Entre Xi et Biden, les règles ont (un peu) changé

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Après quatre ans de tensions et de surenchères, le futur président américain s’attachera à calmer le jeu avec Pékin… sans faire table rase de l’ère Trump. Joe Biden pourrait même trouver quelques avantages aux mesures protectionnistes instaurées par son prédécesseur.

Pendant quatre ans, les autorités chinoises ont pesté contre Donald Trump, l’accusant d’être un tyran imprévisible guidé tantôt par ses intérêts égoïstes, tantôt par des conseillers qui auraient pris en grippe le Parti communiste. D’après une note diplomatique divulguée en 2018, Xi Jinping se serait plaint auprès de représentants européens que ses relations avec Washington s’apparentaient à un ” combat de boxe où tous les coups sont permis “.

L’équipe du futur président Joe Biden (qui sera investi le 20 janvier) souhaite, elle, à la fois discipliner ce match et le rendre moins ouvertement idéologique et plus exigeant pour son adversaire. Comme s’ils organisaient le grand retour d’un champion de la catégorie poids lourds, les démocrates veulent une Amérique en pleine forme et plus stratégique, qui défie Pékin avec davantage de retenue et travaille dur pour remporter chaque duel.

Prudence

La Chine se montrera prudente et tentera d’apaiser les tensions, mais elle sait bien qu’elle ne pourra pas faire table rase de ses relations avec les Etats-Unis. Un retour à la situation d’avant 2016 est inenvisageable. Avant cette date, les présidents américains, républicains comme démocrates, affirmaient qu’une politique de dialogue (menée par Washington) pourrait permettre l’ouverture de l’économie chinoise, voire de sa société. Joe Biden reprochera à son prédécesseur une attitude bien différente: en frappant trop violemment sur la Chine de Xi Jinping, désireuse de s’affirmer, il n’a réussi à porter aucun coup décisif.

Les chefs d’entreprise qui espèrent une abrogation rapide et massive des droits de douane instaurés par Donald Trump sur les deux tiers des importations chinoises vont tomber de haut. Joe Biden ne supprimera pas non plus d’emblée les contrôles à l’export et les freins à l’investissement imposés par l’administration Trump aux entreprises chinoises de la tech. Il aura affaire à des autorités chinoises persuadées que les Etats-Unis sont déterminés à enfermer Pékin dans une position d’infériorité, rendant inévitable une lutte de pouvoir entre les deux grandes puissances. Et s’il veut conserver des moyens de pression, il a tout intérêt à faire preuve de prudence dans la levée des barrières commerciales instituées par son prédécesseur.

Des airs de Donald Trump

Joe Biden prend parfois des airs de Donald Trump. Notamment lorsqu’il évoque la nécessité d’appliquer le principe de réciprocité dans les relations avec Pékin ou de reloca- liser des emplois ouvriers aux Etats-Unis. Pour cela, il est prêt à adopter des politiques industrielles et des règlements incitant les consommateurs à ” acheter américain ” pour soutenir les entreprises nationales. Bien qu’il ait souvent défendu les accords de libre-échange durant ses quatre années sur les bancs du Sénat, il se retrouve désormais à la tête d’un Parti démocrate plus méfiant que jamais vis-à-vis de la mondialisation. Lorsqu’il était vice-président, Joe Biden se faisait l’avocat des alliances commerciales destinées à contrer les méthodes mercantiles de la Chine, comme le Partenariat transpacifique. Mais une fois au pouvoir, il ne se précipitera pas pour conclure de tels accords.

Pékin trouvera néanmoins des raisons de se rassurer. Sous la présidence de Joe Biden, la Maison-Blanche sera peuplée d’économistes conventionnels convaincus que les droits de douane sont en général contre-productifs et réticents à l’idée d’exploiter l’hégémonie du dollar pour maintenir l’ascendant sur la Chine – une technique qui avait séduit certains conseillers haut placés de Donald Trump. Le Bureau ovale sera quant à lui davantage ouvert aux patrons d’entreprises technologiques de la Silicon Valley. Ceux-ci imploreront le gouvernement de se montrer plus parcimonieux lorsqu’il s’agira de désigner les produits et les entreprises de pointe qui constituent une menace pour la sécurité nationale, afin d’épargner la Chine.

Cependant, une administration Biden à l’aise avec la technologie ne présentera pas que des avantages pour Pékin. Le président appellera en effet son pays à préserver sa suprématie sur le géant asiatique en ce qui concerne les technologies d’avenir incontournables, comme l’intelligence artificielle ou l’informatique quantique, au moyen d’investis- sements considérables dans la science fondamentale. Il se révélera moins inquiet face aux applications comme TikTok, plateforme vidéo d’origine chinoise sur laquelle les adolescents partagent leurs chorégraphies. Il sera par ailleurs plus enclin que Donald Trump à accueillir les étudiants chinois dans les universités américaines, affirmant qu’il fait confiance au FBI pour déceler les quelques individus envoyés dans le but de dérober des informations confidentielles. Cette version plus ouverte des Etats-Unis n’est qu’une bénédiction en demi-teinte pour Pékin, qui tente de rappeler au pays ses brillants chercheurs.

Droits de l’homme

En privé, les hauts fonctionnaires chinois admettent volontiers leur sympathie pour le mépris affiché par Donald Trump envers les droits de l’homme et les valeurs des démocraties libérales. Mais ils savent que cette époque sera bientôt révolue. Les conseillers de Joe Biden ont notamment indiqué que le futur président s’inquiétait de l’apparition d’un fossé entre, d’un côté, les ” techno-démocraties ” qui emploient les outils numériques pour étendre les libertés et, de l’autre, un bloc ” techno-autoritaire ” dirigé par Pékin. Tout disposé qu’il soit à faire preuve de circonspection, Joe Biden requerra néanmoins des sanctions en réponse à la répression des libertés publiques à Hong Kong et à la ” rééducation ” forcée des Ouïgours dans la province du Xinjiang, située dans le nord-ouest du pays.

Joe Biden se montrera également prudent sur la question de Taïwan et perpétuera le numéro d’équilibriste engagé il y a plusieurs décennies. Les Etats-Unis utilisent leur puissance militaire pour dissuader toute tentative d’invasion chinoise sur l’île, tout en rassurant Pékin sur le fait qu’ils n’encourageront pas de déclaration d’indépendance de la part de Taïwan.

Dans un changement de cap radical, Joe Biden sollicitera le soutien de la Chine sur des problématiques internationales que Donald Trump tournait en dérision, comme le dérèglement climatique, ou préférait gérer seul, comme la recherche médicale contre le Covid-19. Il pourrait ainsi demander l’aide de Pékin pour rétablir l’accord sur le nucléaire iranien, que Barack Obama avait passé avec Téhéran et les grandes puissances de la communauté internationale avant que Donald Trump ne se retire du pacte. Les républicains ne manqueront cependant pas de dénoncer les mains tendues à la Chine, en particulier ceux qui pensent déjà à l’élection de 2024.

Enfin, les Etats-Unis feront leur grand retour sur la scène du multilatéralisme, ou du moins chercheront-ils moins souvent le conflit avec leurs partenaires. Joe Biden voudra en effet s’entourer d’alliés avant de défier Pékin. Et même avec des adversaires plus disciplinés, le combat s’annonce sans merci.

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