Judas au Paradis

Pour certains, ces temps de confinement ont été des moments de retrouvailles avec leur jardin, seule évasion et unique horizon possible, comme pour Judas, narrateur du récent roman publié par Juan d’Oultremont. Garçonnet né dans les années 1950 qui trouva dans le jardin de la fermette familiale de Woluwe-Saint Lambert – en bordure du Roodebeek -, le terrain de ses premières expérimentations de la vie mais aussi une sécurité bienvenue alors que le monde alentour apparaît menaçant. Surnommé ” Le Paradis “, il évoque chez l’enfant une évidence : ” Le Paradis est indissociablement lié aux risques de catastrophe “. Si le calme règne entre les murs et les haies, la guerre gronde au-delà. Une guerre qui peut être immobilière (les fameux projets Etrimo) ou sanitaire (Judas craint d’être envoyé au sanatorium en raison de son apparence chétive). Sous des airs de livre de souvenirs d’enfance, Judas côté jardin se révèle une composition singulière portant la marque qui l’est tout autant de son auteur, romancier, mais aussi plasticien, enseignant à l’ERG, homme de radio ( Le Jeu des dictionnaires, C’est presque sérieux, etc.).

On peut être un héros sans sortir de chez soi.

Judas d’abord, choix curieux de nommer un petit garçon de ce prénom à la charge biblique pesante s’il n’était ” un exercice systématique ” qu’a Juan d’Oultremont de nommer les héros de ses romans de la sorte. ” J’aime utiliser ce prénom parce qu’il implique d’entrée de jeu une prise de distance pour le lecteur, nous explique l’auteur. Il fixe un certain rapport à la trahison, un thème qui me fascine en tant qu’artiste. J’aime comprendre les faussaires et les traîtres. Ils expriment une sorte de rébellion. De plus, le rapport à l’enfance n’est pas pour moi angélique. Judas, dans le roman, a tout le temps l’impression d’être trahi, et évidemment, il ne pourra que trahir. ” Du récit cruel que pourrait laisser sous-entendre ces propos, les ” aventures ” de Judas dans son jardin se déclinent en bonheurs et malheurs de l’enfance. Paramétré par ses propres angoisses, mais aussi celles de sa mère et de ses grands- parents, le jeune garçon trouve dans les 40 ares bichonnés par son père – même si verger et potager ne donnent pas toujours les résultats escomptés – un refuge, si bien que l’enfant voit en son paternel, une figure messianique, ” Dieu “, la paraphrase religieuse et parodique, trouvant alors une nouvelle occurrence. L’enfance de Judas assez heureuse est ainsi ponctuée de petits traumatismes en lesquels chacun pourra s’identifier. ” Je n’aime que les choses tendues, ajoute Juan d’Oultremont, qui a mis beaucoup de son vécu dans un livre de souvenirs où les références foisonnent mais qui ne se veut pas nostalgique. “Absolument pas. Je suis beaucoup plus attiré par la prospective et les choses que je ne comprends pas. Et les choses, je ne les comprends qu’en les faisant.”

Geste littéraire et plastique à la fois, le livre poursuit la démarche artistique de l’auteur. L’ouvrage décrit une géographie précise d’un lieu précisément circonscrit, notamment par ces petits schémas du jardin annotés en début de chapitre. ” En tant qu’artiste, j’aime inscrire ma pratique dans une topographie qui la rende plus concrète, explique l’auteur. C’est aussi l’idée d’un point de vue qui m’intéresse. Un jeu dans lequel j’espère le lecteur se plonge. ” Ce livre se lit, se regarde, se sent et s’écoute. L’écriture se veut précise, l’auteur dit n’avoir jamais autant sculpté qu’en écrivant cet ouvrage. Au-delà du récit de souvenirs, Judas côté jardin tisse des liens avec notre temps et les angoisses d’un narrateur profondément interpellé par les attentats de Bruxelles, à proximité dudit Paradis. Une nouvelle menace ayant conduit Juan d’Oultremont à partager avec nous ce livre qui goûte l’authenticité autant que la fantaisie.

Juan d’Oultremont, ” Judas côté jardin “, éditions Onlit, 368 pages, 19 euros.

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