Le Haut-Adige: des vins pour l’Histoire

© IDM/SUDTIROL WEIN/TIBERIO SORVILLO

Située en Italie à la frontière avec l’Autriche, le Haut-Adige est une immense vallée bordée par les Alpes et les Dolomites. Cette province italienne atypique par son bilinguisme et son influence autrichienne est réputée pour ses thermes, ses randonnées, sa haute gastronomie, ses vins et aussi ses pommes. Embarquement immédiat!

Au début des années 1980, Claude Semal, l’artiste bruxellois, parlait de la Belgique ( Le Pays Petit) comme de “deux pays tombés par accident dans un trou de l’histoire”. C’est un autre trou de l’histoire qui nous concerne aujourd’hui. L’étranger peu avisé qui débarque à Bolzano, la capitale de la province autonome du même nom, appelée aussi Haut-Adige ou Sud-Tyrol, a de quoi être déconcerté. Tout (mais alors tout) est écrit en allemand et en italien. Les commerçants et les exploitants de cafés ou de restaurants portent majoritairement des noms allemands et c’est l’allemand que l’on entend le plus dans les établissements. La ville elle-même n’a rien d’une typique cité italienne. Tout est carré, net, germanique. Les façades colorées du centre-ville rappellent d’ailleurs plutôt l’Autriche que la Vénétie pourtant toute proche.

Le Sud-Tyrol doit aussi sa réputation aux cures que les grands de ce monde venaient suivre à Merano, au nord de Bolzano.

Trilinguisme et système proportionnel

Il y a une bonne raison à cela: jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, toute la province était autrichienne. En 1919, le traité de Saint-Germain-en-Laye entre les vainqueurs et l’Autriche a repoussé la frontière italienne jusqu’au col du Brenner. Entré en application en juillet 1920, il a donc vu le Haut-Adige (comme la ville de Trente d’ailleurs) devenir italien. Un changement qui ne va pas passer tout seul.

L’italianisation forcée voulue par Benito Mussolini entre les deux guerres va charrier son lot de violences et d’injustices à l’égard des germanophones. La mise en place des modalités d’application de l’autonomie de la région du Trentin-Haut-Adige consacrée par les accords italo-autrichiens de 1948 s’est avérée extrêmement compliquée. Notamment parce que la plupart des compétences avaient été attribuées à un conseil régional où les italophones étaient très largement majoritaires. Pendant plus de 30 ans, cette situation a engendré de nombreuses tensions politiques sur le terrain et des centaines d’actes terroristes. Ce n’est qu’en 2001 (! ) que la situation trouvera son apaisement définitif avec l’octroi d’un statut spécial d’autonomie aux provinces de Bolzano et de Trente et l’apparition du vocable “Südtirol” dans la constitution italienne à côté d’ “Alto Adige”. Dans l’intervalle, le bilinguisme est devenu obligatoire dans l’administration publique et même le trilinguisme dans les vallées ladines où environ 30.000 personnes continuent à parler le ladin, une langue romane rare. Le système proportionnel linguistique a aussi été instauré dans la société et l’économie. Il vise à une répartition équitable (postes dans l’administration, prestations sociales, élections, etc.) entre les trois communautés linguistiques.

Bolzano Avec ses parcs, ses ruelles envahies de marchands ambulants et la Via dei Portici, une longue rue commerçante aux arcades du Moyen-Age, elle a le charme suranné des villes qui ne veulent ni vieillir ni oublier.
Bolzano Avec ses parcs, ses ruelles envahies de marchands ambulants et la Via dei Portici, une longue rue commerçante aux arcades du Moyen-Age, elle a le charme suranné des villes qui ne veulent ni vieillir ni oublier.© PG

“Aujourd’hui, ce n’est plus trop un sujet de discussion, explique Ivan Giovanett, qui a repris la direction technique du domaine viticole familial de Castelfeder. Dans la province de Bolzano, environ 80% des habitants ont l’allemand comme première langue. Sauf à Bolzano elle-même où les italophones sont légèrement majoritaires. Mais je peux aisément comprendre qu’un étranger soit surpris par la forte prédominance de l’allemand dans les noms, par exemple, des domaines viticoles.”

“Nous avons une carte d’identité d’une couleur différente, renchérit Andi Punter, le directeur sales & marketing du producteur de vins Franz Haas. J’ai encore en mémoire une anecdote de mes années d’études. Je faisais de l’athlétisme et je devais participer à un championnat scolaire italien en Sicile. L’organisateur, en voyant ma carte d’identité, a refusé que je participe au principe que la course était réservée aux petits Italiens…”

Des pommiers à perte de vue

Ceux qui veulent en savoir plus sur la quête de l’autonomie des deux provinces, mais aussi les rapports puissants entre son terroir et son identité, doivent se jeter sur le roman Eva dort, disponible en français dans la collection Folio. La scénariste réalisatrice romaine Francesca Melandri y raconte la saga d’une famille du Haut-Adige du début du 20e siècle à aujourd’hui…

Mais ce qui frappe surtout quand on entre dans le Sud-Tyrol en provenance du lac de Garde et de Trente, c’est l’omniprésence des montagnes sur les deux rives de l’Adige, que longe l’autoroute. Quel que soit l’endroit où vous vous trouvez, la montagne fait toujours partie du paysage. Pas étonnant, dès lors, que la province soit considérée comme un paradis pour les randonneurs et les skieurs. Elle présente quelques-unes des plus belles stations d’altitude italiennes comme Val Gardena dont l’incroyable descente est un moment fort de la coupe du monde de ski. Mais le Sud-Tyrol doit aussi sa réputation aux cures que les grands de ce monde venaient suivre à Merano, au nord de Bolzano. De vieux palais aristocratiques y témoignent toujours du passage de François-Joseph 1er, empereur d’Autriche, et de son épouse, Elisabeth de Wittelsbach, plus connue sous le nom de Sissi. Atteinte de tuberculose, elle venait régulièrement s’y soigner. Quant à Bolzano, sa localisation en cuvette en fait l’une des villes les plus chaudes d’Italie en été. Avec ses parcs, ses ruelles envahies de terrasses et de marchands ambulants et la Via dei Portici, sa longue rue commerçante aux arcades du Moyen-Age, elle a le charme suranné des villes qui ne veulent ni vieillir ni oublier.

Où trouver les vins du Sud-Tyrol?

Assez logiquement, ce sont les vins de Manincor importés par Benoit De Coster (Vinum Authentis – Velu Vins) qui sont les mieux distribués. Notamment la Réserve de la Comtesse (pinot blanc majoritaire) et la Réserve du Comte (merlot et lagrein majoritaires) que le comte Goëss-Enzenberg appelle ses entrées de gamme mais qui sont déjà magnifiques. Ils se trouvent chez Comptoir des Vins (www.comptoirdesvins.be – 13 magasins à Bruxelles et en Wallonie), à la Maison des Vins à Boitsfort (www.maisondesvins.be) ou chez Melchior à Mons (www.melchior-vins.be). Les deux derniers proposent aussi le 100% lagrein du domaine appelé Rubatsch, une autre petite merveille. La famille Giovanett du domaine Castelfeder dispose d’un agent en Belgique: Stefaan Van den Abeele (www.wineanddineconsultancy.be) a, entre autres, placé leurs vins chez Gianni Sabbatini à Quaregnon (www.sabbatini.be – livraison dans toute la Belgique). Enfin, les vignerons confient quasiment l’ensemble de leurs vins à Diether Karadar. Depuis San Candido dans les Dolomites, il exporte dans toute l’Europe au même prix que dans les domaines (www.karadarshop.com – livraison gratuite dès 200 euros). Pour l’avoir testé, le service est impeccable.

Dans ce paysage de toute beauté dont certains aspects font penser à la vallée du Douro au Portugal, les vignobles ont envahi les coteaux escarpés. Mais dans la plaine, dès Salorno, à l’entrée de la province, les pommiers sont omniprésents. Le Sud-Tyrol est en effet le plus grand pourvoyeur européen de pommes. Il détient environ 15% du marché avec une production principalement familiale qui approche le million de tonnes. Les conditions climatiques et culturales particulières (l’ensemble des exploitations respectent un cahier des charges appelé Agrios qui ressemble à s’y méprendre à du bio) font qu’une IGP Mela Alto Adige a été conférée à 12 variétés comme gala, granny smith, elstar, jonagold ou encore val venosta, une pomme rouge sucrée et croquante qui n’est produite qu’ici.

Le comte et la comtesse Goëss- Enzenberg (domaine Manincor) Aux alentours de leur magnifique château à Caldaro, le couple produit quelques-unes des plus belles cuvées de la province.
Le comte et la comtesse Goëss- Enzenberg (domaine Manincor) Aux alentours de leur magnifique château à Caldaro, le couple produit quelques-unes des plus belles cuvées de la province.© XB

“La famille a toujours été active dans la culture de la pomme, explique le comte Michael Goëss-Enzenberg à la tête du domaine familial Manincor (qui signifie coeur sur la main). Cela a pris une telle importance que l’hectare de pommiers se négocie aux alentours du million d’euros. Ce n’est que quand j’ai repris le domaine de mon oncle, avec mon épouse Sophie, que j’ai amplifié la viticulture. Cela faisait 400 ans que nous en faisions mais la production partait aux coopératives de Caldaro et Terlano. Les premières bouteilles estampillées Manincor sont sorties en 1996.”

Des vins de haute facture

Aux alentours de leur magnifique château à Caldaro, le comte et la comtesse produisent, en biodynamie depuis 2009, quelques-unes des plus belles cuvées de la province dont la plupart sont en AOP Alto Adige. Tant en blanc (comme la magnifique cuvée Sophie) qu’en rouge (Mason di Mason est le meilleur pinot noir, hors Bourgogne, que nous ayons dégusté).

“La cuvée Sophie a évolué au cours du temps, poursuit le comte. Le chardonnay y est devenu ultra-majoritaire à 96%. Cela fait une différence considérable pour la placer dans les cartes de vin des restaurants où le chardonnay est en tête de liste. Nous sommes aussi les seuls, avec le domaine Franz Haas, à avoir planté du petit manseng dans la région. Ce cépage du sud de la France, nous le vendangeons très tardivement, en janvier ou février. Il nous permet de produire notre seul vin moelleux appelé Le Petit. C’est une curiosité. Nous aimerions nous étendre mais cela devient beaucoup trop cher et je ne désire pas me disperser aux quatre coins de la province. D’autant que, certes, nous travaillons des cépages bourguignons mais je n’ai aucune envie d’entrer en compétition avec la Bourgogne. Ce qui me motive et m’anime, c’est de faire de l’Alto Adige…”

Schiava et lagrein

Tous les deux ans, le consortium des vins du Haut-Adige organise un événement destiné aux éducateurs dans le domaine du vin, aux Masters of Wine et aux journalistes. L’idée est de faire découvrir la production dans toute sa diversité. Le Sud-Tyrol, c’est en effet 300.000 hectares de vignes et 40 millions de bouteilles par an (60% de blanc, 39% de rouge et 1% de bulles). Le premier jour, c’est donc pas moins de 260 vins qui nous ont été proposés en une seule dégustation au NOI Techpark de Bolzano! C’est là que nous avons découvert de magnifiques expressions de deux cépages très peu connus chez nous: le schiava et le lagrein. Ce dernier est un cépage rare, vague cousin de la syrah, qui n’est plus guère planté qu’ici. Il donne des vins épicés et complexes. Le schiava ( vernatsch en allemand) tire son nom ( “esclave”) du fait qu’il était surtout utilisé en support d’autres cépages plus réputés. Mais il mérite mieux que ça et dispose désormais d’une appellation: DOC Santa Maddalena. En fer de lance de cette dénomination d’origine contrôlée, se trouve le domaine Der Pfannenstielhof, située dans la banlieue est de Bolzano. Il est aux mains de la famille Pfeifer depuis 200 ans.

Veronica Pfeifer (domaine Pfannenstielhof)
Veronica Pfeifer (domaine Pfannenstielhof) “La mission de mon père est de prouver que le schiava peut donner de grands vins de garde.”© XB

“La mission de mon père est de prouver que le schiava peut donner de grands vins de garde, raconte Veronica Pfeifer qui, avec sa soeur Anna, vient de rejoindre le domaine familial. Vu la chaleur de l’été, nous avons opté pour une conduite du vignoble en pergola. Cela donne de très bons résultats. Nous conduisons l’ensemble du domaine en bio et toutes les interventions sur la vigne sont opérées à la main. Nos trois Santa Maddalena contiennent, comme c’est autorisé, 5% de lagrein. Sur les mêmes parcelles, le lagrein est planté autour du schiava. Les deux cépages sont vendangés et vinifiés ensemble.”

Inutile de dire que tant le Classico que l’Annver (un parcellaire dédié aux deux filles du domaine) et le Der Pfannenstiel sont de pures merveilles qui tendent à prouver que Johannes Pfeifer est sur la bonne voie. Le Lagrein Riserva est tout aussi réussi, même si on lui préfère de Lagrein Burgum Novum du domaine Castelfeder…

Basée à Egna (dont l’ancien nom est Burgum Novum Egne) sur la rive droite de l’Adige, la famille Giovanett y travaille pourtant surtout du blanc. “Nous avons retravaillé notre domaine après le fameux scandale des vins italiens coupés à l’antigel dans les années 1980, confie Günther Giovanett, le père d’Ivan et patron du domaine. Du jour au lendemain, nous avions dû arrêter toutes les importations alors que nous n’étions pas concernés. Remonter la pente a été très compliqué. Pour exister, nous avons privilégié les cépages que nous trouvions compétitifs par rapport à la concurrence internationale et la situation de nos vignes. Nous avons éliminé les cépages bordelais et nous sommes focalisés sur les blancs qui ont pris plus d’importance, soit trois quarts du domaine. Pour les rouges, nous avons choisi le pinot noir.”

Dans leur domaine très escarpé situé non loin de l’ancien pont ferroviaire Val di Fiemme qui offre un magnifique panorama sur l’ensemble de la grande banlieue de Bolzano, les Giovanett fait un remarquable travail parcellaire sur ce pinot noir. Les Pinot Noir Buckholtz, Glen et Mazon (le plus abouti et complexe des trois) exploitent les différences de terroirs et d’altitude.

“La vallée offre des températures diurnes assez chaudes et des nocturnes très fraîches, explique Ivan Giovanett. C’est excellent pour la conduite de la vigne. L’altitude des coteaux est plus compliquée à gérer car monter de 100 m peut provoquer un retard de départ de vendanges d’une semaine. Sans oublier les différences de qualité qui peuvent être très flagrantes d’une année sur l’autre. Sur le terroir de Buckholtz, nous avons décidé de conserver des raisins pour faire des bulles. Un 100% pinot noir donc qui vieillira entre quatre et cinq ans sur lattes.”

Le Haut-Adige: des vins pour l'Histoire
© XB

Le paradis des étoilés

Avouons-le tout de go: dans la vie de tous les jours, la gastronomie dans le Haut-Adige, ce n’est pas le Pérou. Dans ce domaine aussi, l’influence autrichienne est très marquée. Et la cuisine proposée est plutôt grasse, à l’instar des knödels (appelés aussi canederli), des petites quenelles formées de pain rassis, de pomme de terre et/ou de semoule et agrémentées de lard, d’oeufs ou de légumes. Roboratif! Ou les tirtlans, de petits beignets frits aux épinards, oignons et parmesan. La charcuterie occupe aussi une place de choix dans les menus quotidiens dont le speck labellisé IGP Alto Adige. Il s’agit d’un jambon cru vieilli à l’air libre et légèrement fumé, tout aussi délicat que du Parme.

De façon assez surprenante, la région dispose par contre du plus grand nombre de chefs étoilés Michelin par habitant d’Italie: 25 étoiles pour 18 établissements. Dont Andrea Fenoglio dans le bien nommé restaurant Sissi à Merano. En une soirée, dans sa salle Belle Epoque, il nous a fait oublier tout ce qui précède. Notamment avec son omble-chevalier, flocons de katsuobushi (de la bonite séchée, fermentée et fumée) et dashi à la pomme. Ou son caviar de tapioca, soupe de raisins rouges, granité au rhum et glace noisette. Une toute bonne adresse.

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