L’homme qui a fait tomber le mur de Berlin était… une femme

Amid Faljaoui Rédacteur en chef de Trends-Tendances

Les hommes d’affaires et les hommes politiques ont au moins un point commun, ils savent que les ” défaites sont orphelines et que les victoires ont cent pères “. La commémoration de la chute du mur de Berlin n’échappe pas à la règle. Les Américains estiment qu’en épuisant les finances de l’URSS avec leur coup de bluff de la ” guerre des étoiles ” consistant à entraîner les Soviétiques dans une course à l’armement qu’ils ne pouvaient pas gagner, Ronald Reagan est le véritable tombeur du bloc de l’Est. Visiblement, les Allemands en doutent et refusent toujours d’ériger à Berlin une statue en l’honneur de l’ancien président républicain. Pour être exact, il en existe tout de même une qui vient d’être inaugurée, mais sur le… balcon de l’ambassade des Etats-Unis, donc en ” territoire américain “.

La date à retenir, ce n’est pas le 9 novembre 1989, mais le 10 juin, lorsque Raïssa Gorbatchev convainquit son époux de ne pas tuer pour sauvegarder le régime en RDA.

A la limite, même les Saoudiens pourraient réclamer une partie des lauriers car, à l’époque, ils se sont mis d’accord avec leurs alliés américains pour faire chuter le prix du pétrole et donc assécher les caisses de l’Etat soviétique. Mais bon, la résilience actuelle de l’Iran montre que ce genre d’explication est souvent un peu court.

Bien entendu, il y a aussi la figure sympathique de Mikhaïl Gorbatchev qui était déjà la mascotte de l’Occident bien avant de faire de la publicité pour les malles Louis Vuitton. En refusant d’intervenir militairement dans les affaires intérieures de l’ex-Allemagne de l’Est, n’est-ce pas lui qui, en quelque sorte, est à l’origine de l’effondrement du Mur ? Pour nous autres occidentaux, sans nul doute. En revanche, et cela a surtout été souligné par l’écrivain Vladimir Fedorovski, en Russie, le nom de Gorbatchev est associé à des mots comme ” traître ” et ” crétin “. La preuve : non seulement une partie de la population demande régulièrement qu’il soit jugé pour trahison, mais aujourd’hui encore, il ne peut se mouvoir dans le pays sans la présence de gardes du corps.

Pire encore, Gorbatchev serait le personnage le plus haï de l’histoire de la Russie : même Staline est plus populaire que lui. La raison de cette haine ? Selon Fedorovski, ses compatriotes pensent que ” les Occidentaux n’ont pas cherché à tuer le communisme mais la Russie. L’émergence de Vladimir Poutine reflète cette frustration qui pousse aussi le pays dans les bras de la Chine “. Ils n’ont pas tort, car chacun sait que Gorbatchev a fait un cadeau inestimable à l’Occident : il a renoncé à ce que le régime tue pour se perpétuer. Ce n’était donc pas une victoire de l’Occident, mais la décision des Soviétiques d’aller vers la paix, précise encore Fedorovski. Et au lieu d’aider ce peuple, l’Occident a décidé de s’inventer un nouvel ennemi, la Russie. Résultat, aujourd’hui, 80% des Russes se disent anti-occidentaux, alors qu’ils étaient à 80% pro-occidentaux avant la chute du Mur.

Pour le reste, Vladimir Fedorovski, un ami des dirigeants de l’époque, nous rappelle que le KGB était au courant de ce qui se tramait en Allemagne de l’Est. Et qu’au cours du mois de juin 1989, la question se posait de savoir s’il fallait ou non réprimer dans le sang la révolution en marche. La discussion s’éternisait sans prise de décision véritable entre les partisans d’une ligne dure et ceux de l’ouverture… Mais Raïssa Gorbatchev aimait que son mari rentre dîner à l’heure et celui-ci y faisait attention.

Le soir du 9 juin, il suspend donc tôt la réunion, donnant rendez-vous à tous le lendemain à 10 h. Et c’est là que Alexandre Iakovlev, présent à cette réunion et l’un des théoriciens de la perestroïka, a une idée de génie : il profite du fait que Mikhaïl Gorbatchev est en chemin vers son domicile pour appeler Raïssa. Après les usages protocolaires, il lui explique que, certes, les Soviétiques ont 500.000 hommes de troupe stationnés en RDA, mais que si on laisse le KGB et l’armée faire le sale boulot, ce seront ces derniers qui prendront le pouvoir. Au mieux, ils finiront par arrêter Gorbatchev, au pire, ils le liquideront. Et aussi, que dans tous les cas, c’en sera fini de la perestroïka.

Le lendemain, le 10 juin 1989, Gorbatchev annonce sa décision de ne pas intervenir militairement et de poursuivre l’ouverture. En quelque sorte, c’est donc une femme qui a fait tomber le mur de Berlin… Et la date à retenir, ce n’est pas le 9 novembre 1989, mais le 10 juin, lorsque Raïssa Gorbatchev convainquit son époux de ne pas tuer pour sauvegarder le régime en RDA.

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