Laurent Minguet: “Il ne faut quand même pas sacrifier trop de confort à l’idéologie”

© Hatim Kaghat (Belgaimage)

Passionné par le développement durable, Laurent Minguet est ingénieur de formation et entrepreneur de tempérament. Résultat: ses avis sont nourris d’expérience et appuyés de données concrètes. Souvent tranchés, parfois surprenants.

Le nom de Laurent Minguet reste associé à l’aventure EVS : cette société liégeoise s’est rapidement imposée au niveau mondial dans les ralentis télévisés, à l’occasion des Jeux olympiques comme des compétitions de football. L’intéressé a toutefois changé de cap pour fonder plusieurs entreprises axées sur le développement durable. Solinvest, SPW et Green Invest sont spécialisées dans les installations photovoltaïques, tandis que la société d’engineering Coretec vise la diminution de la facture énergétique. Autre initiative : la centrale à biomasse des Plénesses construite par Enerwood. De son côté, Aubin Holding détient des participations notamment dans les énergies renouvelables.

Joignant lui-même le geste à la parole, Laurent Minguet fut un pionnier de la voiture hybride Toyota Prius, avant de passer à l’électrique Tesla, comme les cadres de son groupe. Son engagement est résolument vert, mais toujours une calculette à la main !

TRENDS-TENDANCES. La voiture électrique est aujourd’hui présentée comme LA solution d’avenir, mais elle représente moins de 2% des ventes en Belgique. La faible autonomie de la plupart des modèles rebute sérieusement !

LAURENT MINGUET. La vérité, c’est qu’une autonomie réelle de 200 km permet de se déplacer en Belgique sans souci. On peut aller de Liège à Gand, recharger là-bas et revenir. L’idéal est de recharger la batterie au travail, pendant la journée, quand le photovoltaïque produit de l’électricité. Souvent, on pourra même l’utiliser durant la soirée, chez soi, car on n’utilise en moyenne qu’un quart de la batterie pour rouler.

Quand on a aboli l’esclavage, on avait probablement déjà compris qu’il n’était pas rentable d’utiliser un être humain pour sa force motrice !

L’automobiliste songe en réalité aux quelques trajets assez longs qu’il réalise, notamment pour aller en vacances…

Avec une autonomie de 200 km, ce serait un peu spartiate, c’est vrai. La Tesla Model 3 arrive toutefois déjà à 350 ou 400 km. Pour rejoindre sa villa en Provence, on mettra au maximum deux heures de plus, pour recharger la batterie. Ce n’est pas du temps perdu : c’est l’occasion de manger, de se reposer, de répondre à ses e-mails… Ces deux heures d’attente, quelques fois sur l’année, ce n’est vraiment pas un gros effort pour sauver la planète ! De toute manière, si on est pressé, il ne faut pas prendre la voiture mais l’avion. Porte à porte, le trajet ne prendra que la moitié du temps et il reviendra souvent moins cher. On peut aussi louer une voiture électrique à grande autonomie spécialement pour les vacances.

La voiture hybride appartiendra dès lors au passé ? Même l’hybride plug-in, c’est-à-dire rechargeable ?

Elle devrait offrir au moins 100 km d’autonomie réelle et je n’en vois guère sur le marché : les modèles plug-in en offrent 50 à peine. Trimballer les deux technologies sur son véhicule, qui est dès lors plus cher, pour aller en Provence ou aux sports d’hiver une fois par an sans s’arrêter, cela n’a de toute manière pas beaucoup de sens…

La voiture partagée, c’est vraiment l’avenir que certains prétendent ?

Oui, pour ceux qui en ont besoin sporadiquement, deux ou trois fois par semaine. Non, pour la plupart des gens qui l’utilisent tous plus ou moins à la même heure, pour se rendre au travail ou pour conduire les enfants à l’école. La voiture partagée est à mon sens une solution pour seulement 10 à 20% des utilisateurs. Peut-être plus si on combine avec le vélo électrique et les transports en commun. De toute manière, il ne faut quand même pas sacrifier trop de confort à l’idéologie. Par ailleurs, l’intendance des voitures partagées n’est pas simple. Ce n’est pour rien que le groupe Bolloré, qui avait déployé 3.000 petites voitures à Paris, a jeté le gant. Or, s’il y a bien une ville qui semble idéale pour ce type d’initiative, c’est Paris ! Alors, chez nous…

Laurent Minguet:
© Hatim Kaghat (Belgaimage)

L’Allemagne a décidé d’investir 2 milliards dans les recherches sur l’hydrogène, comme combustible du futur dans l’industrie. Pas pour la voiture ?

Pour rappel, cet hydrogène n’est pas le carburant de la voiture, qui est électrique. L’hydrogène alimente une pile à combustible qui produit cette électricité et dont le rendement est de l’ordre de 40 % seulement. Or, outre que la technologie n’est pas encore au point, se pose la question de la production de cet hydrogène. S’il provient de gaz, on aura émis du CO2 et ce n’est pas la peine ! Il faut le produire au moyen de panneaux photovoltaïques et d’un électrolyseur. Facile, mais on ne récupérera finalement que 25 % environ de l’énergie initiale. Alors qu’en utilisant directement l’électricité via des batteries, on obtient un rendement de l’ordre de 80 %. On récupère donc trois fois plus d’énergie mécanique au départ de la même quantité d’énergie renouvelable.

L’hydrogène pourrait par contre se profiler dans l’aviation, où le poids des batteries pose le défi qu’on imagine. C’est d’ailleurs le carburant utilisé dans les fusées. Prenons le cas d’un Airbus 320, avion classique emportant 200 passagers. Avec leurs bagages, ces derniers représentent 20 tonnes de charge utile. Tel est également, grosso modo, le poids de l’avion lui-même et celui du carburant logé dans les ailes pour parcourir jusqu’à 5.000 km. Remplacer les 20 tonnes de kérosène par 20 tonnes de batteries permettrait un vol de quelques centaines de km à peine. Impossible. De son côté, l’hydrogène a pour caractéristique d’être, pour un pouvoir énergétique équivalent, trois fois plus léger que le kérosène, mais trois fois plus volumineux. Il faudrait donc développer un type d’avion structurellement différent. Un investissement colossal…

L’énergie renouvelable la plus abondante et la plus prometteuse est celle du soleil ?

Clairement : l’énergie solaire captée par notre planète représente environ 5.000 fois notre consommation ! Le potentiel des zones désertiques ou des toits des maisons est déjà suffisant.

C’est donc la source d’énergie renouvelable la plus évidente, d’autant que c’est aujourd’hui la plus compétitive, ce qui n’était pas le cas il y a 10 ou 15 ans. Même les plus optimistes n’imaginaient pas que le coût chute comme il l’a fait depuis : les panneaux photovoltaïques revenaient à 6 euros le watt voilà 15 ans et on se situe à présent à 22 cents ! Grâce à la production de masse en Asie plutôt qu’à de grandes avancées technologiques. Résultat : le mégawatt-heure (MWh) photovoltaïque coûte entre 15 et 25 euros dans des zones ensoleillées comme le Sénégal ( lire l’encadré ” L’exemple de Cap Skirring “) ou le sud de l’Espagne. Le problème, c’est le stockage pendant la journée pour restituer la nuit : il faut encore compter entre 70 et 80 euros le MWh, ce qui quadruple donc le prix ! On peut espérer que ce coût soit largement divisé par deux d’ici moins de 10 ans. Le photovoltaïque coûterait alors quelque 40 euros le MWh, soit deux fois moins que celui produit par une centrale nucléaire neuve et moins que n’importe quelle centrale fossile. Pour info, les producteurs belges vendent aujourd’hui le MWh au réseau aux environs de 50 euros.

L’énergie solaire captée par notre planète représente environ 5.000 fois notre consommation.

La chute des prix étant derrière nous pour les panneaux photovoltaïques, cet espoir repose sur la baisse attendue du prix des batteries. On relève aujourd’hui un prix de vente de l’ordre de 300 euros pour une pièce stockant un kilowatt-heure (kWh) d’électricité, alors qu’elle contient pour quelque 80 euros de composants. Il est donc raisonnable d’attendre une chute de prix de moitié au minimum.

Le photovoltaïque a également une faiblesse : son intermittence, du moins dans nos contrées…

En faire sa source d’énergie permanente est possible au Sénégal ou au Maroc, mais pas dans nos pays du Nord. En Belgique, le photovoltaïque pose effectivement un problème durant l’hiver ( la production des mois de novembre à janvier ne représente qu’un bon quart de celle d’avril à août, Ndlr) et on n’a pas encore trouvé de solution durable.

D’autant que l’éolien, qui est au contraire plus productif en hiver, est très irrégulier…

Il y a en effet des jours d’hiver sans soleil et sans vent. Statistiquement, les périodes sans vent peuvent durer cinq jours. Pour rester dans l’énergie durable, on peut faire appel à une centrale fonctionnant à la biomasse, mais c’est évidemment beaucoup trop cher pour n’être utilisé que quelques jours par an. On pourrait songer à l’hydroélectricité, à la manière de Coo : l’énergie produite en période d’abondance permet d’envoyer l’eau dans un réservoir situé 150 ou 200 mètres plus haut et, quand on a besoin d’électricité, on la lâche à travers les turbines. Il n’y a toutefois pas énormément de sites possibles en Wallonie et, de toute manière, on ne peut pas exproprier des milliers de gens dans ce but !

Un mot encore du solaire et du potentiel des zones désertiques évoqué plus haut. On se souvient du projet Desertec, qui avait pour ambition de produire de l’électricité solaire au Sahara, pour alimenter l’Afrique du Nord mais aussi l’Europe. Il a toutefois été abandonné…

Oui, car c’était 15 ans trop tôt, tout comme la voiture électrique EV1 de General Motors, lancée en 1996. Je pense cependant que dans cinq à dix ans, les technologies permettront d’exporter cette électricité jusque chez nous. Transporter l’électricité coûte aujourd’hui environ 5 euros par 1.000 km. Il faudrait donc compter 15 euros entre le sud du Maroc et la Belgique. C’est encore trop. Reste par ailleurs le problème géopolitique : si les Frères musulmans prennent le pouvoir au Maroc, je serais moins rassuré qu’avec une centrale andalouse ou portugaise, même si je paie 5 ou 10 euros de plus le MWh.

L’immobilier résidentiel est responsable d’une grande partie du ” gaspillage ” énergétique, affirme-t-on. Isoler l’habitat serait donc la priorité ?

Je dirais : oui, mais… On peut difficilement forcer les gens à isoler leur maison si le rendement de cet investissement est très faible. Prenons une maison qui consomme 2.500 litres de mazout par an, ce qui est la moyenne en Wallonie. Diminuer cette consommation de moitié représente une économie de l’ordre de 1.000 euros par an. Pour que ce soit intéressant, il faut que l’investissement ne dépasse pas 30.000 euros. Or, il est parfois bien supérieur. De toute manière, même si la démarche est plus intéressante que naguère, avec des taux d’intérêt de l’ordre de 0%, c’est toujours consommer une énergie fossile. Mieux vaut s’orienter vers des énergies renouvelables.

La biomasse compte parmi les solutions, car on n’en consomme aujourd’hui que 300.000 tonnes par an en Belgique, alors qu’on en produit le double. Au niveau mondial, la croissance annuelle de la biomasse équivaut même à 10 fois la consommation de pétrole ! Chez nous, on pourrait encore alimenter de nombreux réseaux de chaleur à l’échelle locale, suivant en cela l’exemple danois. C’est ce que l’Europe recommande depuis 2010 dans sa directive PEB, mais nous restons à la traîne…

Profil

– 1959 : naissance le 20 juillet à Liège.

– 1982 : ingénieur civil physicien de l’ULg.

– 1994 : relance l’entreprise EVS Broadcast Equipment avec Pierre L’Hoest.

– 2004 : Manager de l’Année de “Trends-Tendances”.

– 2008 : fonde le cluster TWEED (énergie durable)

– 2009 : membre de l’Académie royale de Belgique

Son groupe IMG (Invest Minguet Gestion) est actif dans l’immobilier, la construction, les centres d’affaires, l’énergie, etc.

Les dirigeables, solution de demain ?

Outre les batteries pour stocker l’énergie, quelles sont les autres grandes avancées attendues en matière de développement durable ? Le transport de fret par dirigeable en fait clairement partie, estime Laurent Minguet, qui a lancé le projet Flywin dans cette optique. Où en est-il ? ” Le projet se poursuit. L’intérêt du plus léger que l’air est son coût très réduit. Un Airbus A320 coûte environ 50 millions, contre 10 millions pour un dirigeable, et ceci pour une charge utile de 20 tonnes. Le second consomme à peu près 10 fois moins de kérosène par tonne-kilomètre transportée. De plus, un dirigeable accepte les conteneurs classiques, contrairement à l’avion, qui impose le transfert de la marchandise dans des conteneurs spécifiques. On gagne donc du temps et de la sécurité. L’aire d’atterrissage du dirigeable est par ailleurs réduite, de sorte qu’on peut imaginer pouvoir parfois se passer de camions entre les points de départ et d’arrivée. Ces avantages compétitifs compensent à mon sens largement l’inconvénient d’une vitesse évidemment moindre, soit environ 100 km/h, de sorte que le dirigeable pourrait capter la moitié du fret aérien. Il nous faudra sans doute encore trois ans, peut-être un peu plus, pour réaliser un prototype pouvant franchir l’Atlantique. Ce drone piloté par satellite aura une charge de 200 ou 300 kilos. Une fois la faisabilité prouvée, on devrait ensuite lever des fonds pour construire des dirigeables capables de transporter des conteneurs. C’est une des solutions vers un avenir plus silencieux, plus propre et plus durable. ”

L’exemple de Cap Skirring

Laurent Minguet est aussi actif à Cap Skirring, au Sénégal, où il a érigé l’hôtel Amigo Bay et lancé plusieurs initiatives d’économie sociale. Il nous fait part de son expérience sur le photovoltaïque… et la production maraîchère.

Quel est votre dernier investissement durable ?

Je viens de moderniser la centrale solaire que j’avais installée sur le site : 240 panneaux photovoltaïques de 60 kilowatts alimentent des batteries lithium-fer-phosphate, la technologie qui est en train de s’imposer et qui équipe d’ailleurs les Tesla. Cette électricité renouvelable alimente les villas, les piscines, la climatisation, etc. Elle revient à 15 cents environ le kWh, contre 25 pour le réseau local. Le matin, les batteries sont souvent encore chargées à 50 %, c’est dire s’il y a de la marge. J’ai également installé une petite centrale solaire dans un village proche, qui n’avait ni l’eau, ni l’électricité. Aujourd’hui, l’éclairage leur coûte moitié moins cher que l’utilisation de la bougie !

Certains évoquent des villes produisant leurs légumes pour un tiers, voire la moitié de leur consommation. Est-ce réaliste ?

C’est très sympathique, mais quel est le modèle économique ? Il faut dépasser le stade du hobby bénévole si l’on veut avoir une vraie vision d’avenir. Car si l’oignon revient à un euro le kilo, soit trois fois le coût de l’agriculteur néerlandais, c’est fichu ! J’ai expérimenté des petites plantations au Sénégal, un hectare de haricots notamment, avec des ouvrières qui travaillaient manuellement. Bien que leur salaire soit fort modeste, ce n’est pas rentable face à une exploitation mécanisée de 100 hectares. La paysanne qui va puiser de l’eau, c’est une jolie carte postale, mais c’est un non-sens. Elle travaillera l’équivalent d’un kilowattheure sur sa journée, alors que pour cette même énergie, une pompe à l’énergie solaire coûte 10 ou 20 cents. Quand on a aboli l’esclavage, on avait probablement déjà compris qu’il n’était pas rentable d’utiliser un être humain pour sa force motrice !

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