important (308.000 demandeurs d’emplois indemnisés fin juillet dernier) et, d’autre part, un nombre croissant d’emplois vacants (172.000 au trimestre dernier, le chiffre le plus élevé depuis le lancement de cette enquête de Statbel en 2012). “Est-ce mieux de tomber dans un chômage de longue durée que de se former à un emploi qui n’était peut-être pas l’emploi d’origine ou de rêve? interrogeait récemment Georges-Louis Bouchez dans Le Soir. Travailler, ce n’est pas une sanction.” La coercition peut-elle vraiment activer les vases communicants entre le chômage et les emplois vacants? Pas forcément. Mais en amenant sur la table une proposition lisible et compréhensible par tous, le président du MR pousse ses homologues et les partenaires sociaux à enfin agir avec vigueur pour sortir de cette situation non seulement paradoxale, mais aussi très handicapante pour l’économie du pays.

Avoir un beau diplôme ne doit pas ouvrir le droit de refuser des emplois qui seraient peu valorisés pécuniairement ou socialement.”

Etienne de Callataÿ (Orcadia)

Cela étant, Georges-Louis Bouchez réinvente un peu la roue puisque cette obligation existe déjà pour les demandeurs d’emploi. Celui qui refuse un emploi jugé “convenable” s’expose à une réduction, voire à la suppression de ses allocations. Idem d’ailleurs s’il n’effectue pas suffisamment d’efforts de recherche d’un emploi. Cette politique dite d’activation existe depuis une vingtaine d’années et elle n’a manifestement pas permis de résorber le volume des emplois vacants et de réduire la liste des métiers en pénurie qui reste, grosso modo, la même au fil des ans. Il n’y a donc rien d’inconvenant à imaginer d’autres solutions, dont celle qui consisterait à donner un tour de vis supplémentaire, par exemple en révisant la notion d’emploi convenable afin de rendre le processus plus contraignant. D’autant que, toutes choses restant égales, l’écart entre l’offre et la demande de travail devrait encore croître à l’avenir. “La demande de main-d’oeuvre va augmenter de 0,6% par an dans les prochaines années tandis que l’offre, la disponibilité des travailleurs, va diminuer de 0,1%, souligne Jeroen Franssen, expert du marché du travail chez Agoria. Sans mesures politiques courageuses, nous risquons de nous retrouver face à plus de 500.000 emplois vacants à l’horizon 2030.”

Etienne de Callataÿ
Etienne de Callataÿ© pg/Jean-Luc FlÈmal

Modération patronale

Malgré ces perspectives, le monde patronal reste mesuré quant à l’idée de contraindre, sous la menace d’une perte des allocations voire du revenu d’intégration, les chômeurs de longue durée à se tourner vers les métiers en pénurie. Du bout des lèvres, on glisse que les aides pourraient être “plus conditionnelles” et les sanctions “éventuellement durcies” mais on évite soigneusement de parler d’obligation afin de ne pas braquer le banc syndical. Cette prudence se comprend d’autant plus que la proposition de Georges-Louis Bouchez n’a guère reçu d’écho favorable – c’est un euphémisme – dans le monde politique et qu’elle ne devrait donc pas se concrétiser à brève échéance. Même dans le secteur qui a connu la plus forte progression de vacances d’emplois ces derniers trimestres (horeca), on n’embraie pas. “J’ai besoin de gens motivés, pas de boulets qui ne viennent que parce qu’ils sont contraints”, assène Fabian Hermans, président d’Horeca Bruxelles.

La voie de la contrainte, l’économiste Etienne de Callataÿ (Orcadia Asset Management) encourage toutefois à l’envisager même si elle est, dit-il, “délicate à aborder et très sensible dans l’opinion”. “Je défends cette idée pour une raison éthique, plaide-t-il. Après un certain temps, par exemple deux ans, il ne me paraît pas scandaleux que la collectivité soit en droit de demander aux chômeurs un retour sous la forme d’un travail dans les filières en pénurie ou dans une ASBL qui rend des services à la société. Et cela vaut aussi si vous avez un bac+5. Faire des études supérieures, c’est déjà une chance. Il ne faudrait pas, en plus, que l’obtention d’un diplôme ouvre le droit de refuser des emplois qui seraient peu valorisés pécuniairement ou socialement. J’ai même la conviction que, plus il y aura de bac+5 pour effectuer les ‘sales boulots’, plus on prendra des dispositions pour rendre ces boulots moins sales. Ces personnes ont en effet bien plus de relais et d’influence pour faire bouger les choses que les migrants qui occupent bien souvent ces postes aujourd’hui.” Etienne de Callataÿ précise toutefois que cet emploi “contraint” devrait être organisé de manière suffisamment souple pour permettre à la personne de continuer à rechercher activement un emploi, à se présenter à des rendez-vous en rapport avec sa formation et ses compétences d’origine.

Métiers en pénurie: l'insupportable paradoxe

Mieux payer les métiers en pénurie

Obliger les demandeurs d’emploi de longue durée à se former aux métiers en pénurie n’exonère pas les entreprises d’une interrogation sur les raisons de ces pénuries. “Nous vivons dans une économie de marché qui reconnaît le principe d’un prix qui équilibre l’offre et la demande, poursuit le chief economist d’Orcadia Asset Management. S’il y a pénurie de main-d’oeuvre, c’est qu’il y a déséquilibre. Les prix relatifs doivent alors bouger. Cela implique évidemment les salaires mais aussi les conditions de travail et tout ce qui peut contribuer à rendre une fonction attractive. C’est du ressort du monde patronal.”

Sans mesures politiques courageuses, nous risquons de nous retrouver face à plus de 500.000 emplois vacants à l’horizon 2030.”

Jeroen Franssen (Agoria)

L’écart entre l’allocation de chômage moyenne – 1.158 euros (1.388 euros pour un chef de famille) – et le salaire minimum (1.625 euros bruts) est parfois jugé trop faible pour inciter une personne à travailler, surtout si l’emploi implique des frais de déplacement et de garde d’enfant. L’accord social conclu au printemps dernier prévoit de porter le salaire minimum à 1.700 euros l’an prochain et de l’augmenter à nouveau en 2024 et 2026. Et cela pourrait s’accentuer pour les métiers en pénurie puisque le ministre fédéral de l’Emploi Pierre-Yves Dermagne (PS) vient d’annoncer son souhait de voir les salaires revalorisés et les conditions de travail améliorées dans ces métiers en pénurie. Il n’a pas précisé à ce stade la part que les pouvoirs publics pourraient assumer dans une telle évolution.

Coup de pouce fiscal

On s’en doute, du côté des entreprises, on n’a pas très envie d’enclencher des hausses salariales pour enrayer les pénuries de main-d’oeuvre. Une voie intermédiaire consiste alors à réduire la fiscalité pour augmenter les revenus nets des travailleurs (et creuser ainsi l’écart avec les allocations sociales) sans toucher au coût salarial brut. “Ce serait de l’antilibéralisme absolu, objecte Etienne de Callataÿ. Quand il y a un déséquilibre entre l’offre et la demande, ce n’est pas à l’Etat d’assurer un surcoût de rémunération.” “Pourquoi fait-on tout cela? Pour régler l’équation du financement à long terme des allocations de remplacement, renchérit la présidente de la Commission des Affaire sociales et de l’Emploi de la Chambre, Marie-Colline Leroy (Ecolo). Mais si nous relevons le taux d’emploi en définançant la sécurité sociale, nous nous retrouvons avec une autre équation qui ne fonctionnera pas plus. Pour nous, ce n’est pas une solution. Le levier fiscal peut être actionné mais dans le cadre d’une réforme plus large visant à équilibrer autrement la charge fiscale, pour qu’elle repose moins sur le travail.”

Si nous relevons le taux d’emploi en définançant la sécurité sociale, nous nous retrouverons avec une autre équation qui ne fonctionnera pas plus.”

Marie-Colline Leroy (Ecolo)

Une intervention publique semble néanmoins indispensable, au vu d’une caractéristique malheureuse du chômage belge: plus de la moitié des demandeurs d’emploi indemnisés sont au chômage depuis plus de deux ans. Or, les statistiques de l’Onem nous apprennent qu’à peine 3,3% de ces chômeurs de longue durée parviennent à retrouver le chemin de l’emploi (chiffre 2019, année plus “normale” que 2020, où l’on tombe à 2,8%). A l’inverse, durant la première année de chômage, le taux de retour à l’emploi frôle les 20%.

“Ces publics éloignés de l’emploi, si vous leur dites ‘venez vous former’, vous n’aurez personne, constate Raymonde Yerna, administratrice générale de l’IFAPME, l’un des organismes wallons chargés de la formation en alternance. Pour les mobiliser, il faut un déclic et le salaire-poche reste un élément efficace, même s’il n’est pas le seul.” C’est pourquoi le gouvernement wallon envisage de porter de 350 à 2.000 euros la prime pour le chômeur qui achève avec fruit une formation à l’un des métiers en pénurie. Le secteur de la construction – qui pâtit de pénuries dans une kyrielle de métiers – y ajoute même 100 euros pour celle ou celui qui s’engagera dans un contrat en alternance avec l’IFAPME. “A Bruxelles, il existe même des primes rien que pour s’inscrire à Actiris, ajoute Jeroen Franssen. Cela peut sembler étrange, mais c’est utile pour que les services régionaux puissent connaître ces jeunes sans emploi et les coacher pour intégrer le monde du travail.”

L’attractivité n’est pas que financière

Même avec les primes, même avec les hautes perspectives d’emploi, même avec de nombreuses campagnes rappelant que ces métiers, souvent techniques peuvent être très épanouissants et porteurs de sens, des filières peinent toujours à recruter. “Nous avons une hiérarchie mentale idiote qui privilégie encore les fonctions sédentaires, déplore Etienne de Callataÿ. Le travail d’un électricien est pourtant bien plus créatif que celui de la plupart des employés de bureau. L’utilité environnementale de l’ouvrier qui isole une maison dépasse celle du boulot de bien des ingénieurs. Ces métiers méritent vraiment une autre valorisation culturelle.”

“Il faut aussi aller voir ce qui se cache derrière l’intitulé de certaines fonctions, ajoute Raymonde Yerna. Je ne pense pas qu’il soit clair pour tout le monde qu’un technicien en système d’usinage travaille avec des commandes numériques et fabrique par exemple des lentilles oculaires. Quand les jeunes découvrent concrètement les métiers, quand ils ont l’occasion de s’y essayer, un déclic se produit souvent.” A tel point que de plus en plus de jeunes créent leur propre entreprise après leur passage à l’IFAPME. “Nous allons augmenter le nombre de modules de gestion dans nos formations pour leur donner tous les atouts à cette fin”, précise la patronne de cet organisme.

Les métiers en pénurie, tel celui d'électricien, souvent bien plus créatifs que la plupart des emplois de bureau, méritent une autre valorisation culturelle.
Les métiers en pénurie, tel celui d’électricien, souvent bien plus créatifs que la plupart des emplois de bureau, méritent une autre valorisation culturelle.© Getty Images

Jeroen Franssen (Agoria) insiste, lui, sur l’importance de communiquer sur les rôles que les futurs travailleurs vont jouer, sur l’impact de leur métier sur la santé, l’environnement, la lutte contre la pauvreté… “La technologie en tant que telle n’intéresse personne, dit-il. Peu importe le nom des métiers ou des fonctions, il faut parler des projets dans lesquels les jeunes pourront jouer un rôle grâce à leur travail. C’est cela qui va les motiver.” Il est d’ailleurs convaincu que le fonctionnement par projets – une personne pouvant en mener plusieurs de front, le cas échéant pour plusieurs employeurs – gagnera une place grandissante dans le monde du travail.

L’heure de l’alternance

L’expert d’Agoria insiste sur l’accompagnement de ces jeunes, sur la nécessité de prendre le temps de construire des “trajets”, combinant formations et stages en entreprise, pour ramener progressivement les chômeurs de longue durée vers l’emploi. Cela existe à travers la formation en alternance, qui s’effectue largement en entreprise et qui séduit des publics en attente d’apprentissages moins scolaires et plus concrets. Les taux d’insertion à l’issue de ces formations sont énormes (83% pour des jeunes, 90% des adultes et quasiment 100% dans les filières en pénurie à l’IFAPME) mais pourtant, elles peinent à se généraliser comme dans les pays germaniques.

Face à l’ampleur des défis, les choses semblent toutefois bouger. Il y a cette prime du secteur de la construction mais aussi ce partenariat entre Equans (Engie Solutions) et le Forem pour former 60 électriciens-monteurs-câbleurs ou le projet d’Horeca Academy, qui devrait bientôt se mettre en place avec la collaboration des entreprises du secteur. “Ces initiatives ouvrent de nouveaux horizons, se réjouit Marie-Colline Leroy. C’est peut-être l’avantage de cette crise: elle a permis de rappeler qu’on pouvait changer les dynamiques et oser de nouvelles choses.”

Les entreprises qui s’engagent dans des partenariats d’alternance reçoivent une aide pour l’encadrement des stagiaires (à Bruxelles, la prime vient d’être portée de 1.750 à 3.000 euros). “Je suis convaincue que l’entreprise qui investit dans ces formations en sort gagnante, confie Raymonde Yerna. Intégrer des jeunes qui n’ont pas forcément les codes de la vie en entreprise, cela oblige à réfléchir sur son fonctionnement, sur ses processus et, le cas échéant, à les revoir. Les stagiaires arrivent avec un esprit neuf, ils sont souvent plus à l’aise avec le numérique, cela amène de l’innovation dans l’entreprise.”

La généralisation des formations en alternance ne résoudrait cependant pas tout d’un coup de baguette magique. “C’est la meilleure méthode pour répondre à notre problème qualitatif, pour que l’offre et la demande de travail se rencontrent en termes de compétences, estime Jeroen Franssen. En revanche, ce ne sera pas la solution pour notre défi quantitatif. Il faudra aller chercher ailleurs pour les métiers en pénurie.”

Philippe Leroy (CHU Saint-Pierre): “Recruter à l’étranger ne nous aurait jamais traversé l’esprit il y a 10 ans”

Dans un hôpital comme le CHU Saint-Pierre, à Bruxelles, la pénurie d’emploi se fait sentir dans plusieurs domaines: médecins spécialisés (notamment en oncologie et gériatrie en raison du numerus clausus), spécialistes informatiques (mieux rémunérés dans le privé) et surtout infirmiers. “Nous employons environ 2.000 infirmières et infirmiers, explique le directeur général de l’hôpital, Philippe Leroy. Mais la durée des leurs études est passée de trois à quatre ans (en 2016, Ndlr), ce qui signifie que pendant un an, il n’y a presque pas eu de diplômés sur le marché. Cette situation a créé une pénurie dont nous avons commencé à voir les effets récemment. Elle prendra des années à se résorber”.

C’est la principale raison du manque de personnel, mais d’autres éléments jouent aussi, ajoute Philippe Leroy: “Les cadences se sont accélérées alors que les normes d’encadrement du nombre d’infirmiers et infirmières n’ont pas changé pendant des années. Certes, depuis un an, avec la création du fonds fédéral “blouse blanche” (dédié à l’amélioration de l’emploi dans le secteur des soins, Ndlr), c’est en train de bouger. Mais le temps d’hospitalisation des patients s’est raccourci, il y a donc moins de patients ne nécessitant plus qu’une tâche de simple surveillance. Par contre, le volume de travail dans les unités de soins s’est accru, où la charge émotionnelle est forte: il y a beaucoup d’anxiété des patients, il peut avoir de l’irritabilité auprès des visiteurs et du public. Cela explique les burn-out et le nombre de personnes qui quittent la profession et ne font pas de carrière complète”.

“Face à ce problème, il n’y a pas vraiment de solution, poursuit Philippe Leroy. Nous ne pouvons pas remplacer une infirmière ou un infirmier par une personne qui n’aurait pas la qualification. Nous essayons donc de réorganiser nos salles de soins. Nous sommes parfois obligés de fermer temporairement des lits. Nous fonctionnons aussi avec l’intérim, mais la pénurie touche aussi les intérimaires. Et nous allons chercher à l’étranger: au Portugal, au Royaume-Uni, en France, etc. Aller recruter à l’étranger ne nous aurait jamais traversé l’esprit il y a 10 ans. Maintenant, c’est monnaie courante et nous commençons à développer des réseaux, des filières.”

Une éclaircie toutefois, ajoute le directeur de l’hôpital: “il semblerait que la crise du covid et la médiatisation du métier qui l’a accompagnée aurait fortement accru l’intérêt des jeunes pour la profession. Les inscriptions seraient en forte augmentation dans les écoles”.

Métiers en pénurie: l'insupportable paradoxe
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Fabian Hermans (Horeca-Bruxelles): “L’horeca ne sera jamais un métier de 38h/semaine”

L’horeca est le secteur économique où le taux de vacance d’emploi (rapport entre le nombre d’emplois vacants et le volume total d’emplois) connaît la plus forte augmentation et atteint désormais les 10%. L’explication est simple: la longue période de fermeture due au confinement a poussé les travailleurs à se tourner vers des secteurs plus sûrs avec, bien souvent, des conditions de travail plus favorables.

“On croit souvent, à tort, que l’horeca est un métier où l’on peut se former sur le tas, commente Fabian Hermans, président d’Horeca Bruxelles. C’est vrai pour les commis ou les plongeurs, mais ces gens-là, nous les avons. Ce que nous ne trouvons plus, ce sont des chefs de rang, des sous-chefs de cuisine ou même des spécialistes de la communication digitale car durant le covid, nous sommes passés à un horeca 2.0. J’ai besoin de personnel qualifié, pas de coupeurs de carottes.”

Fabian Hermans mise sur de nouveaux programmes de formation, essentiellement en entreprise, pour préparer cette main-d’oeuvre à long terme. Dans l’immédiat, il espère une hausse du volume d’heures supplémentaires défiscalisées (460 au lieu de 360/an) pour rendre le métier financièrement plus attractif et susciter ainsi des vocations. “Nous ne faisons pas un métier à 38h/semaine, nous avons besoin de ces heures supplémentaires, dit-il. Les heures de repas ne vont pas changer, nos journées seront toujours coupées et donc assez lourdes. On peut toujours imaginer d’autres formules mais alors, on opte pour la malbouffe. Je ne défendrai jamais de telles solutions.”

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“Nos artisans ne peuvent partir à la retraite sans avoir transmis leur savoir-faire”

Julie Bajart dirige l’entreprise familiale de construction Bajart SA située dans le Namurois et qui emploie environ 80 personnes. Pour elle, trouver un tailleur de pierre, un charpentier, des plafonneurs pour le stuc ou des menuisiers en restauration n’est pas évident. “Il y a très peu d’offres de formations pour ceux qui veulent se lancer dans ces corps de métier, observe l’administratrice déléguée. Nous réalisons donc depuis plusieurs années ces formations en interne, ce qui demande du temps, de l’encadrement et nécessite un certain coût.”

“Le plus difficile est d’attirer les jeunes, précise-t-elle. La construction est un métier merveilleux, mais le secteur souffre d’une mauvaise image. Celle d’un métier manuel, lourd (même si les moyens de manutention ont nettement évolué en 20 ans), cycliques (avec des périodes de chômage économique), sujet aux intempéries, nécessitant de nombreux déplacements en fonction des localisations des chantiers. Puis, la fiscalité sur les salaires n’est pas attrayante. Et ces cinq dernières années, la main-d’oeuvre étrangère a envahi le secteur, ce qui a aussi poussé les jeunes à aller ailleurs.”

“D’aussi loin que je me souvienne – avant moi l’entreprise était dirigée par mon père et mon grand-père -, nous avons toujours souffert d’une certaine pénurie de main-d’oeuvre. Et cela d’autant plus que notre entreprise est spécialisée dans la restauration de bâtiments classés”, explique Julie Bajart, ajoutant être actuellement à la recherche d’un tailleur de pierre, d’un chef de chantier, d’un conducteur de grue, d’un conducteur de travaux, de charpentiers, de maçons. “Nous recrutons depuis le début de l’année. Ce n’est pas facile à trouver, et nous faisons aujourd’hui plutôt appel à l’intérim.” Mais c’est un pis-aller. “Il serait dommage de laisser partir nos artisans à la retraite sans qu’ils aient pu transmettre leur savoir-faire. C’est pourquoi nous devons recruter absolument”, insiste-t-elle.

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Pierre Dosogne (John Cockerill): “L’approche passive ne suffit plus”

“Dans nos métiers de l’ingénierie, la pénurie de talents se manifeste au niveau des profils mais aussi des compétences, constate Pierre Dosogne, group workforce manager chez John Cockerill, un groupe industriel qui emploie 5.200 personnes dans le monde. Nos métiers changent beaucoup. Nous devons donc sans cesse renouveler les compétences, en interne, mais aussi les trouver à l’extérieur. Nous recherchons des personnes qui pourront répondre aux mutations technologiques de ces prochaines années: l’hydrogène, les véhicules électriques.”

Ainsi, le département énergie durable du groupe est passé de 77 collaborateurs en janvier à 122 aujourd’hui. Et le nombre de recrutements de John Cockerill, sur son site liégeois, peut atteindre 100 à 200 personnes par an.

Pour attirer les talents, le groupe adopte deux approches. “Il y a l’attitude passive qui consiste à offrir une politique salariale flexible ou celle qui correspond aux désirs des talents que nous voulons recruter. Mais passer une annonce ne suffit plus. Le marché est de plus en plus dirigé par les candidats. Les talents, nous devons aussi aller les chercher, leur proposer quelque chose de différenciant, avec un projet, des produits et un esprit spécifique. Nous devons échanger, connaître le parcours des individus. Nous sommes aussi partenaires d’écoles et d’universités et nous leur expliquons nos besoins. Aujourd’hui, par exemple, il est difficile de trouver des acheteurs industriels parce qu’il n’existe pas de formations certifiées. Nous demandons donc aux écoles si elles ont pensé à des formations, si nous pouvons nous y associer.”

Un exemple de cette approche active: “Nous accueillons ce 13 octobre une organisation qui s’appelle Womenpreneur afin de faire découvrir à des jeunes femmes sorties des études ou en recherche d’emploi des métiers pour lesquels elles pourraient avoir des a priori, souligne Caroline Crevecoeur, attachée de presse du groupe. Cette opération est destinée à aider la cause de la femme dans les métiers techniques”.

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