En attendant Liberski

Plus “beckettien” que jamais, Stefan Liberski a usé du confinement pour créer un huis clos crépusculaire autour d’un homme dont la mémoire s’éteint. Un texte court, “avant que tout ça ne ferme”.

L’homme qui se tient debout la tête contre le mur, dans une perpétuelle claustration, s’appelle Teo. Un homme empêché qui, enfant, se voyait devenir “ramasseur de marrons, grimpeur aux arbres, promeneur ou lanceur de cailloux” mais qui n’est plus qu’un vieil homme à la mémoire qui dérape et zigzague. Il erre dans son grand appartement familial désormais presque vide – sa soeur Lucia passe une fois par an. Maria, la servante, apparaît de temps en temps, au contraire de sa mère, enfermée dans le bureau suisse d’où elle ne sort jamais. Mais allez savoir, elle aussi est peut-être morte… Teo, toujours puceau, a toujours eu une pensée “à côté” et une vie un peu à part: Teo fait le Grand Inventaire des objets qui encombrent cet ancien bureau d’avocats et se veut un adepte de “la pensée pure” qui se passionne pour le rien, comme cette eau qu’il fait couler tous les matins entre ses mains avant de faire semblant de se raser – Teo souffre “d’alopécie radicale” et ne quitte jamais son bonnet de douche et ses chaussettes hautes. Et Teo, donc, se souvient, ou ne souvient pas – “Quel beau souvenir! Mais, encore une fois, m’appartient-il?”. En attendant… quoi d’autre que la fin? Sauf que “parfois, un accablement survient, qui vous cloue”… Texte court et radical né pendant et par le confinement, se voulant un travail sur l’expression d’une mémoire qui se dissout, Teo malgré permet au Belge Stefan Liberski de se passer de beaucoup d’artifices, dont la linéarité, pour essayer de donner écho à cette “pensée pure” a priori peu romanesque, et pourtant passionnante. Le tout sous la forme évidente du monologue qui permet, comme souvent avec l’ex-Snuls, de placer ses relents misanthropes sur la pente de la drôlerie.