Dans les pas de Wilfried

Mathieu Palain, " Sale gosse ", éditions de L'Iconoclaste, 352 pages, 18 euros. © PG

Il suffit d’un quart de seconde pour tout foutre en l’air. C’est encore plus cruel quand cela se passe à un âge où l’on n’a pas toutes les cartes en main. Wilfried a frappé l’un de ses camarades du centre de formation de Saint-Etienne. La bêtise lui vaut l’exclusion et l’extinction brutale de ses ambitions de footballeur professionnel. S’ensuit un retour abrupt dans sa banlieue et sa famille d’accueil. La colère monte en lui : la perspective de devoir revivre avec sa mère qui l’a laissé aux services sociaux ne le pousse pas à se construire un futur.

” A 15 ans, l’avenir ça ne veut rien dire, avance Mathieu Palain, l’auteur de Sale gosse. Les ados sont bouleversés par un corps qui change, des problèmes familiaux. En plus, je l’ai vécu en banlieue, il faut choisir de se faire respecter. Les gamins veulent trop en faire. ” Un ” trop ” qui ouvre la voie vers la délinquance. Jusqu’au jugement final, celui qui vous place dans une institution avec d’autres enfants perdus qui ont grandi trop tôt.

” J’ai fugué, comme on m’a retrouvé et comme ils savaient pas quoi faire, ils m’ont mis en foyer “, décrit Wilfried avec un sens désabusé de la synthèse. L’institution met à l’écart de la société des jeunes qui ne demandent qu’à en faire partie. ” Il y a une espèce du mythe du self-made-man qui est particulièrement dévastateur pour la construction personnelle de ces gamins, analyse l’auteur. Ils ont besoin d’avoir quelqu’un à leurs côtés pour avancer. ” Des accompagnants apparaissent dans le livre comme des bouffées d’air frais.

Si le récit mise sur la force du réalisme et l’urgence de la jeunesse, il ne se veut pas pessimiste. Ainsi, Wilfried trouvera d’abord en ses parents de substitution un premier soutien. Puis, en foyer, il trouvera Nina, éducatrice ultra-motivée en prise avec les aspirations de ces jeunes, même quand ils font mine de ne plus en avoir.

Avant de penser à la fiction, Mathieu Palain y a vu matière d’abord à reportage, lui qui a collaboré à Libération et à la revue XXI. Pourquoi le roman, dès lors ? ” Pour prendre un risque, ça faisait 10 ans que j’écrivais dans les journaux. Mon éditrice m’a convaincu. En étant sur le terrain avec ces éducateurs, j’avais l’occasion de parler d’un sujet qui m’intéressait. “

L’expérience du père

Le néo-romancier sait en effet de quoi il parle. Son père a été éducateur à la PJJ, la Protection judiciaire de la jeunesse, dont la délicate mission est de veiller sur ces gamins. Si son père parlait peu de son boulot à la maison, le jeune Mathieu en a vu passer, des gosses paumés de sa banlieue d’Evry. Pour nourrir le personnage de Marc, le directeur du foyer dans le roman, l’auteur a interviewé son père sur son expérience et le paradoxe de sa profession. ” Le métier d’éducateur vous impose de vous donner à 200 % pour ces enfants mais on vous demande de ne pas vous attacher “, explique Mathieu Palain. Il conclut de manière bouleversante : ” Ce qui arrive à Wilfried est en fin de compte une histoire assez banale d’adolescent qui se pose plein de questions : qui est son père ? sa mère ? Il est accueilli dans une famille de classe moyenne modeste, certes, mais qui lui permet de s’ancrer. Vu leur parcours, ces enfants ont toujours peur de l’abandon et donc, de l’attachement. ”

Il partit en surrégime, face au vent, et dut s’arrêter. L’envie de chialer.

Sale gosse nous capte par son style vibrant, un hyperréalisme chevillé à ses phrases, une certaine véracité dans le langage aidant. On tient la caméra à l’épaule dans le sillage de Wilfried, dont on brise rarement les pensées, sinon aux moments opportuns. L’empathie ne peut que nous envahir, par la sympathie de ces jeunes et l’investissement de leurs anges gardiens. Pas d’angélisme mais de l’espoir. Il y a de la vie dans ces pages.

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